Robby Yung (Animoca Brands) : “Le développement d’un réseau de publicité in-gaming est une suite logique"


  • Animoca Brands : si ce nom ne vous dit rien, vous avez sans doute entendu parler de l'une des 150 entreprises qui figurent au portefeuille de ce spécialiste du gaming qui s'est recyclé dans le Web3 et l'investissement privé.
  • Axie Infinity, Dapper Labs, OpenSea ou The Sandbox, on y trouve en effet quelques-unes des entreprises les plus hype du moment. 
  • Son CEO Robby Yung s'exprime sur la stratégie d'investissement d'Animoca Brands, revient sur les enjeux liés au développement du marché du blockchain gaming et explique dans quelles conditions les différents metaverses du marché pourraient devenir interopérables. 

Minted. Animoca Brands a bouclé, en début d’année, une levée de 360 millions de dollars pour une valorisation de près de 5 milliards de dollars. La société reste pourtant méconnue du grand public. Pouvez-vous nous la présenter ?

Robby Yung. Animoca Brands est une société qui développe des jeux vidéos. Nous étions historiquement spécialisés dans les jeux mobile free-to-play mais nous nous concentrons depuis maintenant 5 ans sur ce qu’on appelle le blockchain gaming, à savoir des jeux adossés à la blockchain, qu’il s’agisse de jeux développés en propre ou sous licence, chose que nous faisons fréquemment. 

Qu’est-ce qui a précipité cette transition du free-to-play vers le blockchain gaming ?

C’est autant par curiosité que par accident. Nous avons collaboré avec des connaissances de Vancouver qui travaillaient dans le cadre d’un hackathon sur un projet qui est devenu depuis célèbre dans le monde crypto et qui s’appelle Cryptokitties. Les fondateurs de ce projet ont créé leur propre studio, Dapper Labs, et nous ont permis de devenir l’éditeur de Cryptokitties en Chine. Ça a été notre entrée dans la sphère crypto. Nous avons aujourd’hui des dizaines de studios dans le monde, 8 jeux adossés à la blockchain, qu’il s’agisse du metaverse de The Sandbox, de Moto GP Ignition ou Phantom Galaxies.

Outre votre activité d’éditeur, vous investissez massivement dans des projets blockchain, comme vous l’avez fait pour The Sandbox. Vous avez ainsi investi dans plus de 150 sociétés qui se consacrent au sujet des NFT ou du metaverse. Pourquoi cette casquette d’investisseur est-elle importante pour vous ?

Nous avons commencé à investir dans le secteur en même temps que nous y avons mis un pied. Il faut se rappeler que la plupart des entreprises qui étaient présentes à ce moment-là, qu’il s’agisse de Dapper Labs, Sky Mavis, l’éditeur d’Axie Infinity ou encore OpenSea, étaient encore très jeunes et en recherche de financements. Financements que les acteurs traditionnels, à l’époque pas vraiment intéressés par ce secteur, n’étaient pas prêts à leur apporter.

Nous y avons vu l’opportunité d’apporter notre soutien à l’écosystème blockchain mais aussi de pousser une valeur qui nous semble indispensable à la réussite du Web3 : l’interopérabilité. Nous encourageons en effet toutes les entreprises dans lesquelles nous investissons à créer des passerelles entre elles.

"C’est lorsque l’on permettra aux joueurs d’exporter un NFT d’un jeu à un autre que l’on atteindra un point de bascule"

Je pense que c’est lorsque l’on permettra aux joueurs d’exporter un NFT d’un jeu à un autre que l’on atteindra un point de bascule. Il deviendra en effet difficile pour les utilisateurs de jeux “traditionnels” de faire l’impasse sur le blockchain gaming alors que ce dernier leur permet de faire des choses jamais vues. 

Avez-vous déjà des exemples de passerelles établies entre des jeux au sein desquels vous avez investi ?

Malheureusement non. Il n’existe, pour le moment, pas de NFT avec lequel on peut jouer. Mais ce n’est pas si surprenant. D’abord parce que les jeux adossés à la blockchain sont encore rares et que le secteur est vraiment balbutiant. Mais aussi parce que c’est difficile.

