NFT Paris fait entrer le Web3 dans la cour des grands

Le weekend dernier, Paris était la capitale mondiale des NFT, alors que le Grand Palais Éphémères accueillait la deuxième édition du salon NFT Paris. Lancé l’an passé par deux étudiants d’HEC Paris, Alexandre Tsydenkov et Côme Prost-Boucle, avec l’aide de figures du milieu comme Pierre-Nicolas Hurstel, le CEO d’Arianee, l’événement a pris une nouvelle dimension.

 Loin des 600 personnes rassemblées l’an dernier à Station F, cette deuxième édition a revendiqué cette année 18 000 visiteurs de tous bords. Aux habituels développeurs et startuppeurs se sont ajoutés des artistes, mais aussi des personnalités politiques, des étudiants ou encore des cadres de grandes entreprises venus s’acculturer. 

Dans une ambiance qui mêle celle du CES, de la Paris Games Week et de la Fashion Week, l’affluence de cette deuxième édition rappelle que, malgré la chute des cours, il existe toujours un vif intérêt pour le Web3 en général, et les NFT en particulier. “Cet événement montre le potentiel des NFT, que ce soit dans l’art, la musique, la mode ou le gaming, constate Sébastien Borget, co-fondateur de The Sandbox, plateforme candidate au métavers. Une multitude d’usages sont à inventer, et quand on voit la capacité de cet événement à réunir dix fois plus de monde que l’an passé, sans tenir compte des cycles du marché, on peut légitimement se réjouir pour le futur.”

Les grandes entreprises prennent le virage Web3

“C’est fou, je ne m’attendais pas à voir autant de monde ! Il y a cinq ans, j’étais au premier meet-up NFT avec une quinzaine de personnes,  se rappelle Nicolas Julia, fondateur de la licorne française Sorare. Aujourd’hui, ils sont plus de 10 000 à être venus de partout dans le monde ! Les intervenants sont d’un niveau rare. Ça rend très optimiste pour l’avenir.”

Si les longues files d’attente du Champs de Mars reflétaient autant cet engouement que la défaillance du système de billetterie NFT Guts utilisé pour l’occasion, celles devant la salle de conférence principale témoignaient, elles, de la qualité des personnalités invitées à s’exprimer : aux côtés de Sébastien Borget ou Nicolas Julia, on retrouvait ainsi par exemple Benoît Pagotto, co-fondateur de RTFKT, le studio spécialisé dans la création de produits virtuels rachetés par Nike fin 2021, mais aussi Greg Solano, fondateur de Yuga Labs, l’entreprise derrière Bored Ape Yacht Club, ou encore Yat Siu, le CEO d’Animoca Brands, mastodonte du gaming 3.0. 

Nombreux sont les intervenants à avoir souligné le cadre exceptionnel dans lequel cette deuxième édition s’est déroulée. Dos à la Tour Eiffel, Pierre-Nicolas Hurstel, le CEO d’Arianee, en profitera même pour faire un parallèle entre le Web3 et la Dame de Fer, soulignant la pérennité d’une construction que beaucoup voulaient détruire. Pourtant, malgré la frustration de certains visiteurs, échaudés par les couacs d’une organisation dépassée par son succès, rares sont les participants qui n’étaient pas convaincus par le potentiel du Web3.

C’est aussi une nouveauté de cette édition : de nombreuses entreprises qui ne sont pas natives de l’écosystème ont pris la parole ce weekend, afin d’évoquer le potentiel de la blockchain en matière de traçabilité, d’animation de communautés, de fidélisation ou encore de création de nouveaux usages, notamment en ce qui concerne le partage de la propriété intellectuelle. 

On citera de manière non exhaustive Adidas, Volkswagen, L’Oréal, Chanel, Playboy ou encore le PMU, sans oublier Shopify ou Salesforce, représenté par Marc Mathieu, co-fondateur du Web3 Studio du leader du CRM, passé par des poids lourds comme Danone, Samsung, Coca-Cola et Unilever. Ce vétéran du marketing est persuadé que le Web3 représente l’avenir de la spécialité, mais aussi de la culture numérique dans son ensemble. Un futur “trustless et décentralisé” qui est indispensable pour toucher les nouvelles générations. “C’est ce qu’ont compris des entreprises comme Instagram, Spotify ou Starbucks, qui base son nouveau programme de fidélité sur la blockchain. Elles vont entraîner l’adoption croissante de ces nouvelles technologies par le grand public”, estime l’expert.

