14 novembre 2025

Temps de lecture : 6 min

Content to commerce : plébiscité par les Français, il reste le parent pauvre du mix média. Qu’est-ce qui coince ?

Les lecteurs sont de grands consommateurs de guides d’achat, pourtant les annonceurs les boudent encore. Trois experts décryptent les freins et les leviers d’un levier sous-exploité.

Le Parisien organisait mardi 4 novembre son 2e observatoire du content to commerce, avec notamment la révélation d’une étude d’Opinionway sur l’usage et la perception des guides d’achat par les Français. Deux tables rondes, une dédiée aux éditeurs (animée par moi), l’autre consacrée à la vision des annonceurs, sont venues compléter la réflexion sur le sujet.

Les chiffres recueillis par Opinionway (en pdf) sont sans appel : 58 % des Français lisent des guides d’achat, et plus de 17 millions le font chaque mois. Ces contenus pratiques, qui aident à choisir un produit ou à comparer des offres, cumulent les clics et les audiences.

(Cliquez sur l’image pour télécharger l’étude complète d’Opinionway – en pdf)

Le poids de l’expertise et de la confiance

Dans un univers saturé de publicités, les internautes cherchent avant tout un avis fiable.
C’est la raison du succès des guides d’achat signés par des rédactions reconnues, telle le Parisien, souligne Guillaume Bournizien, directeur digital adjoint au Parisien.

« Le conseil journalistique reste une valeur refuge. Quand un lecteur consulte un comparatif ou un test produit sur Le Parisien, il sait que nous l’avons testé ou vérifié. »

L’étude d’Opinionway lui donne raison, avec un taux ce confiance de 82%.

Chez Prisma Media, cette exigence se traduit par des cellules de journalistes dédiés, spécialisés par secteurs : techno, beauté, maison… et adossés aux marques médias. Les journalistes collaborent avec chaque marque du groupe, selon sa ligne éditoriale. C’est ce que nous explique Dorothée Flückiger, directrice Marketing & Transformation Digitale de Prisma media.

La rubrique de recommandations « maison » est portée par la rédaction de Femmes actuelles, la beauté par Voici et la techno par Capital.


« Nos recommandations reposent sur une vraie culture éditoriale, pas sur du contenu sponsorisé déguisé », précise Dorothée.

Au Parisien, le choix a été fait de bien séparer le guide d’achat des rubriques du Parisien, via un code couleur spécifique, tout en conservant l’environnement de marque du quotidien (logo, typo, charte graphique etc.).

Ce sont des rédacteurs spécialisés là aussi, en partie externes, qui rédigent les tests produits selon un protocole déterminé par la rédaction.

« Nous testons tout, même si le produit est partenaire. L’indépendance est essentielle », insiste Guillaume Bournizien.

Pour RMC-BFM, le shopping s’appuie sur la force historique des marques médias : BFM Tech (ex- 01net), RMC Sport…

« BFM Tech ou RMC Sport disposent d’une légitimité éditoriale que peu d’influenceurs peuvent revendiquer. Cette confiance se traduit par un taux d’engagement élevé et une réassurance forte avant l’achat. »

Des performances bien réelles

Les résultats sont impressionnants. Au Parisien, les guides d’achat génèrent 50 millions de visites par an avec un taux de clic sortant autour de 20 %, à peu près similaire chez les trois médias.

Le média revendique aussi un taux de reconduction de ses clients de 90 % d’une année sur l’autre.

« Nous avons complètement revu l’expérience utilisateur, sans display intrusif. Ces contenus transforment et fidélisent », affirme Guillaume.

Même dynamique chez BFM.

« Nous envoyons des millions de clics vers les sites marchands et générons plusieurs dizaines de millions d’euros de chiffre d’affaires pour eux », explique Renaud Coldepin, directeur des partenariats et du business development RMC BFM.

« Notre propre chiffre d’affaires sur ces opérations progresse de plus de 20 % par an. »

Prisma Media tire le même bilan. Les verticales de Capital ou de Femme Actuelle affichent des taux de clic de 20 % et une part d’audience organique élevée, soutenue par un SEO solide.

« Le Discover de Google reste un levier clé, mais nous veillons à diversifier nos sources de trafic, notamment sur les réseaux sociaux », ajoute Dorothée.

Par ailleurs, si l’amorçage de l’audience se fait sur de l’actu chaude via Discover ou les réseaux, le gros du trafic et de la performance vient du maillage des articles plus froids de longue traîne, nous explique t-elle.

Un levier puissant, coincé entre performance et branding

Pourtant, en dépit de ces atouts de puissance et de reconnaissance, le content to commerce ne pèse encore que 5 à 10 % du mix marketing des annonceurs.

Pour Guillaume Bournizien, directeur digital adjoint du Parisien, ce décalage n’a rien d’une surprise.

