14 octobre 2025

Temps de lecture : 4 min

The TV Society : la télévision française a-t-elle une chance de survie à l’ère numérique ?

Dans ce nouvel épisode de The TV Society, une émission Minted produite par THE SOCIETIES.MEDIA, Michel Juvillier et ses invités s'interrogent sur la transformation des chaînes de télévision traditionnelles, qui font face à un défi fondamental : rivaliser avec les géants du numérique.

Dans un paysage médiatique saturé, la capacité à capter et à retenir l’attention du public est devenue la pierre angulaire de la survie et de la pertinence des acteurs historiques.

Pour les chaînes de télévision traditionnelles, le défi est fondamental : rivaliser avec les géants du numérique (Netflix, YouTube, TikTok) qui ont redéfini les modes de consommation et fragmenté les audiences. La bataille pour l’attention n’est plus seulement une question de programmation, mais une course à l’innovation pour rester au cœur des usages du public.

L’analyse de la consommation médiatique révèle avant tout un clivage générationnel profond, qui structure aujourd’hui le marché :

  • Une audience linéaire vieillissante : Selon Cyril Frank, Directeur des rédactions du groupe Influencia, l’âge moyen du téléspectateur de la télévision linéaire en 2023 s’élevait à 57 ans, illustrant une déconnexion croissante avec les publics plus jeunes.
  • La primauté de la consommation « délinéarisée » : Les jeunes générations ont massivement adopté une consommation à la demande, choisissant leurs contenus sur les plateformes de streaming et les réseaux sociaux, en dehors des grilles de programmes fixes.
  • Des moments de « resynchronisation sociale » : La télévision conserve une capacité unique à rassembler toutes les générations lors d’événements majeurs. Ces moments, comme les Jeux Olympiques, les grandes cérémonies ou les événements sportifs, créent un sentiment d’urgence et de partage collectif qui transcende les âges.

L’adoption des codes numériques

Les acteurs traditionnels ripostent en s’appropriant les codes du numérique pour rajeunir leur audience et s’adapter aux nouveaux usages. Julia Luczak-Rougeaux, rédactrice en chef adjointe de Minted, met en lumière plusieurs initiatives clés :

  • Le lancement de plateformes de streaming propriétaires, comme TF1+ en 2024, qui s’inscrit dans un plan de « redigitalisation » sur trois ans. L’objectif est de concurrencer directement les plateformes américaines sur leur propre terrain.
  • L’introduction de micro-contenus payants et exclusifs, à l’image de l’offre proposée pour la Star Academy. Ce modèle permet de proposer du contenu « snackable » et à la carte, répondant à une demande de consommation plus flexible et personnalisée.

Parallèlement, la télévision capitalise sur ses forces intrinsèques, que les algorithmes peinent encore à répliquer. Philippe Bailly, Président-Fondateur de NPA Conseil, souligne que la valeur ajoutée des médias historiques réside dans un savoir-faire humain, opposant la curation à la machine :

  • La programmation éditoriale : Face à la navigation individuelle guidée par algorithme, la télévision oppose son « art de raconter et d’enchaîner les histoires » pour guider le spectateur. Cette proposition de valeur « humano-centrique » contraste avec le modèle de découverte « machino-centrique » des plateformes.
  • La qualité de production et l’expérience du grand écran : Le téléviseur dans le salon reste le support privilégié pour une expérience immersive qui favorise un niveau de concentration supérieur. Ce contexte qualitatif renforce l’impact des contenus et constitue un avantage compétitif majeur.

La réinvention du modèle publicitaire

L’impératif pour la télévision historique est de transformer son modèle publicitaire pour rivaliser avec l’agilité et la précision du ciblage offertes par les plateformes numériques. Les annonceurs, habitués à la mesure fine de la performance digitale, exigent désormais des solutions plus flexibles et plus efficaces.

