Jérémy Parola (Reworld Media) : "2022 va être une année plus animée côté acquisitions"


  • Le directeur des activités digitales de Reworld Media nous explique les secrets d'un groupe qui a multiplié son résultat net par 4,7 entre 2020 et 2021.
  • Avec 122 millions d'euros en trésorerie, le groupe a les poches bien pleines et s'autorisera de nouvelles acquisitions en 2022.

Minted. L’année 2021 est comptablement très bonne pour Reworld Media. Chiffre d’affaires en hausse de 11% et résultat net multiplié par… 4,7. Comment expliquer une telle prouesse ?

Jérémy Parola. Il y a plusieurs raisons à cela. Il y a bien évidemment la digitalisation de notre chiffre d’affaires et, avec elle, l’augmentation de notre taux de marge. Plus on fait de croissance digitale, plus on fait de croissance rentable. C’est ce qui s’est passé pour notre pôle BtoB, qui propose tout un éventail de solutions aux marques, et tire particulièrement son épingle du jeu avec une croissance de 24% de son chiffre d’affaires et désormais 85% de ses revenus qui proviennent du digital…

"Cette explosion de la rentabilité s’explique aussi par la fin d’une période de transition, qui voyait nos chiffres impactés par la restructuration des nombreuses marques que Reworld Media a rachetées au cours de ces dernières années"

Cette explosion de la rentabilité s’explique aussi par la fin d’une période de transition, qui voyait nos chiffres impactés par la restructuration des nombreuses marques que Reworld Media a rachetées au cours de ces dernières années. Le plus souvent de belles marques… mais qui s’accompagnaient de charges exceptionnelles, les clauses de cession de certains collaborateurs qu’il a fallu payer, ou de coûts de structure élevés, les deals passés avec les fournisseurs historiques, rarement aussi avantageux que ceux que Reworld Media négocie. 

Un effet Covid également ?

2020 aurait dû marquer le retour à la normale mais le Covid est arrivé. Et, avec lui, bien d’autres priorités, comme la crise du print et celle de son distributeur, Presstalis. Tout cela a décalé l’atterrissage du groupe d’un an. 2021 a été une vraie période de respiration dans notre stratégie de croissance externe car nous avons “seulement” procédé au rachat de Melty en novembre. Et nous avons, au contraire, multiplié les lancements de nouvelles marques médias comme Tanin, Entre Nous, Cogite ou Damidéco, de nouvelles déclinaisons magazines telles que Biba Mum et Mon Petit Science & Vie avec Nano. Ou encore le lancement de trois chaînes SVOD. Le développement de Reworld Media étant très cyclique, je peux donc d’ores et déjà vous assurer que 2022 va être plus animé en termes d’acquisitions. 

Vous avez désormais 122 millions d’euros en trésorerie. Avez-vous déjà identifié des profils d’entreprises ou de secteurs cibles ?

Nous pouvons être intéressés par de nombreux domaines. Il est de notoriété publique que nous faisions partie des candidats au rachat de France Loisirs ou à celui de Gulli et 6Ter, qui font partie des chaînes dont TF1 et M6 se sépareraient, si les deux venaient à fusionner. Tout ce qui peut nous permettre de créer des produits et services attractifs, en lien avec notre univers de marque, est de nature à nous intéresser. 

Les huit premières années de Reworld Media ont été drivées par une obsession : réconcilier branding et performance. En d’autres termes, le monde des médias, qui est très premium, et celui des GAFA, qui ne jure que par les chiffres. Nous avons étendu cette ambition à un tryptique qui est désormais constitué des marques, de l’audience et des contenus. Il s’agit donc d’investir dans les domaines où la marque peut être un élément de réassurance, où l’audience peut participer à des ventes et où le contenu peut servir à l’utilisateur. 

Plus concrètement ?

Dans le BtoC, c’est à dire l’abonnement, qu’il soit papier ou numérique, l’enjeu c’est d’augmenter le panier moyen des clients existants. Sur la partie BtoB, où il s’agit d’apporter des services aux annonceurs et aux agences, cela veut dire se renforcer dans des services où ne nous ne sommes pas présents, en France ou à l’international. Nous l’avons fait en montant au capital de Hopscotch, pour la partie relation presse et événementielle, ou avec Melty, pour mieux adresser un public jeune et fan de gaming.

