Le token gated Web est-il l’avenir d’Internet ?


  • Conditionner l'accès à une rubrique de son site aux seuls détenteurs d'un NFT bien spécifique, c'est la démarche de certains sites médias ou e-commerce.
  • Minted vous donne quelques uns des exemples les plus aboutis du moment et vous explique pourquoi c'est une démarche aussi prometteuse que rare aujourd'hui.

Bientôt l’Internet token gated vous ouvrira ses portes… à condition que vous ayez le précieux sésame qui vous permettra d’entrer : un NFT. Si on parle aujourd’hui beaucoup des NFT pour leur aspect statutaire - détenir le NFT d’une collection ‘blue chip’ type Bored Apes, Moonbird ou Doodles vous rend cool aux yeux de pas mal de monde - on évoque plus rarement un autre cas d’usage qui est, selon Minted, autrement plus structurant pour le Web3. 

Il s’agit de l’utilisation du NFT comme d’un passeport numérique, qui vous donne accès à du contenu exclusif, qu’il s’agit d’une section spéciale d’un site média ou d’une rubrique particulière d’un site e-commerce. L’accès au contenu concerné s’effectue une fois que la connexion au wallet crypto de l’utilisateur a été effectuée et que le NFT requis a été identifié. On parle dans le jargon de “token gated content” et c’est, à en croire Séraphie de Tracy, une pratique qui est amenée à se démocratiser. “Le NFT, c’est le single sign-on du Web3”, résume la cofondatrice de Cohort, plateforme NFT d’engagement digital pour les marques et PME. 

 “Le NFT, c’est le single sign-on du Web3”

Un SSO qui, tout comme le Facebook Connect, est multi-canal (Web et in-app) à ceci près qu’il fonctionne en plus dans le monde physique (cf tous les évènements réservés aux détenteurs d’un NFT). Un SSO qui n’est pas, comme Facebook Connect et tous les social logins du même acabit, opéré par un acteur centralisé. Pas de risque donc, pour l’utilisateur, que ses données soient exploitées contre son avis. Il n’y a d’ailleurs même pas besoin qu’il renseigne de données comme son nom, son âge ou son adresse mail, au moment de l’authentification, ce qui a également le mérite d’enlever une friction. L’important, en effet, c’est qu’il soit bien le propriétaire du NFT requis.

“Faire du token gated permet aux créateurs d’établir une connexion directe avec leur audience, plutôt que d’être pris au piège d’un walled garden. Raison pour laquelle je pense que ce modèle est amené à remplacer les mécaniques d’abonnements et d’inscriptions que l’on voit aujourd’hui sur le Web2’, estime Julien Genestoux. Ce Français, qui s’y connaît plutôt bien en creator economy puisqu’il a vendu sa dernière entreprise à Medium, a imaginé un protocole baptisé Unlock. Unlock permet aux créateurs de contenus, en ajoutant quelques lignes de code à leur site, de faire du token gated.“Pour débloquer l’accès au contenu, l’utilisateur doit simplement connecter son wallet type Metamask ou Coinbase”, précise Julien Genestoux. 

Deux cas de figure : soit l’éditeur conditionne l’accès à la détention d’un NFT d’une collection existante (comme le fera prochainement 20 Minutes avec sa collection 20 Mint), soit il décide de proposer, à la vente, un NFT temporaire. C’est ce qu’avait mis en place le site Forbes fin 2019 avec Unlock. “Vous pouviez acheter un NFT d’une durée de vie d’une semaine ou d’un mois pour profiter, durant ce laps de temps, d’une expérience sans publicité”, explique Julien Genestoux. Le modèle d’abonnement tel qu’il est pratiqué par bien des médias devient, dans ce cas de figure, basé sur le NFT. Concrètement, l’utilisateur commence son abonnement en acceptant une transaction opérée via un smart contract, transaction qui se répète périodiquement, le temps de la durée de validité du NFT.

L’intérêt pour le site américain ? “Forbes ne permettait à l’époque pas à ses utilisateurs de pouvoir s’identifier sur son site”, rappelle Julien Genestoux. Passer par le token gated lui a évité de perdre du temps de développement. “Cela lui a également permis de ne pas avoir à s'embarrasser avec la gestion d’une base de données utilisateurs”, ajoute Julien Genestoux. En Europe, ce dernier volet est loin d’être un luxe puisque l’arrivée du RGPD s’est accompagnée de nombreuses contraintes réglementaires concernant le respect de la vie privée des utilisateurs en base.

