Ce big bang techno qui relancera (peut-être) le marché pub TV


  • Le secteur doit entamer sa mue, alors que la durée d’écoute du linéaire fond comme neige au soleil et que les annonceurs se tournent vers Youtube et cie. Aux régies TV d’accélérer sur le virage techno et “total video” pour prospérer à l’ère des TV connectées.

Faire entrer les régies TV dans une nouvelle ère : celle du “total video”. C’est le défi qui se pose aujourd’hui aux dirigeants de TF1 Pub, FranceTV Publicité, M6 Publicité et cie. Il y a urgence, alors que les recettes publicitaires de la télévision linéaire se contractent en même temps que sa durée d’écoute individualisée (DEI). Et qu’il ne fait guère de doute que cette dernière sera, à terme, dépassée par les nouveaux modes de consommation (catch-up, AVOD, Fast), comme c’est déjà le cas aux Etats-Unis.

Pour tous nos broadcasters français, une même obsession : s’assurer que leurs revenus publicitaires suivent cette évolution des usages. Dit plus crûment, ne pas être les laissés-pour-compte de cette révolution “connected TV” (CTV) qui risque de consacrer Youtube, Netflix et consorts. Car les régies ont eu beau faire des efforts pour rendre leur inventaire linéaire plus conforme aux évolutions du marché publicitaire, en l’ouvrant à de nouveaux ciblages, via la data shopper, et de nouveaux acheteurs, grâce au programmatique, cela ne suffira pas, en témoignent les faibles revenus que ces offres génèrent chez elles.

Les chantiers sont nombreux. D’abord, faire évoluer la stratégie de programmation. Préserver le linéaire tout en renforçant sa présence sur les autres points de contact. Le nouveau PDG de TF1, Rodolphe Belmer, l’a bien compris, qui a fait de la “délinéarisation” son maître-mot. Il s’agit de donner une nouvelle vie aux programmes du linéaire sur les environnements numériques mais aussi de proposer des contenus pensés pour ces nouveaux espaces. Et ainsi, faire en sorte que MyTF1 devienne une plateforme streaming à part entière, plus qu’une simple plateforme replay. Une stratégie partagée par ses principaux concurrents. Depuis M6 qui s’associe à Konbini pour faire du Fast jusqu’à France Télévisions qui fait de même avec SoFast. Le trio va d’ailleurs pouvoir profiter de la mort de Salto pour consolider son offre de streaming à renforts d’avant-premières digitales.

 “Les annonceurs ont besoin de reconstituer ce reach massif qu’ils avaient, par le passé, avec le linéaire”

Ensuite, s’assurer que les nouveaux outils de mesure reflètent au mieux la consommation réelle de contenus TV, qui deviennent donc multi-écrans, à l’image d’un “Pekin Express” dont 27% de l’audience totale provient désormais du replay. “C’est le sens de l’évolution de la mesure Médiamétrie qui, début 2024, intégrera les audiences réalisées en replay via l’IPT V et dédupliquera les contacts avec ceux du flux live”, rappelle Vincent Salini, directeur commercial numérique chez France Télévisions Publicité.

Un bon moyen de rappeler la puissance de frappe des broadcasters français en permettant, par exemple, à TF1 de vendre de concert le prime-time d’un Koah Lanta, son audience replay en IPTV et applications CTV et, pourquoi pas, mâtiner le tout d’un peu de TV segmentée sur la cible de l’annonceur. “Les annonceurs ont besoin de reconstituer ce reach massif qu’ils avaient, par le passé, avec le linéaire”, témoigne un connaisseur du secteur.

Les grands groupes audiovisuels le peuvent-ils ? Il s’agira, pour cela, de permettre aux acheteurs, dont la plupart des cellules sont devenues multiscreen, de pouvoir effectuer les bons arbitrages. En d’autres termes, d’être capables de savoir qui d’une chaîne de TV ou d’un acteur de la VOL répond le mieux aux objectifs d’une campagne donnée, en termes de reach sur cible. Mais avant toute chose, il va falloir que le marché s’accorde sur des standards. Standards sur la notion de contact publicitaire d’abord. Il y a beaucoup à faire pour être capable de s’assurer qu’on parle de la même chose lorsque Médiamétrie s'attellera à la mise en place d’une mesure Total Vidéo commune à tous les acteurs du marché (TV, YouTube, Meta, AVOD). 