Selon lui, une majorité d’entreprises ont ainsi ajouté le Web3 à leur agenda, ce qui s’est vu dans les allées du salon selon Neal Robert, co-fondateur de Bem.Builders, un studio spécialisé dans la création d’expériences immersives : “Nous avons eu en permanence des dizaines de personnes sur notre stand, dont beaucoup de professionnels qui connaissent bien les mécanismes du Web3 et viennent ici pour trouver des manières concrètes d’entrer dans le métavers. Il y a beaucoup moins la volonté de buzzer ou de faire simplement des effets d’annonce, au contraire.”

Un écosystème qui doit encore gagner en maturité

Un constat partagé par Constantin Garreau, directeur de l’Innovation du PMU qui venait présenter le projet de fantasy gaming Stables, seul projet 100% Web3 porté par une entreprise “traditionnelle” : “Il y a peu de néophytes, à part quelques personnes issues des galeries d’art. L’une d’entre elles m’a avoué avoir vu plus d’innovations en une après-midi qu’en trente ans ! Ces personnes mises à part, j’ai croisé beaucoup de professionnels de marques de grande consommation, de la banque ou de l’industrie, qui ont des budgets dédiés au Web3 mais qui viennent échanger avec nous car ils ne savent pas par quoi démarrer. Il faut bien identifier les usages, afin d’éviter d’utiliser la blockchain pour créer des problèmes qui n’existaient pas auparavant. Sur le salon, l’échec de Guts est un bon exemple de ce qu’il ne faut pas faire.”

De ce point de vue, rares sont les cas d’usages à faire consensus au sein de l’écosystème. Et ce ne sont pas les nombreuses startups qui avaient pris un stand sur le salon qui aideront les visiteurs à y voir plus clair, comme le note Constantin Garreau : “J’ai été frappé par le nombre de startups qui ne sont là que pour vendre leur solution, sans chercher à savoir si celle-ci correspond vraiment à ton besoin. Si tu n’es qu’au début de tes réflexions, tu peux vite te retrouver avec des outils inutiles.” 

Signe que le marché n’a pas encore totalement été épuré de ceux qui ne sont là que pour la spéculation ? Difficile à dire. Néanmoins, nombreux sont les professionnels à désirer une plus grande régulation. De ce point de vue, il est frappant de voir que cette deuxième édition de NFT Paris est devenue plus politique : au-delà de la présence de Jean-Noël Barrot, le Ministre Délégué chargé de la transition numérique, ou de Rima Abdul Malak, la Ministre de la Culture, sans oublier un passage surprise de Brigitte Macron, les membres de l’écosystème eux-même ont multiplié les prises de position, à l’instar de Yat Siu, qui s’est insurgé, sans la nommer, contre les pratiques de la marketplace NFT Blur. Celle-ci a récemment pris le dessus sur OpenSea en abolissant les royalties payées aux créateurs de NFT lors de la vente de ces derniers, mettant ainsi en péril le modèle économique des créateurs qui construisent l’écosystème, au profit des spéculateurs. 

De quoi doper momentanément les volumes de NFT échangés, sans pour autant relancer à la hausse le marché des crypto-monnaies, pour le plus grand soulagement de nombreux acteurs. “Ceux qui sont encore là en bear market sont les plus motivés : il est plus difficile de trouver les fonds, les clients et la couverture médiatique”, indique ainsi Nicolas Julia, rejoint par Julien Bouteloup, autre figure française du secteur, connu notamment pour avoir fondé Stake Capital, Rekt et Blackpool : “J’espère que 2023 va ressembler à toutes les périodes qui ont suivi un bull market. Les plus gros projets vont profiter de ce moment de calme pour se développer, les personnes encore investies dans l’écosystème étant focalisées sur la construction de la valeur.” 

Invité à prendre la parole sur une conférence dédiée au gaming, l’entrepreneur et investisseur s’enthousiasme également pour la qualité de cette deuxième édition, et voit plus que jamais les jeux vidéo, l’art et plus globalement le divertissement comme des leviers de démocratisation du Web3 auprès du grand public : “Ces verticales amènent énormément de personnes à découvrir la blockchain, la crypto et les NFT. Mais il faut garder en tête que ces dernières aiment le gaming ou l’art avant d’aimer ces nouvelles technologies. Le Web3 est un moyen de mieux répartir la valeur ou encore d’assurer l’interopérabilité des assets, mais pas une fin en soi.”