Pierre Calmard (Dentsu France) : “Passer par une agence média, c’est le meilleur moyen de regagner en indépendance face à Google ou Facebook”


  • Le patron de Dentsu France réagit à notre enquête sur la Google dépendance des grandes agences médias. Au-delà des chiffres attribués à son groupe, dont il conteste la véracité, Pierre Calmard explique pourquoi le problème vient surtout des annonceurs et comment Dentsu s’échine à renverser le rapport de force.
  • Echange cordial (mais animé) avec un patron d’agence remonté.

Minted. Vous souhaitez prendre la parole suite à notre article sur la Google dépendance des grandes agences médias. Pourquoi ?

Pierre Calmard. Parce que les chiffres que vous donnez concernant Dentsu sont totalement faux ! Je connais la répartition des investissements programmatiques de mon groupe et ils ne correspondent pas à ce qu’affirme Adomik.

Oui, Adomik n’est pas complètement exhaustif mais il accède à la donnée de plus de 800 sites français et d’une quinzaine de SSP partenaires. Suffisant pour avoir une bonne cartographie du marché de l’Open Web non ?

Je ne pense pas. D’abord parce qu’en France, les agences médias ne sont jamais les mandataires et que les annonceurs ont, pour la plupart, décidé de faire transiter leurs campagnes programmatiques par des sièges à leur nom. Comment Adomik peut-il savoir si c’est iProspect ou l’annonceur qui opère ce siège dans le cadre d’une campagne X ? C’est, à ma connaissance, impossible. (1)

Or les plus gros annonceurs, qui ont souvent des accords globaux avec Google, gèrent eux-même une partie de ces investissements. On n’opère pas 100% des achats programmatiques de nos clients globaux sur le marché.

C’est plutôt quel ratio ?

Contrairement à Adomik, je tiens à préserver les données de mes clients. Je ne vous donnerai pas cette information.

Du coup, quel est le pourcentage des investissements programmatiques de Dentsu qui transite par DV360, le DSP de Google ?

Ici encore, je ne veux pas entrer dans les détails mais je peux garantir qu’il est largement inférieur de 50%. Je voudrais par ailleurs préciser que je trouve le titre de votre article trompeur. La Google dépendance n’est pas un problème d’agence mais un problème d’annonceur.

C’est ce que nous expliquons dans le corps de l’article, notamment via le témoignage de Benoit Coucke, VP programmatique de Jellyfish…

Oui mais cela ne change rien au titre… Les annonceurs qui opèrent le média en direct, sans passer par une agence média, sont ceux qui mettent le plus d’argent chez Google. Passer par une agence média, c’est, au contraire, le meilleur moyen de regagner en indépendance et de permettre à ceux qui ne font que du Google ou du Facebook de sortir de cette ornière. C’est notre credo chez Dentsu, permettre aux annonceurs d’avoir une répartition la plus équilibrée et efficace possible.

C’est possible ça ? Benoit Coucke était plutôt fataliste sur ce sujet. Il rappelle notamment que la plupart des annonceurs prennent des sièges chez Google et que les agences médias n’y peuvent pas grand chose

Je suis moins fataliste car je pense qu’il y a des alternatives. Se passer de Google pour se passer de Google serait bien évidemment idiot car il y a des environnements au sein desquels cela fonctionne bien. Mais il est important de diversifier ses investissements et nous aidons dans la mesure du possible les entreprises françaises à développer des solutions qui contrecarrent l’hégémonie de Google. 

Lesquelles, par exemple ?

Je ne peux pas entrer dans les détails. Disons qu’il y a, par exemple, des technologies qui permettent de bypasser les intermédiaires, qui sont souvent des Américaines, pour permettre aux acheteurs d’aller directement vers les éditeurs. Hors moins il y a d’intermédiaire, plus il y a d’argent à toucher pour les éditeurs.

Benoit Coucke rappelait que la grande majorité des plans médias incluent Youtube, pour lequel l’utilisation de DV360 est obligatoire. Il nous expliquait que, dans ces conditions, utiliser un deuxième DSP est aussi fastidieux que coûteux car il faut paramétrer deux fois la campagne. Qu’en pensez-vous ?