Parce qu’aujourd’hui, la norme digitale considère qu’un contact est établi après deux secondes d’exposition à une vidéo quand en télévision linéaire il est pondéré par la durée d’exposition. Et que cette même télévision linéaire mesure ses audiences par écran publicitaire (un tunnel de plusieurs spots) alors que le digital raisonne en impression. Même si, comme le rappelle Vincent Salini, le déploiement du watermarking va permettre aux régies de faire de la mesure “spot à spot”. Sans compter qu’il faudra également trouver un moyen de pondérer la qualité d’exposition selon le device (celle d’un écran TV n’a rien à voir avec celle d’un mobile) et peut-être que les champions de l’attention, comme xpln.ai, qui est testé par un broadcaster français, aura dans cette perspective une carte à jouer. 

Le passage au CPM reporté au 1er janvier 2025

Il y a également besoin de standards dans la monnaie d’achat, alors que la TV linéaire s’achète en GRP et le digital en CPM. Ce dernier peut-il s’imposer comme la devise unique de la vidéo ? C’est le souhait de TF1 Pub et M6 Publicité, qui espérait une bascule d’ici début 2024 (le GRP subsistant pour aider les mediaplanneurs à travailler couverture et répétition). Le duo y voit l’occasion de déconstruire le discours des grandes plateformes de vidéo en ligne, qui martèlent depuis des années qu’elles sont plus abordables alors qu’en réalité, c’est surtout le ticket d’entrée qui est plus bas.

Un discours qui, comme Minted vous le rappelait dans une enquête, fait débat côté acheteurs et qui a d'ailleurs contraint le SNPTV à revoir son planning. Le passage au CPM a été, selon nos informations, reporté au 1er janvier 2025. Une sage décision à en croire un acheteur, qui estime que "personne n'aurait été prêt pour octobre prochain, période de publication des CGV." Notamment parce que personne n'est, comme évoqué plus haut, d'accord sur la définition d'une impression en TV.

Il y a, enfin, le sujet de standards sur les sets de données disponibles enfin. Parce que la TV linéaire s’achète essentiellement avec de la donnée socio-démo et que la vidéo en ligne s’achète, elle, surtout via des cibles intentionnistes. “Agrémenter le mediaplanning TV linéaire à partir d’autres sets de datas, qu’il s’agisse de données issues des telcos ou de fabricants de smart TV, elle est là la vraie révolution”, confirme Emmanuel Crego, le GM du groupe Values.

On sait que les premiers, par lesquels transite la TV segmentée, sont plutôt protectionnistes sur le sujet de la data, considérant qu’elle doit restée à la main du sell-side. Alors que les seconds, Samsung, LG et autres, pour l’instant plutôt discrets, ont une vraie carte à jouer, l’essentiel des TV vendues en France étant désormais connectables. Emmanuel Crego l’a rappelé dans cette chronique pour Minted l’avènement de la TV connectée va occasionner une belle bataille de distribution entre telcos et fabricants de Smart TV. Une opportunité pour les broadcasters, estime Emmanuel Crego, qui pourront 1) partir à la conquête des spectateurs qui se sont détournés du linéaire de la box 2) reprendre la main sur l’utilisation de la data à des fins de ciblage plutôt que d’être dépendants des telcos. Une data qui deviendrait, de facto, plus liquide et pourquoi pas, accessible aux acheteurs, comme c’est le cas en digital, via l’open auction. 

Sous réserve que les outils d’achat évoluent. Il s'agit de permettre aux agences médias de regagner en productivité alors que, comme vous le confessera n’importe quel acheteur, la gestion de la diffusion des campagnes pub TV est devenue très chronophage en même temps que les régies TV ont complexifié leurs offres. Il s’agit également d’imaginer une interface depuis laquelle l’acheteur pourrait piloter TV linéaire, TV segmentée et VOL. 

Qui pour jouer ce rôle ? Peut-être Popcorn Media. L’outil de référence dans le linéaire a le mérite d’agréger trois composantes clés de l’achat média TV : la programmation des chaînes, via les EDI, les audiences de ces programmes, via une intégration à Médiamétrie, et la tarification des régies. Mais l’outil, déjà très critiqué pour son interface pas vraiment user friendly (les acheteurs passent leur vie à y faire des extracts pour basculer sur Excel), n’a absolument pas accompagné la bascule du monde de la TV linéaire vers le digital. “On n’a par exemple aucun moyen d’y remonter l’audience du replay ou de la CTV”, illustre Magalie Delmas, directrice générale trading chez Heroiks.