« Les audiences sont là, mais les budgets ne suivent pas. Les annonceurs classent ces dispositifs dans la performance pure, alors qu’ils servent aussi la considération de marque. »

Même constat pour Renaud Coldepin, directeur des partenariats et du business development de RMC-BFM.

« Les médias génèrent des millions de visites et un volume d’affaires important pour les marchands. Pourtant, ces leviers restent traités comme de simples opérations d’affiliation. »

Dorothée Flückiger, directrice Marketing & Transformation Digitale de Prisma media confirme la difficulté organisationnelle au sein des annonceurs et des agences :

« Ce ne sont pas les mêmes interlocuteurs en agences ou chez l’annonceur. La performance est sous la responsabilité du département affiliation, alors que c’est le directeur marketing qui gère la marque. Les responsables de marque devraient intégrer le content to commerce à leur réflexion de haut de tunnel, pas seulement à la conversion ».

C’est d’ailleurs exactement comme ça qu’est organisé Dyson, comme en témoignait Olivier Simon, son responsable e-commerce et affiliation, lors de la 2e table ronde.

Des freins techniques et culturels

Un autre frein La réponse tient souvent à la maturité technique des annonceurs. Beaucoup n’ont pas encore les outils pour mesurer précisément la performance.

« Le tracking d’attribution coûte cher » , rappelle Renaud Coldepin. Les petits annonceurs ne peuvent s’offrir ces outils, mais de grands annonceurs qui ont ces capacités ne le font pas toujours, non plus. Les plateformes d’affiliation jouent ce rôle, mais tous les marchands ne les utilisent pas. »

Autre frein : la méconnaissance des mécaniques.
Les KPIs du content to commerce ne se limitent pas au CPA (coût par acquisition de prospect). Il y a beaucoup d’autres critères de conversion des annonceurs : CA généré par page vue, EPC (“earning per click” – revenu par clic).

Sans oublier les dispositifs « full performance » : nombre d’euros gagnés pour un euro dépensé.

Les critères de succès mesurent aussi la considération, la durée de vie de l’audience, ou la valeur moyenne du panier.

Enfin, les relations entre régies, rédactions et agences restent complexes.

« Le morcellement du marché publicitaire ne facilite pas la lisibilité de l’offre », reconnait Renaud. Les médias doivent mieux évangéliser sur la complémentarité entre conseil éditorial et efficacité commerciale. »

IA, réseaux sociaux, et futur du content to commerce

Tous observent avec intérêt les nouveaux usages : social-commerce, progression des plateformes d’intelligence artificielle comme ChatGPT…

Le Parisien a relancé ses pages Facebook et explore le social shopping avec Instagram ou TikTok. Guillaume a sélectionné un groupe de créateurs de contenus en affinité forte avec les valeurs du Parisien et très en phase avec la nature des produits qu’il promeut.


Le Parisien exploite aussi le potentiel de l’IA avec des vidéos de mise en situation des produits assez bluffantes.

BFM, teste lui aussi le social commerce via des vidéos produits, tandis que Prisma reste concentré sur Facebook, premier canal de conversion.

L’intelligence artificielle aide déjà à identifier des offres intéressante (RMC-BFM), à adapter les formats et à optimiser les titres. Mais les médias restent prudents sur son utilisation.

« Pas question de déléguer la recommandation à une machine », insiste Dorothée Flückiger. Nous pouvons automatiser des tâches, pas la confiance. »

Vers une évolution de la relation aux annonceurs

Pour Prisma, l’important est de bâtir un partenariat solide avec le client, sur la durée. C’est vraiment ce qui garantit la performance.

Même sentiment à l’écoute de la deuxième table ronde et des échanges entre Matthieu Wolf du Parisien et Romain Leglaive de NordVPN. Le premier dispositif mis en place pour la marque a été un échec total, se sont-ils amusés à rappeler : « 15.000 euros, une vente ».

Mais, manifestement, le directeur du business développement du Parisien a proposé d’autres dispositifs efficaces, car la marque est restée fidèle au groupe de presse.

Guillaume Bournizien a rappelé aussi ses tâtonnements lors de la mise en place des guides d’achat de Paris Match.

« Au début , on a reproduit nos manières de faire au Parisien avec des promos très directe, des titres accrocheurs, mais ça ne cliquait pas. On a fait pas mal de tests, et finalement, ce sont les tendances, par exemples « le top 3 des couleurs de l’été » qui ont fonctionné… »

Conclusion : le message final est clair, le content to commerce n’est plus un gadget, c’est un pilier de la relation entre médias, marques et consommateurs. Reste à convaincre les annonceurs que ces contenus ne sont pas seulement des leviers de clic, mais aussi des espaces de considération, qui servent leurs marques. Enfin, il faudra surveiller la place que vont prendre les plateformes IA sur ce marché et la manière dont les média pourront résister à cette concurrence, ou à ce nouvel intermédiaire payant. On pense au modèle de commission de l’Apple store qui ronge les marges.

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