19 juin 2025

Temps de lecture : 3 min

Vers une publicité pilotée par des agents autonomes ?

Au Festival Cannes Lions, l'IA agentique est sur toutes les bouches. Pour Rui de Freitas, co-fondateur de C Wire, le secteur de l'adtech va voir apparaître des agents logiciels autonomes, capables de prendre des décisions, d’apprendre de leur environnement et de coopérer entre eux. Il nous en dit plus sur sa vision de la transformation du secteur.

Rui de Freitas. Crédits : Minted

Est-ce que vous pouvez expliquer ce que vous entendez par « IA agentique » chez C Wire ?

Rui de Freitas: Chez nous, l’agentique repose sur trois grands principes. D’abord, les agents doivent être autonomes. Ils doivent être capables de prendre des décisions sans intervention humaine. Ensuite, ils doivent apprendre et s’adapter à partir des situations et des données rencontrées. Enfin, il est essentiel qu’ils puissent communiquer et coopérer entre eux. Si un agent ne peut pas coopérer, ça reste une simple boîte noire, un logiciel d’apprentissage isolé, proche du machine learning classique.

Concrètement, comment cela se traduit dans vos solutions ?

Prenons un cas simple: un annonceur arrive avec un brief. Notre ad server agentique le reçoit. Ensuite, notre couche d’orchestration, qui peut être autre chose qu’un ad server, identifie quels agents sont nécessaires: un agent créa, un agent compliance, etc. Par exemple, l’agent créa va générer des propositions de publicités, tandis que l’agent compliance, souvent celui de l’annonceur, va valider ces propositions. Les agents échangent, apprennent de leurs résultats et ajustent leurs décisions au fur et à mesure.

Comment les agents communiquent-ils entre eux ? Existe-t-il un protocole spécifique ?

Grâce à des API, les agents communiquent entre eux des informations comme leurs intentions, leurs capacités, leurs contraintes. La couche d’orchestration en déduit comment organiser leur collaboration. Il existe des principes inspirés de l’IA multi-agents en dehors de l’adtech. L’avantage, c’est qu’on n’a pas besoin de structurer la donnée autant qu’avec des protocoles comme OpenRTB. Mais l’inconvénient, c’est que ce n’est pas très efficace en termes de ressources, surtout à grande échelle. Lorsque nous travaillerons avec des partenaires, ils auront adopté un certain type de standards. Je pense que dans 12-18 mois, IAB Tech Lab proposera une première version de standardisation agentique. Sinon, chacun développera dans son coin et les agents ne pourront pas communiquer entre eux. Ce serait contre-productif. Il faut donc une sorte de langage commun, un protocole, pour permettre l’interopérabilité.

Et que se passe-t-il si des agents ne sont pas d’accord entre eux ?

C’est là que la couche d’orchestration entre en jeu. Elle prend des décisions. Elle joue un rôle un peu comme un chef d’orchestre ou un arbitre. Nous développons actuellement cette couche, car on a déjà notre propre bidder, notre ad server et des outils d’analyse créative. Nous sommes à la fois une brique et l’orchestre de ce système. On voit cette couche d’orchestration comme un serveur avec des API, que d’autres entreprises pourront utiliser sous licence. Comme AppNexus à l’époque. L’objectif, c’est de rendre cette technologie interopérable pour que n’importe quelle plateforme ou annonceur puisse connecter ses propres agents.

Est-ce que vous pensez être en avance sur le marché avec cette approche ?

On essaie. On construit nos briques rapidement, parfois un peu trop d’ailleurs. Mais on veut surtout se concentrer sur l’agent créa contextuel, car on pense être très bien positionnés là-dessus. Ensuite, on développera la couche d’orchestration de manière ouverte, pour qu’elle puisse s’adapter aux agents des annonceurs. Si j’étais IAS ou DoubleVerify, je construirais un agent de compliance. Chacun peut développer une spécialité : nous, la créa contextuelle; eux, la brand safety; d’autres, l’optimisation média. Mais il faut qu’ils puissent communiquer via des standards.

C’est ce qui semble être également l’ambition de Scope3 notamment…

Scope3 nous ressemble beaucoup, on est proches dans l’approche. Brian O’Kelley veut aller encore plus loin: orchestrer via une DSP agentique, connecter à des SSP, intégrer des signaux de durabilité, etc. Il cherche à capter la valeur que créent aujourd’hui les DSP et SSP traditionnels.

Est-ce que vous pensez que les grandes plateformes comme Meta ou Microsoft vont aussi se lancer sur ce marché ?

Meta, probablement, mais ils resteront centrés sur leur propre écosystème. Ils n’ont aucun intérêt à rendre leurs agents exportables. Nous, en revanche, on veut que nos créas contextuelles puissent s’intégrer partout, même chez Meta, YouTube ou ailleurs. Pour les PME, Meta ou Google peuvent suffire. Mais les grands groupes ont besoin de contrôle : valider les messages, respecter les valeurs de la marque, assurer la cohérence du ton. Et ça, ce n’est pas trivial. Il faut pouvoir expliquer les décisions des agents, c’est ce qu’on appelle l’explainability, un aspect très important pour nous en Europe. Le marché a besoin d’outils qui garantissent la transparence, la confiance, et l’interopérabilité. Les LLM, comme celui d’OpenAI, seront aussi clés pour analyser les performances de manière narrative plutôt que via des tableaux Excel. Et à terme, on pourra juste demander : « Cette campagne a-t-elle bien fonctionné ? », et l’agent nous expliquera tout, simplement.

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