27 octobre 2025
Temps de lecture : 4 min
Lancé par la Commission européenne, le Digital Fairness Act vise à combler les prétendues « lacunes » du Digital Services Act (DSA) et du Règlement général sur la protection des données (RGPD).
Ce projet de règlement vise à protéger les consommateurs contre les manipulations en ligne, les interfaces trompeuses (dark patterns), les publicités jugées déloyales ou encore les conceptions addictives.
Mais pour de nombreux professionnels du numérique, cette initiative intervient dans un environnement déjà extrêmement encadré.
Qu’est-ce qu’un darn pattern ?
Un dark pattern (ou interface trompeuse) est une conception d’interface destinée à influencer l’utilisateur : rendre difficile le refus des cookies, cacher le bouton de désabonnement ou créer un faux sentiment d’urgence. Ces pratiques sont déjà largement encadrées par la législation européenne existante.
L’un des points qui posent problème dans le DFA est la notion d’utilisateurs vulnérables selon Loic Rivière, Délégué de The Good Advertising Project, un think Tank soucieux d’apporter des réponses aux nouvelles attentes de la société vis à vis de la publicité.
Lire la Réponse à la consultation publique de The Good Advertising Project
Le texte pourrait imposer aux plateformes de prendre en compte l’âge et la vulnérabilité des utilisateurs dans la conception de leurs interfaces, via des évaluations de risques spécifiques. Cela inclut la diffusion de publicité, mais cette évaluation est très subjective. « En pratique, tout le monde pourrait être considéré comme vulnérable à un moment ou un autre », déclare-t-il.
Par exemple, une personne venant de perdre un proche pourrait se voir proposer de la publicité pour des fleurs. « Est-ce une manipulation ? Pas forcément, puisque les fleurs peuvent aussi symboliser la gaieté. Cette approche conduit à une déresponsabilisation du consommateur, en supposant qu’il est en permanence en détresse émotionnelle », explique-t-il.
Cela pourrait aboutir à interdire certaines publicités simplement sur la base d’un présupposé émotionnel.
Marc Lolivier, Délégué Général de la Fédération du e-commerce et de la vente à distance (FEVAD), ajoute : « Un standard de protection supérieur devrait être réservé aux personnes réellement vulnérables, et non érigé en principe général ».
Plus largement, le DFA irait à l’encontre de la publicité personnalisée, pilier du modèle économique du web européen.
Elle permet de financer les contenus gratuits, de soutenir les médias et d’offrir aux petites entreprises une visibilité ciblée à moindre coût.
Selon une étude citée par The GAP (Oliver Wyman, 2024), l’interdiction du ciblage personnalisé provoquerait :
Limiter encore le ciblage reviendrait à assécher le carburant de l’économie numérique.
« Les consommateurs préfèrent une publicité pertinente plutôt qu’intrusive et hors sujet », souligne The GAP.
L’adoption de ces nouvelles règles conduirait à une perte de compétitivité pour les acteurs européens. « Elle entraînerait une communication digitale aseptisée, privant les e-commerçants des outils d’animation commerciale qui existent dans le commerce physique. Cela pénaliserait le e-commerce européen, au profit d’acteurs extra-européens et soulèverait l’enjeu de souveraineté », constate Marc Lolivier.
À terme, cela pourrait menacer la presse gratuite et le modèle consent-or-pay, en restreignant les ressources publicitaires disponibles.
Les pratiques visées par le DFA, comme les comptes à rebours, les messages d’urgence ou les fenêtres de confirmation, sont déjà couvertes par la législation existante, rappellent les deux organisations.
La Directive sur les pratiques commerciales déloyales (UCPD) interdit les pratiques trompeuses ou agressives, tandis que le DSA encadre strictement les interfaces numériques qui faussent les choix des consommateurs. Les abus sont donc déjà sanctionnables.
« Ajouter de nouvelles catégories de manipulation numérique ne comblera pas un vide juridique : il n’existe pas », tranche The GAP.
Les associations redoutent une superposition de normes qui rendrait la conformité ingérable, surtout pour les PME.
The GAP critique notamment la proposition d’inverser la charge de la preuve, qui obligerait les entreprises à démontrer en permanence qu’elles n’exercent aucune influence jugée trompeuse.
Une telle mesure créerait, selon elle, une « sur-conformité » coûteuse et freinerait l’innovation.
« On risque de transformer la créativité marketing en parcours du combattant juridique », déplore Loïc Rivière.
Au-delà des contraintes administratives, les acteurs redoutent une fracture mondiale :
pendant que les États-Unis et l’Asie investissent dans l’innovation, l’Europe s’enfermerait dans un empilement réglementaire.
Le problème principal, selon Marc Lolivier, n’est pas le manque de règles, mais le manque d’effectivité (application) des règles existantes. La vraie solution serait de renforcer l’application de ces règles par davantage de moyens de contrôle.
« L’ajout de nouvelles règles est une « fuite en avant » qui ne résout pas le problème d’application, surtout concernant les acteurs extra-européens (comme la Chine avec TEMU) qui ne respectent pas déjà les règles actuelles », illustre-t-il.
Plutôt que d’ajouter des textes, la priorité devrait être de renforcer la mise en œuvre des lois existantes (UCPD, DSA, RGPD, CRD) et d’harmoniser leur interprétation entre États membres.
« L’Europe s’est spécialisée dans la régulation, quand les États-Unis et l’Asie se spécialisent dans l’innovation », déplore par ailleurs The GAP.
Certaines fonctionnalités basées sur l’intelligence artificielle, disponibles ailleurs, ne le sont déjà plus en Europe pour des raisons réglementaires.
La proposition de règlementation devrait être publiée mi 2026. Une fois la proposition publiée, le texte sera soumis à l’examen législatif au sein du Parlement européen et du Conseil, qui amendront, négocieront et voteront la version définitive du texte. Le délai entre adoption et entrée en vigueur pourrait prévoir une période de transition pour permettre aux entreprises de s’adapter.
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