2 octobre 2025
Temps de lecture : 6 min
J’ai eu le plaisir d’animer une table ronde sur la vidéo et les médias locaux lors de la 6e édition du festival de l’info locale, organisé par Ouest média Lab à Nantes.
Sophie Cassam du Parisien, Antoine Régnault de Puissance Télévision, Adrien Coussonnet du média local En Vrai ! sont venus détailler leur modèle d’affaire et donner leurs conseils en la matière.
La vidéo est reconnue par l’ensemble des acteurs médiatiques présentés comme un impératif stratégique absolu. Elle est devenue une nécessité face aux usages, et par conséquent un passage obligé sur le plan économique, tant elle domine le paysage publicitaire.
La vidéo s’impose comme un passage obligé pour tous les médias, y compris les médias locaux. Elle est l’outil principal pour cibler et toucher les jeunes.
Par ailleurs, la vidéo représente plus de 60 % du volume des publicité numériques traditionnelles (bannières, annonces avant pendant ou après la vidéo).
Cette domination signifie que la survie publicitaire est intrinsèquement liée à la capacité d’un média à produire et diffuser efficacement du contenu vidéo.
S’agissant de cette diffusion, Sophie Cassam du Parisien note qu’il faut en passer par les réseaux sociaux pour toucher les jeunes, qui ne visiteraient jamais le site autrement. Les chiffres du marché publicitaire lui donnent raison.
Le média auvergnat En Vrai ! lui, n’existe que par les médias sociaux. Des formats et un ton efficaces lui permettent de cumuler 225 000 abonnés sur ses réseaux.
Pour Antoine Régnault de la télé locale Puissance TV, la vidéo est bien sûr le point central, mais elle ne peut pas fonctionner seule. Contrairement à la grande majorité des éditeurs de presse, il a fait le chemin inverse en rajoutant une rédaction web pour produire des articles.
👉 Ceci contredit l’idée selon laquelle l’écrit serait mort : non, une part des utilisateurs (voire tous) en consomment toujours, mais pas dans les mêmes proportions. C’est le mix écrit/visuel qui a changé.
La monétisation directe des plateformes est faible : l’inventaire vendu par la régie de YouTube se situe entre 2 et 3 euros RPM (revenu pour mille impressions) pour Le Parisien. Et encore, ce chiffre est bien plus élevé que la moyenne des sites. Le quotidien ne doit ce traitement de faveur (« Youtube partner Sales ») qu’à son volume de production énorme (500 vidéos par mois).
TikTok, bien qu’essentiel pour la présence, ne rapporte rien actuellement en publicité directe. Même chose pour Snapchat qui n’a pas développé de plan de monétisation publicitaire.
Vu le volume des vidéos concernées, Le Parisien réalise quand même un tiers de son chiffre d’affaire via Youtube, mais la plateforme vidéo récupère la plus grosse part du gâteau.
Pour contourner cette faible rémunération, le principal enjeu économique est donc de reprendre le contrôle de son inventaire. Lorsque la régie du Parisien vend elle-même ses publicités, le RPM monte en moyenne à 10 euros, soit trois à cinq fois plus !
De manière très habile, Le Parisien a d’ailleurs réussi à doper cet inventaire en multipliant les vidéos embarquées dans les articles (de 15 % à 33 %) grâce à un outil IA « maison » (une suggestion automatisée que les journalistes peuvent refuser et limitée à un tiers des vidéos pour conserver un niveau de qualité suffisant).
Les vidéos verticales sur le site et l’application du Parisien inspirées des réseaux sont aussi une manière de reprendre la main et d’obtenir des KPI d’engagements plus forts.
La TV connectée (CTV) connaît une croissance fulgurante. Derrière ce mot, on range plusieurs acteurs : les plateformes de streaming (SVOD) de type Netflix, les plateformes des chaînes de télé (BVOD) : TF1+, M6+, France.tv…
Et il faut ajouter l’AVOD, la vidéo à la demande principalement financée par la publicité (Youtube, Rakuten, Pluto TV, Molotov…) qui représente la plus grosse part de cette CTV, et le segment en croissance la plus forte selon le dernier rapport du WARC (World Advertising Research Center)
La CTV totalisait déjà 43% du display vidéo en 2024 et elle continue de prendre des parts de marché au secteur web. Au premier semestre 2025, la CTV représentait 49% de tous les supports vidéo (mobile, PC, CTV).
👉 NPA Conseil prévoit que le chiffre d’affaires de la CTV en France dépassera 3 milliards € en 2032, soit six fois plus qu’en 2024.
