Pourquoi Meta va galérer à s'imposer sur le metaverse


  • Meta a investi près de 10 milliards de dollars en 2021 pour conquérir le metaverse
  • Mais Meta doit faire face à un déficit d'attractivité et une régulation durcie qui freine sa capacité à innover.
  • Problématique pour un groupe qui n'a rien fait d’innovant depuis qu’il a imaginé ce super social graph qui a révolutionné le Web2 ? Car si Meta sait copier ses concurrents (pas toujours avec succès d'ailleurs), il n'a jamais réussi à se réinventer hors acquisition. 

"Le metaverse, c'est le futur de Meta en tant que société", avait assuré Mark Zuckerberg à l'occasion de la présentation des résultats de ce qui s’appelait encore Facebook à l’été 2021. Facebook s’est depuis rebaptisé en Meta et a dépensé sans compter pour assouvir ses nouvelles ambitions. Près de 10 milliards de dollars en 2021 pour construire les jalons du metaverse via sa filiale Reality Labs. Un montant déjà colossal, qui devrait encore augmenter en 2022, du l’avis du CFO de Meta. Un montant qui pourrait malgré tout ne pas suffire pour faire de Meta l’un des grands gagnants de ce nouveau paradigme qu’est le Web3. On vous explique pourquoi.

Meta n’attire plus les talents

Difficile d’investir un territoire aussi ésotérique que le Web3, ses cryptos et ses NFT sans les talents qui vont avec. Problème, Meta n’attire plus. Si la plateforme a longtemps été une destination prisée des jeunes diplômés, elle a vu son image se dégrader au fil des scandales (Cambridge Analytica et Frances Haugen pour ne citer que ceux-là). Les meilleurs talents du numérique se détournent désormais de la big tech à la réputation sulfureuse, préférant défricher de nouveaux territoires avec les pionniers du Web3 que sont Coinbase, OpenSea ou Ledger.

Meta n’arrive ainsi plus à couvrir les besoins de son département engineering et le groupe a échoué à atteindre ses objectifs de recrutement en 2019 et 2021 selon une information de Protocol. Il doit également composer avec le départ d’une bonne partie de son top management en 2021 (David Marcus, Carolyn Everson, Fidji Simo et bien d’autres). Le départ de David Marcus, qui supervisait le projet crypto maison Diem, et a préféré quitter le navire pour lancer son propre projet, est, à ce titre, un véritable coup d’arrêt. 

…. et ne peut (sans doute plus) faire d’acquisition

Ce problème de marque employeur aurait pu être compensé par une stratégie d’acquisition agressive, Mark Zuckerberg se disant qu’à défaut de débaucher les jeunes talents, ils pourraient toujours mettre la main dessus en acquérant leurs employeurs. Ce n’est bien sûr pas l’argent qui manque… Avec près de 47 milliards de dollars en réserve fin 2021, Meta n’aurait ainsi aucun mal à mettre sur la table les 1,5 et 13,3 milliards de dollars qui correspondent à la valorisation de Ledger et OpenSea. Il est pourtant peu probable qu’une telle opération fasse un jour les gros titres.

D’abord parce qu’il n’est pas sûr que les fondateurs de ces entreprises se laissent convaincre. Parce que, comme le fondateur de Snap par le passé, ils pensent pouvoir gagner plus gros en solo ou en bourse. Ou parce qu’ils ne veulent pas connaître le même destin que le fondateur de WhatsApp, qui a certes touché un beau chèque mais a claqué la porte peu de temps après le rachat, s’estimant trahi par Meta (qui avait promis de ne jamais mettre de pub au sein de l’application).

Avec le Digital Market Act,  chaque nouvelle acquisition (quel qu’en soit le montant) sera scrutée de près et susceptible d’être tuée dans l'œuf

Autre obstacle de taille, les régulateurs, qui ne laisseraient sans doute plus passer une acquisition de ce genre. Ces derniers ont en effet décidé de serrer la vis, soucieux de limiter les “acquisitions prédatrices” qui ont permis à Meta, tout comme Google, de maintenir sa mainmise sur le marché du social média, à renfort de dollars. Pour rappel, Meta avait procédé à 55 acquisitions fin 2019, selon un rapport de l'inspectrice des finances Anne Perrot.

Meta aurait-il pu racheter Instagram et WhatsApp en 2021 ? Sans doute que non vu que l’autorité anglaise a récemment décidé d’interdire le rachat de Giphy, intimant à Meta de revendre la plateforme de GIF. Meta a beau avoir fait appel, la décision rappelle que sa marge de manœuvre s’est considérablement rétrécie. Avec le Digital Market Act, chaque nouvelle acquisition (quel qu’en soit le montant) sera scrutée de près et susceptible d’être tuée dans l'œuf.