Nous y travaillons néanmoins. Par exemple, entre The Sandbox, qui est l’un de nos environnements les plus matures, et d’autres marques, comme Phantom Galaxy. Le premier jalon que nous avons mis en place, c’est celui de l’interopérabilité des tokens distribués au sein de chacun de nos jeux, avec une monnaie native. Nous créons des évènements de staking et toutes sortes d’activités pour inciter les joueurs qui détiennent des jetons à essayer de nouveaux jeux et collaborer ensemble.

Samson Mow, CTO de Blockstream, est plus sceptique que vous. Il estimait, dans un article paru au sein de Forbes, que l’économie d’un metaverse ouvert allait à l’encontre des intérêts des sociétés présentes dans le gaming. “Si Call of Duty vous vend des armes, Ubisoft ne voudra pas que vous les incorporiez à son jeu Rainbow Six car ce serait des ventes en moins.” Qu’en pensez-vous ?

Il y a plusieurs façons de voir les choses. Il y a l’approche que vous évoquez et c’est typiquement un restaurant qui interdit aux gens d’apporter leur sandwich car ils ne consommeront, du coup, pas de nourriture. Mais il y a une autre approche qui est d’estimer que, si on a une voiture, il n’est pas normal que cette dernière ne puisse rouler que sur les routes qui ont été conçues par le fabricant.

Il faut distinguer ce concept de playable NFT de celui de l’environnement, en d’autres termes le jeu. Car cet environnement est contrôlé par un opérateur qui choisit qui peut y entrer et y faire quoi. Pour les playable NFT et tout ce qui est vendu aux utilisateurs, c’est différent. Car ils appartiennent à l’utilisateur et ce dernier devrait pouvoir, à ce titre, décider ce qu’il en fait. C’est le sujet même de la propriété. Si vous n’avez pas votre mot à dire concernant l’utilisation d’un objet, vous n’en êtes pas vraiment propriétaire.

"Les opérateurs d'environnements Web 3 vont devoir s’entendre sur les conditions de leur interopérabilité, comme le font les pays concernant leurs touristes respectifs, avec des systèmes de passeport ou de visa"

C’est la raison pour laquelle je pense que les opérateurs de ces environnements vont devoir s’entendre sur les conditions de leur interopérabilité, comme le font les pays concernant leurs touristes respectifs, avec des systèmes de passeport ou de visa. Ce sujet de l’interopérabilité ne doit donc pas être l’objet de craintes mais d’une réflexion, pour aboutir à des règles communes. 

Quels sont les obstacles technologiques à cette interopérabilité ?

Le plus évident, c’est celui de l’infrastructure blockchain. Il faut être capable de créer des ponts entre des jeux ou des tokens qui ne sont pas adossés aux mêmes blockchains. Un autre écueil, c’est l’aspect visuel. Si vous vous êtes déjà rendus sur The Sandbox, vous savez que c’est un environnement qui répond à un code visuel très spécifique. Ce serait bizarre d’avoir quelque chose de très réaliste transvasé dans cet univers.

Il faut donc trouver les moyens de traduire visuellement votre NFT “réaliste” en une version adaptée à la charte de The Sandbox. Et c’est loin d’être facile à faire. Reste un dernier sujet, celui des attributs liés au NFT. Chaque environnement doit-il respecter ces attributs ? Ou peut-il estimer que tous ne seront pas activables en son sein ? En d’autres termes, une épée qui est l’arme la plus puissante du jeu 1 doit-elle être la plus puissante du jeu  2 ? 

"On va voir des middlewares émerger, qui permettront aux développeurs de jeux de dire qu’ils acceptent telle collection de NFT à condition que cette dernière se soumette à certaines règles"

C’est un peu comme les taux d’échanges entre plusieurs devises, il va falloir des arbitrages. Ce sera, à terme, sans doute rédigé dans le smart contract lié au NFT. A plus court terme, je pense que l’on va voir des middlewares émerger, qui permettront aux développeurs de jeux de dire qu’ils acceptent telle collection de NFT à condition que cette dernière se soumette à certaines règles.