Quid de la crypto ?

Acheter un site crypto, pourquoi pas ? Nous suivons de près les secteurs du high tech, gaming et monde virtuel… Mais, comme toujours avec Reworld Media, nous ne ferons que des acquisitions rentables. Qu’il s’agisse d’acheter pour pas cher une marque qui perd de l’argent mais que nous pensons pouvoir faire revenir dans le vert, comme ça va être le cas de Melty, ou d’acheter une belle marque, déjà rentable, pour un prix raisonnable.

"Comme toujours avec Reworld Media, la contrainte c'est de faire des acquisitions rentables. Qu’il s’agisse d’acheter pour pas cher une marque qui perd de l’argent mais que nous pensons pouvoir faire revenir dans le vert ou d’acheter une belle marque, déjà rentable, pour un prix raisonnable"

Nous sommes déjà actionnaires de Blockchain Group, une société qui s’est spécialisée dans le développement de projets liés à la blockchain. Nous avons pas mal de discussions avec des annonceurs sur la partie média, notamment dans le secteur du luxe, mais nous ne voulons pas succomber à la facilité et faire de pâles copies de ce qui existe déjà. En bref, nous tournons un peu autour du sujet sans avoir de case study, même si le NFT ont déjà leur rubrique dédiée au sein d’un site comme la Crème du gaming.

Vous avez également lancé Revoptimize, plateforme de monétisation pour les éditeurs. Peut-on vous imaginer investir dans la tech ?

Ça me parait compliqué car les valorisations s’envolent quand on parle de trading desks, SSP ou outils data. C’est difficile pour un groupe comme Reworld Media de payer une entreprise 30 à 40 fois son résultat comme ça se fait beaucoup dans la tech. Nous préférons développer ça en interne et allons faire des annonces très prochainement sur des produits liés à l’optimisation de la monétisation et au reporting. C’est d’autant plus vertueux que, pour le coup, c’est quelque chose de facilement scalable, contrairement au contenu. On peut plus facilement décliner ça à l’international, comme l’a fait Tradedoubler qui est présent dans une douzaine de pays.

Quels sont vos axes de croissance sur le BtoB ?

Les enjeux sont nombreux. Qu’il s’agisse du sujet de la collecte de leads et de comment la techno et l’IA peuvent nous aider à être plus performants sur le sujet. Nous ne cessons de créer des API et émulateurs pour optimiser une pratique dont l’importance va se renforcer avec la disparition des cookies tiers. Il y a aussi le sujet du content commerce, qui pèse déjà plusieurs millions de chiffre d’affaires : continuer à identifier les produits qui se vendent le mieux, travailler la relation avec les retailers, faire du social selling… Ou le header bidding-server side, dans lequel nous investissons énormément parce qu’il suffit de gagner quelques dixièmes de points quelque part pour générer des dizaines de milliers d’euros de revenus supplémentaires. Et le podcast qui, grâce à notre partenariat avec Edisound, génère déjà quelques millions d’euros de chiffre d’affaires. 

Que vous inspire le flou qui entoure actuellement le recours à des technologies américaines qui traitent des données personnelles ?

Nous nous renseignons sur les alternatives européennes aux technologies concernées et prenons des devis. Mais nous ne bougerons pas tant que le cadre règlementaire ne se décantera pas. S’il fallait changer du jour au lendemain, nous serions prêts. A regrets, bien sûr, puisque cela veut dire perdre du jour au lendemain tout un historique d’audience et de compétences. Ça aurait forcément un impact sur le business que de changer les plans de taggage de 60 sites au milieu de l’année. Un peu comme pour les déploiements du TCF ou d’une CMP, ce sera peut-être un mouvement défensif par lequel il faudra passer.

Jérémy Parola est directeur des activités numériques de Reworld Media depuis 2013. Diplômé du groupe Edhec et d’un master 2 du Celsa, Jérémy a été responsable business développement nouveaux médias à La Tribune et chef de projet chez Bolloré.