L’expérience de Forbes a duré à peine 6 mois (l’équipe à l’origine du projet ayant été démantelée) avec un succès mitigé. Moins de 300 transactions ont été réalisées durant le laps de temps. Mais c’était il y a plus de 2 ans, à une époque où les NFT n’avaient pas la hype dont ils bénéficient aujourd’hui. Aujourd’hui, où en est-on ? La réalité, c’est que l’on n’est pas beaucoup plus avancé. On peut citer l’exemple de 20 Minutes qui, après avoir lancé une collection de 999 NFT pour financer un magazine print consacré au Web3, planche sur l’ouverture d’une section token gated pour cette communauté. Mais le média est vraiment précurseur sur le sujet. 

Les partenaires existants d’Unlock sont d’ailleurs surtout des créateurs de contenus de la longue traîne : blogueurs, musiciens ou artistes avec un profil “crypto friendly”. Julien Genestoux, qui discute avec un média français consacré au monde de l’art pour ouvrir une section token gated, reconnaît que c’est plus compliqué avec les médias traditionnels. “En Europe, ils sont encore très réticents au changement, avec une mentalité très orientée Web2”, observe-t-il. Cet attachement à un paradigme qui leur est devenu complètement défavorable (l’essentiel des revenus publicitaires sont captés par Google et Facebook, la distribution des contenus également) peut surprendre. 

On le retrouve pourtant aussi du côté du retail où, à part quelques expérimentations menées par des marques Web3, le token gated commerce reste encore très timide.“On en discute avec certains clients retailers mais ça n’est pas allé plus loin”, confie Séraphie de Tracy.

Etam vient de lancer une collection de 40 NFT “Silhouette Signature”, qui octroient à leurs détentrices, entre autres avantages, un accès VIP au prochain Live Show de la marque et une réduction de 30% pendant un an.

Aux Etats-Unis, on peut donner l’exemple du site de prêt-à-porter, The Hundreds, qui à l’occasion du lancement d’une nouvelle collection, a réservé l’accès à certaines pièces aux 25 000 détenteurs de sa collection de NFT “Adam Bomb Squad”. Avec bien sûr, une afterparty dans Decentraland qui était token gated. Plus près de nous, en France, citons Etam, qui vient de lancer une collection de 40 NFT “Silhouette Signature”, qui octroient à leurs détentrices, entre autres avantages, un accès VIP au prochain Live Show de la marque et une réduction de 30% pendant un an. Ou encore Yves Saint Laurent, qui vient de dévoiler son hub Web3 token gated. Et c’est à peu près tout pour les marques mainstream. Le gros du token gated reste, à date, l’apanage de quelques collections NFT qui, comme Bored Apes, permettent à leur communauté d’accéder à des eshops où sont proposés sweats, casquettes et tee-shirts personnalisés aux couleurs du NFT concerné. 

"C’est quand on verra des acteurs comme Amazon ou Cdiscount faire du token gated que ça deviendra quelque chose de mainstream"

“Le merchandising lié à des projets NFT, ça reste anecdotique, estime Nenad Cetkovic, grand spécialiste de l’e-commerce et board member de The Blockchain Group. C’est quand on verra des acteurs comme Amazon ou Cdiscount faire du token gated que ça deviendra quelque chose de mainstream.” Il faudra sans doute attendre, pour celà, que le nombre de détenteurs d’un wallet crypto augmente significativement. Ils étaient 82 millions d’utilisateurs dans ce cas de figure en avril 2022, selon les données de Blockchain.com. Un nombre qui a doublé en l’espace de deux ans mais qui reste relativement faible. 

 

“On n’est même pas à l’an 0, poursuit Nenad Cetkovic. Chez les marchands traditionnels, le seul qui en parle, c’est Rakuten, qui a lancé son Blockchain Lab à Belfast avec la volonté de faire du token un outil de fidélisation… mais c’est à peu près tout.”  Les principaux CMS du marché, Shopify et Prestashop, sont en train de bouger là dessus. Shopify est particulièrement vocal sur le sujet mais on n’y est pas encore à en croire notre spécialiste du Web3. “Ils ne permettent aujourd'hui pas de créer des pages token gated, branchées sur les stocks du retailer. Il faut passer par des plugins, encore en beta, pour y arriver”, précise Séraphie de Tracy.