Cette transformation de l’offre publicitaire s’appuie sur plusieurs innovations majeures :

  • La télévision segmentée/adressable : Cette technologie brise le modèle de diffusion unique en substituant des spots publicitaires ciblés au sein d’un même flux, apportant ainsi la précision du digital à l’échelle de la diffusion de masse.
  • La simplification de l’achat (« plateformisation ») : Une tendance de fond vise à rendre l’achat d’espaces TV aussi simple et accessible que celui sur Google ou Facebook. Par exemple, MNTN aux États-Unis, cité par les experts, illustre cette évolution vers des plateformes en libre-service, une voie également suivie par des initiatives de France Télévision.
  • L’apport de l’intelligence artificielle : Philippe Bailly identifie deux avantages clés de l’IA dans cette modernisation. D’une part, elle simplifie l’analyse des indicateurs de performance. D’autre part, elle permet de créer des spots publicitaires de qualité acceptable à des coûts réduits, ouvrant ainsi le marché télévisuel aux PME.

Malgré l’essor du numérique, le modèle publicitaire de la télévision linéaire démontre une résilience remarquable et un potentiel de croissance significatif grâce à ces innovations.

  • Solidité du linéaire : Julia Luczak-Rougeaux rappelle que 90% des revenus publicitaires de TF1 proviennent encore de la télévision linéaire, soulignant son poids économique majeur.
  • Le potentiel de la « longue traîne » : La télévision connectée et segmentée permet désormais d’attirer des annonceurs aux budgets plus limités qui constituaient jusqu’ici le fonds de commerce des géants du web.

Cependant, un défi majeur persiste pour consolider cette transformation : la mesure d’audience « cross vidéo ». L’écosystème attend avec impatience la mise en place d’un standard unifié, capable de mesurer et de dédupliquer les audiences sur tous les écrans. Si une première estimation évoquait un horizon 2026-2027, les experts s’accordent désormais sur une échéance plus proche, Philippe Bailly précisant que cette solution stratégique est attendue dès le premier trimestre 2026.

Stratégie de contenu : la quête des moments collectifs

Face à une tendance sociétale de fond que Cyril Frank qualifie d’« archipélisation de la société », le rôle historique de la télévision comme créateur de moments collectifs devient un atout stratégique majeur. Alors que les algorithmes favorisent l’individualisation, l’enjeu pour les chaînes est de savoir recréer de la synchronicité, de rassembler les publics autour d’expériences partagées qui génèrent de la conversation et du lien social.

Dans ce contexte, les grands évènements en direct, les formats de divertissement structurants ainsi que la convergence avec les créateurs web, sont des leviers importants pour recréer ce lien.

Redéfinir ce qu’est la télévision

À l’horizon des cinq prochaines années, la question de l’évolution du secteur n’est pas seulement terminologique. La distinction entre « télévision » et « vidéo » reflète des modèles économiques, des usages et des stratégies fondamentalement différents qui façonneront le paysage médiatique. La question n’est pas de savoir si un univers remplacera l’autre, mais comment ils coexisteront et s’influenceront.

Dans ce contexte, les futurs rapports de force et modèles économiques seront marqués par une hybridation croissante :

  • L’émergence des constructeurs de TV comme « gatekeepers » : Julia Luczak-Rougeaux anticipe que les fabricants de Smart TV, via leurs systèmes d’exploitation (OS), pourraient devenir les nouvelles portes d’entrée vers les contenus.
  • L’hybridation des usages : Les frontières s’estompent à mesure que des plateformes comme YouTube et Twitch sont de plus en plus consommées sur l’écran de télévision du salon, traditionnellement réservé aux contenus « premium ».
  • L’innovation publicitaire « multi-device » : De nouveaux formats, comme les QR codes à scanner ou les pause ads (publicité qui apparaît lors d’une pause), créent une synergie directe entre le téléviseur et le smartphone, ouvrant de nouvelles opportunités.

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