Sur la vidéo, l’objectif de Dentsu n’est certainement pas de tout faire passer par DV360. Nous cherchons à diversifier nos investissements autant que possible pour ce format. Oui, c’est, d’un point de vue opérationnel, plus fastidieux. Mais c’est aussi plus efficace. Tous les tests le démontrent, si on diversifie ses investissements programmatiques de manière pertinente, on obtient plus de performance sur des metrics comme les ventes ou la complétion / visibilité. 

Sur le court terme, on est donc gagnant. Mais cela vaut aussi pour le long terme. C’est important de réduire sa dépendance à un acteur qui, comme Google, a la fâcheuse tendance de changer les règles en cours de jeu, en tuant tel ou tel produit. Diversifier, c’est être moins impacté lorsque les choses changent. Le DBM Gate, qui a coupé les clients du DSP de Google de près de 70% de l’inventaire de l’Open Web au lendemain de l’entrée en vigueur du RGPD, en est un bon exemple. Dentsu a beaucoup moins été embêté que certains de ses concurrents parce que le groupe a fait l’effort de la diversification.

Les annonceurs sont-ils vraiment sensibles à ce genre de discours ?

Quand on a les bons arguments, oui. Et à condition de bien les accompagner. Car le problème, c’est que les annonceurs seuls ne sont pas suffisamment outillés pour privilégier la diversité. Je vais vous donner l’exemple d’un annonceur qui voulait reproduire ce qu’Amnet, notre trading desk, faisait… mais chez lui. Il voulait contractualiser en direct avec les technologies et laisser nos équipes opérer. Le problème, c’est qu’Amnet a des contrats avec 32 technologies. L’annonceur a commencé par le plus simple, son contrat avec Google. Il lui a fallu 1 an pour le formaliser ! 

C’est une usine à gaz que de gérer ce volet là. Les annonceurs n’en ont pas toujours conscience et ce n’est, de toute façon, pas leur métier que de contractualiser avec des technologies dont ils ne comprennent pas les tenants et les aboutissants. C’est le rôle de l’agence média que de faire l’effort de tester l’ensemble de l’écosystème, de façon la plus exhaustive possible. C’est important car nous sommes dans un marché qui évolue très vite et que rien ne dit qu’un DSP extrêmement puissant ne va pas émerger un jour. 

Ça parait peu probable… Google et, dans une moindre mesure, The Trade Desk semblent avoir bien verrouillé le marché. D’autant qu’on voit que les agences médias sont plutôt entrées dans une phase de rationalisation de leurs partenariats. Notamment parce qu’elles sont, comme vous le rappelez souvent, de moins en moins bien payées et qu’elles ont des enjeux de productivité…

Oui, notre rémunération est un vrai sujet. Mais cela ne nous empêche pas de tester. Dans la théorie, vous avez raison, on cherche à simplifier. Mais dans la réalité, on voit sans cesse apparaître de nouvelles technologies. Prenons une activité à la mode, le ciblage contextuel. Il y a énormément d’acteurs qui se sont positionnés là dessus. L’adtech est un éternel recommencement, on débranche autant de partenaires qu’on en active de nouveaux.

Vous parlez des acteurs du ciblage contextuel mais c’est un peu différent non ? Il s’agit plutôt d'ajouter des sous-traitants auxquels vous allouez un pourcentage de votre campagne. Pas d'ajouter des technologies que vous opérez en propre comme c’est le cas des DSP. Dans le premier cas, vous vous facilitez la vie, dans le second vous vous la compliquez...

C’est peut-être vrai pour nos concurrents les plus paresseux mais c’est très rarement le cas chez nous. Dans la plupart des cas, on demande à opérer nous mêmes les technologies. De sorte que l’on a même “contraint” certains acteurs à développer une offre self-service pour pouvoir travailler avec nous. Notamment parce que sous-traiter pose un problème de transparence vis-à-vis de l’annonceur...

1) Comme expliqué dans l'article, Adomik a accédé à la donnée de plus de 800 sites et apps français et d’une quinzaine de SSP pour réaliser son étude. Le périmètre de l'étude est l'Open Web "historique" et n'inclut pas les investissemnt alloués aux retailers, ni aux chaînes de TV, ni aux walled gardens (dont Youtube ou Facebook). Adomik produit cette donnée dans l'objectif de créer de la transparence sur la marché du programmatique et nourrit le Baromètre Programmatique IAB en tant que référence marché avec celle-ci. Adomik réalise un travail d'analyse spécifique sur la donnée collectée, en lien avec différents acteurs du marché, pour créer une information la plus fiable possible.