Pas ou quasiment pas d’offre VOL chez Popcorn Media (on peut y acheter les campagnes hybridées de TF1 PUB, avec jusqu’à 8% du GRP en VOL). “L’outil n’a très peu évolué en 20 ans. La dette technique est telle qu’il lui faudrait repartir de zéro pour s’adapter aux nouveaux usages”, estime un acheteur multiscreen en agence média. 

Alors qui ? Pourquoi pas Addside, nouveau venu dont nous vous parlions il y a quelques semaines dans Minted. Ou encore Prisma Mediaocean, solutions qu’utilisent Publicis Media et GroupM pour gérer la programmation et la facturation des campagnes VOL. Solution qui est compatible avec la TV linéaire et qui dispose d’un interfaçage avec certains DSP comme The Trade Desk. Les DSP justement, parlons-en. Alors que deux des plus en vue, The Trade Desk et Xandr, sont désormais compatibles avec les environnements de TV segmentée. Des acteurs qui pourraient se positionner sur l’achat de TV linéaire non adressée, une fois que le secteur aura basculé vers le CPM. 

Ce serait dans la logique des choses s’il n’y avait pas un écueil de taille : le fait que le leader du marché, DV 360, appartient à Google. “Tant que ce sera le seul outil qui permet d’acheter Youtube, je ne vois pas un autre DSP réussir à s’imposer”, explique notre acheteur anonyme. Le Digital Marketing Act (DMA) y remédiera sans doute puisqu’il s’attaque à la pratique du “self preferencing” et pourrait, ce faisant, contraindre Google à ouvrir Youtube aux autres DSP. Mais le calendrier reste encore flou…

Difficile pour un DSP de justifier 10 à 15% de commission quand sa valeur ajoutée se cantonne à de l’automatisation

Et puis, il faudrait que les DSP fassent évoluer leur proposition de valeur alors que, comme le rappelle Emmanuel Crego, “aucun n’est capable de prévoir l’audience d’un programme en TV linéaire, une feature clé pour les agences qui négocient des volumes.” D’autant qu’en l’absence d’accès à la data côté buy-side, comme c’est le cas en TV linéaire, ils auront un intérêt limité. L’exemple de la TV segmentée, qui reste en très grande partie acheté en gré à gré, l’a bien montré. Difficile pour un DSP de justifier 10 à 15% de commission quand sa valeur ajoutée se cantonne à de l’automatisation. Ce même si on retrouve tous les codes du digital (CPM et metriques de diffusions quasiment temps réel).

On le voit aussi sur le volet TV linéaire, où les offres programmatiques de TF1 Pub, OnePTV, et Adkymia, pour France TV Pub et M6 Pub, sont négligées par les grandes agences médias. “Le marché de la pub TV fait la part belle aux centrales d’achat et aux négociations annuelles. Ça laisse peu de place pour ce genre d’outils”, contextualise notre acheteur. Difficile, dans ces conditions, de faire du programmatique autre chose qu’un complément de revenus qui permet d’adresser la longue traîne des acheteurs. 

Changer les mentalités... avant de changer les outils

Alors à quand le big bang techno pour le marché pub ? “C’est encore prématuré”, prévient notre acheteur anonyme, qui estime qu’avant de tout révolutionner côté outils, il va falloir aussi changer quelques mentalités. En agence, où les acheteurs qui sont aussi bons sur le digital que la TV linéaire sont encore rares… mais aussi côté régies. Preuve en est, cette anecdote de Magalie Delmas. “Je me suis récemment battue avec une régie TV pour pouvoir allouer une partie de l’enveloppe sponsoring d’un programme TV au replay en ligne.” Compliqué à accepter pour la régie en question, qui refusait de rogner sur les revenus du linéaire et ce, même si l’argent concerné restait dans les poches du groupe. Une histoire de P&L silotés sans doute. 

“Quand je suis partenaire d’un programme, je veux l’être quel que soit l’environnement”, rappelle Magalie Delmas. Une revendication qu’on pensait acceptée des dirigeants de régie TV (du moins si l’on se fie à leurs différentes prises de paroles) mais qui l’est peut-être moins de certaines de leurs équipes. “Pour beaucoup, la VOL ça doit être du revenu additionnel, pas un transvasement”, observe Magalie Delmas. Une erreur, estime la dirigeante, alors que “pour les régies de TF1 et France TV, le risque, c’est plutôt que l’argent des marques aille sur Youtube.” Les voilà prévenus…