Face à l’effondrement général des CPM et à la concurrence de cette CTV, la stratégie consiste à miser sur les formats longs (20 minutes pour Le Parisien).
Ces formats monétisent très bien sur YouTube car ils permettent trois emplacements publicitaires, ce qui les rend donc au moins trois fois plus rentable.
C’est aussi la raison pour laquelle Ouest France s’est lancée dans la TNT. Sur une autre table ronde, Fabrice Bakhouche, directeur général de Sipa Ouest France expliquait combien le marché télévisuel était mieux rémunéré avec des CPM moyens 5 à 6 fois plus élevés (50 à 60 euros du mille).
La télé connectée dispose de KPI beaucoup plus exigeants que le web (taux de complétion à 80%, brand safety/suitability, « clic to play ») qui séduisent, de fait, les annonceurs.
👉 Voir aussi : Les chiffres clés de l’usage et du business vidéo: la télé classique résiste d’autant mieux qu’elle se numérise
Le Brand Content représente 50% des revenus de Puissance Tv, 40 % des revenus vidéo du Parisien et 90 % de ceux d’En Vrai !
Pour Adrien Coussonnet, la clé est de concevoir les contenus partenaires avec la même exigence que les autres, en songeant à l’intérêt du public d’abord et en adoptant les codes et le ton des réseaux.
En Vrai ! s’appuie par exemple beaucoup sur le format Reel 9/16 (30 à 90 secondes) pour les réseaux sociaux et conçoit des opérations créatives, fun et qui font donc de l’audience.
Exemple de vidéo promotionnelle, conçue comme un vrai divertissement :
Mais la clé est de produire au-delà de l’actualité chaude pour inclure des contenus de divertissement et de passion, des séries (food, vélo, fact checking, sport comme chez Puissance TV) pour attirer et fidéliser le gros du public.
C’est une des raisons pour lesquelles, au Parisien, la production de Brand Content est gérée par une équipe à part (2 à 3 personnes) positionnée du côté de la rédaction, non de la régie. Ce, pour garder le même esprit et le même niveau d’exigence que la rédaction.
Pour certains médias locaux, la vidéo se monétise bien mieux au plan local, plutôt qu’en package dans des régies nationales.
C’est le cas de Puissance TV qui a quitté la régie nationale « 366 » car la faiblesse des tarifs publicitaires pour des écrans vendus à la découpe ne rapportait rien. Ils ont choisi au contraire de privilégier la publicité locale, qui est 4 fois mieux rémunérée.
Les RPM en local sont meilleurs, notamment en ruralité, en raison du maillage territorial plus faible et du lien affectif avec les annonceurs locaux.
Du côté de « En vrai! « , c’est pareil : ses clients B2B sont des institutions, des grands groupes locaux, et des TPE, dont 90 % sont situés dans le département du Puy-de-Dôme.
Pour Puissance TV, l’activité de chaîne de télévision, pourtant centrée sur la vidéo, est la moins rentable (70 % des coûts pour 50 % du CA).
C’est pourquoi le groupe a développé un centre de formation (30 % du CA) et une agence de Production et de communication (35 % du CA).
On peut faire la parallèle avec la presse qui vit beaucoup aujourd’hui des diversifications : événementiel, agence de com’, e-commerce (ex: le guide d’achat du Parisien)
Quant à l’innovation technologique, elle permet une meilleure efficacité dans la production, pour aller plus vite. Les journalistes du Parisien utilisent un Stack technique pour publier facilement sur quatre plateformes et Wine Mocka pour accélérer la diffusion (représentant 1/4 de leur temps).
En Vrai ! utilise beaucoup l’IA pour optimiser le temps de production et de rédaction :
◦ Elle permet de faire un condensé d’interview avec un simple prompt pour l’équipe rédactionnelle
◦ Elle est utilisée pour le SEO
◦ L’IA permet également l’animation de photo pour des plans de coupe.
.◦ L’outil Heygen est utilisé pour la production vidéo avec des avatars, permettant d’automatiser des sujets et de réduire les coûts.
En conclusion, si la vidéo est un passage obligé, sa rentabilité est conditionnée par la capacité du média à maîtriser son inventaire, à cibler des formats longs et à développer le contenu de marque. Le tout, en maximisant ses sources de revenus, notamment en misant sur l’autonomie locale, la diversification des activités et l’innovation.
👉 Ecoutez aussi le podcast audio (20 mn) généré à partir de mes 11 pages de notes :
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