Concernant l’infrastructure, on voit apparaître une nouvelle typologie de jeux dits “crosschains”, développés sur plusieurs blockchains…

Phantom Galaxies est l’un de ceux-là. Le jeu est adossé à trois blockchains. C’est, au fond, un peu comme dans le Web 2 où un développeur de jeux propose une version IOS et une autre Android… Sauf que dans le Web 2, les expériences de jeux ne sont pas toujours multi-plateformes, ce qui est, ici, le cas.

On en a parlé, vous avez investi dans quelques unes des plus belles entreprises du Web 3 : Axie Infinity, Dapper Labs, OpenSea, The Sandbox… Vous êtes partout dans ce secteur et on se demande si vous n’êtes pas en passe de devenir le Google ou Meta du Web 3. Doit-on s’inquiéter ?

Nous n’avons aucun intérêt à contrôler quoi que ce soit au sein de cet écosystème, nous voulons juste y investir. Notre mission, c’est d’avoir un écosystème “multi-chains”, ouvert et décentralisé. Nous supportons toutes les blockchains, de Polygon à Solana, en passant par Immutable ou Tezos. C’est important d’avoir cet écosystème ouvert et c’est le secret de notre succès. Pas un seul de nos 150 investissements ne s’appuie sur un écosystème fermé. 

Selon un rapport récent de Messari, la mécanique de beaucoup de jeux play-to-earn est défaillante car elle crée une dynamique où les utilisateurs doivent payer pour gagner (pay to win). Une barrière à l’entrée qui empêche davantage de joueurs de participer. Vous partagez l’analyse ?

La spécificité de ce genre de jeux, c’est qu’ils sont basés sur une économie où l’offre, c’est à dire le nombre de NFT mis à disposition, est généralement fixé à l’avance. Ce qui veut dire que le prix de ces NFT va augmenter en même temps que les nouveaux utilisateurs affluent. C’est de l’économie de base et le seul moyen d’y remédier serait que la monnaie native perde en valeur, ce qu’évidemment personne ne veut.

Ceci étant rappelé, nous voyons des solutions très innovantes. Prenons Axie Infinity, dont le prix des NFT a explosé, provoquant une véritable barrière à l’entrée de nouveaux joueurs. L’arrivée des guildes, qui voient des groupements mettre des NFT à disposition de particuliers, en échange d’un partage des gains, est une réponse innovante à cette problématique. C’est hyper vertueux pour les développeurs de jeux car ce système de guildes ne cesse de leur rapporter de nouveaux joueurs. Le succès de Yield Guild Games (YGG) est un très bon exemple.

Dans quels types de projets pourriez-vous investir en 2022 ? Est-ce que vous avez identifié des trous dans la raquette ?

 "La qualité des projets que l'on nous présente est bien plus intéressante qu’il y a 6 ou 12 mois"

Pas vraiment. Mais nous voyons qu’en même temps que l’industrie mûrit, on nous sollicite de plus en plus souvent dans le cadre de projets proches de se lancer. Des studios qui créent leur premier jeu blockchain et sont sur le point de mettre leur MVP sur le marché… Des développeurs qui s’inspirent de succès comme Axie Infinity pour mettre sur pied des dynamiques de jeux hyper intéressantes… La qualité des projets est aujourd’hui bien plus intéressante qu’il y a 6 ou 12 mois. 

Pourrait-on imaginer Animoca s’appuyer sur tous les projets dans lesquels il a investi pour mettre en place un réseau publicitaire spécialisé dans la promotion de jeux blockchain ?

Ce serait évidemment intéressant de s’appuyer sur les audiences de tous ces projets. Nous le faisons à notre niveau, via des évènements de type staking, dans le cadre desquels nous encourageons les utilisateurs à tester différents projets.

Mais il est évident qu’il est possible d’aller plus loin et qu’en même temps que le metaverse et le blockchain gaming vont se développer, il y aura de la place pour des billboards publicitaires 3D en tous genres. Le développement d’une offre de publicité in-gaming est une suite logique pour Animoca Brands.