12 septembre 2025
Temps de lecture : 5 min
Depuis plusieurs semaines, SSP et observateurs s’offusquent d’une décision qu’aurait prise The Trade Desk (TTD) pendant l’été : reclassifier les SSP comme simples « revendeurs ». Jusqu’ici, les SSP étaient considérés comme un canal direct entre vendeurs et acheteurs dans la plateforme, comme un chemin d’accès pour acheter de l’inventaire chez les éditeurs. Mais une simple phrase, ajoutée dans le portail dédié aux partenaires, a récemment mis le feu aux poudres :
« Nous considérons les SSP comme des intermédiaires car ils ne constituent pas un accès direct à l’inventaire ».
Selon un journaliste du média Digiday, qui a obtenu l’information en « off », les SSP seraient désormais considérés par défaut comme des revendeurs dans l’outil d’achat Kokai de The Trade Desk, sauf lorsqu’ils sont achetés via Sellers and Publishers 500+ (qui permet aux acheteurs de cibler des utilisateurs sur environ 500 éditeurs premium).
S’ils sont considérés comme revendeurs, ils sont alors mis sur le même plan que des sous-régies ou des curateurs tels que Smile Wanted ou Adagio qui repackagent l’offre des éditeurs pour la revendre sur des adexchanges. Ces intermédiaires seraient alors moins souvent sélectionnés par The Trade Desk, qui favorise les « chemins d’approvisionnement propres ».
En 2022, The Trade Desk a justement lancé « Open Path », sa solution qui se connecte directement à l’inventaire des éditeurs, sans passer par les SSP. Un chemin d’approvisionnement considéré comme propre par TTD.
L’entreprise serait-elle en train de favoriser ses propres canaux ? Quel serait alors son intérêt ?
Selon Léo Goldfeder, formateur et expert en publicité digitale, The Trade Desk a deux intérêts à déclasser les SSP.
Le premier est de remonter dans la chaîne de valeur. Les DSP sont aujourd’hui beaucoup plus matures qu’il y a dix ans, suite à un phénomène de consolidation du marché.
Ce passage à un marché dominé par quelques DSP permet à ces plateformes de court-circuiter les SSP, en conservant leur marge. Certaines régies, comme Google, Meta ou Amazon, vendent déjà leur inventaire de manière exclusive et contrôlent toute la chaîne de valeur, de la DSP à la SSP.
« Au départ, TTD a dû effectuer un travail commercial pour contacter les éditeurs et ils disposent désormais de moyens de vente automatisés », ajoute Léo Goldfeder.
Un acteur du marché, qui travaille avec les SSP et souhaite rester anonyme, partage cet avis. Selon lui, le buy-side comme le sell-side essayent de récupérer du pouvoir sur le decisionning.
« C’est un move audacieux de la part de The Trade Desk », analyse-t-il, « L’entreprise a un scope international et a intérêt d’aller du côté sell-side pour réduire le coût média et obtenir des signaux data pertinents, pour gagner en valeur ajoutée ».
The Trade Desk deviendrait aussi, en quelque sorte, un « walled garden » selon certains observateurs. Pourtant, elle se veut être un acteur incontournable de « l’open garden ».
« The Trade Desk favorise clairement Open Path »
Le deuxième intérêt de cette reclassification selon Léo Goldfeder est d’obtenir un inventaire le plus exhaustif et exclusif possible. Pour cela, The Trade Desk profite des faiblesses des SSP.
« Les SSP n’ont parfois pas une valeur ajoutée à la hauteur de leur tarif. Bien que souvent, ils font un travail remarquable pour les régies pour vendre de l’inventaire moins qualitatif que la moyenne, en faisant des deals pour les acheteurs notamment« , déclare-t-il.
C’est pourquoi, avec des moyens technologiques importants, les DSP peuvent marcher facilement sur les plates bandes des SSP.
Même s’il ne s’agit pas d’une guerre ouverte avec les SSP, The Trade Desk favorise clairement Open Path, estime notre interlocuteur anonyme.
Franck Lewkowicz, directeur France de Pubmatic, un SSP qui travaille avec The Trade Desk, ne voit pas pour le moment d’impact pour son business sur le marché français. Mais il n’exclut pas que cela puisse évoluer par la suite.
Le fait que TTD ne soit pas connecté à beaucoup d’éditeurs en direct en France peut expliquer cette faible répercussion.
Selon le représentant de Pubmatic, cela crée néanmoins de la confusion.
« Jusqu’ici, les DSP, dont The Trade Desk, nous ont fait confiance. Le marché était ouvert et la concurrence saine. Cette décision apporte de la confusion dans un marché déjà compliqué qui aurait plutôt besoin de clarté et de transparence. En tant que partenaire, nous allons suivre de près les éventuels changements », explique Franck Lewkowicz.
Face à ces accusations, The Trade Desk, que nous avons interrogé, insiste sur le fait qu’aucune reclassification n’a eu lieu, affirmant plutôt qu’il s’inscrit dans la lignée des directives de l’IAB Tech Lab en considérant les SSP comme des intermédiaires.
Selon Sven Hagemeier, Directeur général du développement de l’inventaire de The Trade Desk pour la région EMEA, explique que cette perception d’un changement pourrait découler de la visibilité croissante de TTD sur la chaîne d’approvisionnement.
« Le lancement de Kokai et, il y a près de trois ans, d’OpenPath, a rendu plus visible la direction que TTD souhaite prendre pour aider ses clients à maximiser la valeur de sa plateforme et à renforcer l’internet ouvert face aux walled gardens », développe-t-il.
« L’algorithme de TTD, notamment avec les améliorations de Kokai, est conçu pour être neutre » – The Trade Desk
Il rappelle que la philosophie centrale de TTD est de rester exclusivement du côté des acheteurs, garantissant une objectivité totale au service de ses clients.
« L’algorithme de TTD, notamment avec les améliorations de Kokai, est conçu pour être neutre, choisissant toujours le chemin le plus efficace pour diffuser une publicité, et ce, de manière objective à chaque impression », continue-t-il.
Il ne s’agit donc pas de diriger les dépenses vers un chemin spécifique, comme OpenPath, pour générer des revenus, mais de garantir que le chemin choisi est le plus avantageux pour le client.
Sven Hagemeier encourage les SSP à être transparents et efficaces, à ne pas dupliquer l’inventaire, à ne pas falsifier les identifiants et à envoyer autant de signaux que possible (contextuels, comportementaux ou liés à l’identité comme les identifiants first-party ou UID2). C’est ainsi qu’ils pourront continuer à générer des revenus par le biais de The Trade Desk selon lui.
« Les SSP qui créent plus de valeur qu’ils n’en extraient continueront de prospérer dans un marché où il y a encore beaucoup de potentiel de croissance en dehors des walled gardens », affirme-t-il.
Il est encore trop tôt pour mesurer l’impact d’un potentiel changement dans l’algorithme de The Trade Desk. Néanmoins, depuis 2022, l’entreprise montre sa volonté de se connecter en direct aux éditeurs.
Au point de jouer le rôle d’un SSP en plus d’être un DSP ? Si c’est le cas, il ne sera pas le premier. Des acteurs comme Google, Meta et Amazon possèdent l’entièreté de la chaîne de valeur et vendent leur inventaire de manière exclusive et indépendante.
A lire également : Comment The Trade Desk veut imposer la transparence comme norme
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