Ce ne sont pourtant, comme dans les médias, pas les opportunités qui manquent. Ici encore, la décentralisation de la mécanique d’authentification est évoquée. “Un NFT est géré sur un protocole décentralisé, non pas par la marque en tant que telle comme c’est le cas d’une base de données”, rappelle Charles Kremer, fondateur de Blockchain Group, une entité qui veut construire “le Shopify du Web3”. C’est intéressant pour les marques qui veulent s’associer dans le cadre d’une collaboration, comme le lancement d’une collection limitée.

“En ouvrant l’accès aux détenteurs d’un NFT, on évite tous les tracas que représente le croisement de bases CRM et la nécessité de mettre des adresses emails sur liste blanche”

Plus besoin pour deux marques qui s’associent de réfléchir aux moyens (pas toujours évidents) de sélectionner les bonnes audiences et de voir comment leur donner les accès. “En ouvrant l’accès aux détenteurs d’un NFT, on évite tous les tracas que représente le croisement de bases CRM et la nécessité de mettre des adresses emails sur liste blanche”, illustre Séraphie de Tracy. Il suffit de lancer une collection de NFT à deux, de l’airdropper à certains clients fidèles et de la mettre en vente auprès des autres. 

C’est un peu ce qu’a fait Superplastic à l’occasion d’une collaboration avec Gucci, réservée uniquement aux détenteurs d'un secret SuperGucci NFT. “Dans cet exemple, une marque centenaire comme Gucci donne sa caution à une marque tendance comme Superplastic, d'une manière où leurs fans s'invitent tous les deux dans cette expérience partagée et cette communauté partagée qu'ils ont maintenant ensemble”, écrit le VC et auteur de la newsletter Not Boring, Packy McCormick. Faire du token gated, c’est aussi recourir à des ficelles aussi vieilles que ne l’est le marketing. C’est mettre une barrière à l’entrée qui nourrit le sentiment d’appartenance des “happy few” et le sentiment de FOMO de ceux qui n’en font pas partie. 

“Le recours au token comme moyen d’identification va permettre aux retailers de supprimer pas mal de frictions : depuis le login jusqu’au renseignement du numéro de carte de crédit”, estime Nenad Cetkovic. Pas anodin à en croire notre expert du retail. “Cela peut leur permettre de s’affranchir de toutes les normes de sécurité relatives à l’utilisation d’une carte de crédit, comme l’authentification forte.” En d’autres termes, d’en profiter pour contourner une réglementation qui est de plus en plus complexe et qui a un coût technologique croissant. Du moins tant que cette réglementation ne concernera pas les cryptos (ce qui ne durera pas éternellement c’est évident).

“Le token gated commerce peut également intéresser les marchands du Web2 qui veulent toucher un public qui a de la crypto et se refuser à la convertir en monnaie Fiat pour ne pas être taxé”, ajoute Nenad Cetkovic. Ils seront, ici encore, sans doute de plus en plus nombreux à mesure que les gouvernements s’intéresseront à cette manne financière. 

Le token gated Web est-il l’avenir d’Internet ? Sans doute. Et comme le démontre l’exemple d’Unlock, il n’est même pas tributaire du succès des collections NFT grand public. Le NFT n’est, dans ce cas de figure, qu’un jeton qui fait office de monnaie pour la transaction. “C’est quand même plus sympa de payer avec un NFT, et l’esthétique qui va avec, que simplement avec une crypto, estime Julien Genestoux. Cela donne une dimension communautaire qui est très importante dans la creator economy.” C’est vrai… et cela vaut aussi pour le monde physique. 

On l’a évoqué plus haut, on voit de plus en plus d’évènements n’ouvrir leurs portes qu’aux détenteurs d’un NFT. Ou d’autres, comme le projet Doodles à l’occasion de SXSW, être ouverts à tous mais ne proposer une expérience particulière qu’à certains. Si vous étiez l’un des détenteurs de cette collection, toute une série d'expériences s’ouvraient à vous. Des lumières clignotaient et des bulles explosaient à votre passage et des cadeaux spéciaux arrivaient à vous via un chariot de montagnes russes. Enfin votre Doogle apparaissait sur un écran géant, annonçant au reste du monde, “Bienvenue, détenteur du Doodle 1985 !”. Bienvenue dans le monde token gated, qu’il soit Web ou IRL.