Meta peine à lancer des projets en interne

Cette hyper régulation n’affecte pas uniquement la croissance externe de Meta. Elle entrave également sa capacité à se développer de manière organique. En témoigne l’arrêt du projet de stablecoin initié par l’Américain, baptisé Libra puis Diem et officiellement enterré début 2022. Meta en avait pourtant confié la gouvernance à une association composée de plusieurs dizaines d’entreprises et de fonds comme Coinbase, Andreessen Horowitz, Shopify ou Uber, pour bien faire comprendre au régulateur qu’il n’était qu’un acteur parmi d’autres… Cela n’a pas suffi à alléger la pression sur Diem. Décision a été prise d’arrêter les frais alors qu'il “devenait clair” que les régulateurs fédéraux ne permettraient pas au projet d'aller de l'avant, à en croire le président de l’association. "L'idée que Meta fasse une cryptomonnaie avait affolé tout le monde", avait expliqué à l'AFP l'analyste Rob Enderle, de Enderle Group, au moment de l’annonce. 

Alors oui, Meta a beaucoup d’argent en réserve pour financer des projets Web3 à tout va… mais ces nouveaux (et futurs) concurrents peuvent en obtenir quasiment autant auprès des fonds de la place. Sequoia Capital a lancé un fonds de 600 millions de dollars consacrés aux cryptos. 20% de ses investissements 2021 sont allés au secteur. Electric Capital vient de lancer un fonds de 1 milliard de dollars quand Andreessen Horowitz a créé un fonds dédiés aux cryptos de 2,2 milliards de dollars et espère en lever 4 de plus. Le fonds emblématique devra composer avec la concurrence de l’une de ses anciennes collaboratrices. Katie Haun, celle qui avait chapeauté les deals OpenSea et Coinbase pour le compte d’a16z, vient de lancer un fonds de 1 milliard de dollars. L’argent coule à flot et il irrigue les pionniers du Web3. 

Meta ne sait pas innover

Dernier clou dans le cercueil de Meta, son incapacité à innover. Qu’a fait le groupe d’innovant depuis qu’il a imaginé ce super social graph qui a révolutionné le Web2 ? Rien. Ou si peu. Alors oui, Meta sait copier ses concurrents. Avec pas mal de succès, quand il réplique les vidéos éphémères de Snap sur Instagram. De manière plus mitigée, quand il s’inspire de TikTok avec son format Reels qui peine à s’imposer aujourd’hui chez les utilisateurs. Mais il n’a toujours pas prouvé qu’il était capable de se réinventer hors acquisition (merci les rachats d’Instagram et WhatsApp). Rien à voir avec un groupe comme Amazon qui a su se diversifier avec brio dans le cloud, la SVOD ou la pub ou Microsoft qui, après quelques années de galère, s’est réinventé, à travers le cloud notamment. Si le metaverse de Meta se réduit aux salles de réunion virtuelles que l'on retrouve dans Workplace Horyzons, pas sûr qu'il attire les foules.

 Les nouvelles valeurs sur lesquelles Mark Zuckerberg vient de communiquer ne suffiront pas à transformer une société qui a l’opacité et le cloisonnement (deux valeurs antinomiques du Web3) chevillées au corps.

C’est d’autant plus problématique que dans le cadre de la course au Web3, on ne parle pas d’innovation on-top de l’existant… mais de rupture complète de business model. Un peu comme quand Netflix décide, en son temps, d’arrêter la location de DVD pour se lancer dans la SVOD. Meta n’y est jamais arrivé et on doute que les nouvelles valeurs sur lesquelles Mark Zuckerberg vient de communiquer suffisent à transformer une société qui a l’opacité et le cloisonnement (deux valeurs antinomiques du Web3) chevillées au corps.

Preuve qu'il ne suffit pas d'un communiqué de presse pour changer, Meta vient de s'attirer pas mal de critiques en annonçant qu'il prélèverait 47,5% de commission sur les ventes réalisées par les créateurs présents au sein de son univers virtuel, Horyzon Worlds. Un pourcentage déconnecté de celui prélevé par les géants du Web3, qu'ils s'appellent OpenSea, Decentraland ou The Sandbox, et qui ne dépassent jamais les 10%. Alors bien sûr, rien n’est arrêté. Et peut-être que Meta arrivera vraiment à se réinventer. C’est en tout cas indispensable s’il veut continuer à peser dans ce nouveau paradigme du Web3.