Pourquoi la régie des Echos et du Parisien fait le ménage dans ses ads.txt... et pourquoi elle ne sera pas la seule à le faire


  • La régie des Echos - Le Parisien Medias a divisé par 10 le nombre de lignes associées à ses partenaires programmatiques dans ses fichiers ads.txt. Un signal envoyé au marché et peut-être, à terme, un moyen de faire plus de business. On vous explique pourquoi. 

Le printemps est déjà derrière nous mais cela n’empêche pas la régie Le Parisien - Les Echos Medias de faire encore le ménage. L’objet de son intérêt ? Les fichiers ads.txt de ses deux principaux sites, leparisien.fr et lesechos.fr. Pour rappel, les fichiers ads.txt sont des fichiers que chaque éditeur met en ligne pour y répertorier l’ensemble de ses vendeurs de publicité agréés et les routes d’accès qu’ils proposent (un vendeur peut en proposer plusieurs, notamment s’il fait du reselling). 

Symptomatiques de la complexification du secteur de la publicité programmatique, ces fichiers se sont alourdis en même temps que les éditeurs branchaient de plus en plus de partenaires et testaient de nouvelles routes. Sellers Guide nous apprend dans son State of Transparency qu’un fichier ads.txt recense en moyenne près de 459 lignes, soit une hausse de 71% en moins d’un an. Ceux du parisien.fr et des echos.fr étaient, eux aussi, dans ces eaux-là avant qu’Olivier Coissac, directeur des opérations digitales et du programmatique de la régie, n’y mette le nez. 

“Nous avons contacté l’ensemble de nos partenaires programmatiques pour faire le point avec eux, explique Olivier Coissac. Cela nous a permis d’éliminer toutes les lignes qui n’étaient plus actives et d’en supprimer certaines qui n’étaient quasiment jamais utilisées.” Le résultat est éloquent. Le fichier du parisien.fr est tombé à un peu moins de 150 lignes (le nombre a donc été divisé par 10) et celui des echos.fr à moins de 80 lignes (lui aussi divisé par 10). 

“Cela nous a permis de comprendre qu’un partenaire avait rarement besoin de plus de 6 lignes”, précise Olivier Coissac. Même si deux d’entre eux, Dailymotion et Outbrain, continuent de faire exception, avec plus de 40 lignes pour chacun, du fait de la spécificité de leur business. “Nous les avons challengés autant que possible”, assure Olivier Coissac. L’expert en a aussi profité pour faire un peu de rangement. Les lignes sont désormais répertoriées par partenaire programmatique, “pour faciliter l’identification de doublons”. Celles qui sont revendiquées “en direct” sont scrutées de près, pour éviter les triches, alors que proposer une route directe est devenu un avantage concurrentiel, parce que certains DSP proposent désormais à leurs acheteurs de filtrer le trafic “non direct” dans une logique de rationalisation.  

Le ménage opéré par la régie, effectif depuis un mois chez leparisien.fr, “n’a pas occasionné de baisse de chiffre d’affaires”, assure Nicolas Danard, DGA de la régie Les Echos - Le Parisien Medias. Ce n’est pas une surprise car, comme expliqué plus haut, ce sont essentiellement des lignes non utilisées qui ont été supprimées. Raison pour laquelle ce nettoyage n’a pas non plus eu d’impact sur la consommation carbone de la régie. “Ce n’est pas parce que vous faites le tri dans un fichier ads.txt que vous faites nécessairement moins de requêtes programmatiques”, rappelle Hoai Nguyen, chief strategy officer de Hubvisor. “Le fichier ads.txt d’un éditeur, c’est un peu comme le menu d’un restaurant, illustre Olivier Coissac. Ce n’est pas parce qu’il réduit sa carte qu’il envoie forcément moins de commandes.” 

Nettoyer son ads.txt, c’est d’abord envoyer un signal aux acheteurs programmatiques, qu’ils soient en agence ou chez les principaux DSP. Celui d’une régie qui cherche à rationaliser son approche du programmatique. Une approche qui, à en croire Hoai Nguyen, peut être payante. “Tant que les acheteurs ne pourront pas voir le nombre d’appels publicitaires passés pour chaque impression, la consultation du fichier ads.txt restera pour eux le seul moyen de s’assurer qu’une régie ne fait pas n’importe quoi.” Et d’assurer que les responsables partenariats et SPO des principales agences médias sont de plus en plus vigilants sur le sujet. "Nous suivons régulièrement les évolutions chez les éditeurs, cela fait partie intégrante de nos discussions, confirme Edouard Brunet, directeur de la stratégie et du produit de Publicis Media. Nous échangeons sur les routes utilisées ou non, pour les aider à optimiser au mieux leur stratégie. Il y a derrière cela certes un enjeu de transparence évident, mais aussi une vraie volonté d’acheter de manière toujours plus saine et plus responsable pour nos clients." 

 

“On faisait déjà les choses bien. C’est juste que nos ads.txt ne le montraient pas jusque-là”, complète Olivier Coissac. C’est désormais chose faite et ce n’est sans doute pas pour déplaire aux principaux DSP du marché. Des DSP pour lesquels il est devenu crucial de maîtriser le nombre de requêtes analysées chaque seconde (on parle queries per second, QPS). Celui-ci a explosé en même temps que la démocratisation du header bidding a permis aux éditeurs de tester et intégrer de nouvelles routes à moindres frais. En faisant de ce que Paul Caucheteux, head of sales chez Hubvisor, appelle le “bid spamming”, un sport national. 

“C’est parce que plus un éditeur bombarde un DSP de requêtes pour un même emplacement, plus il a de chances que ce dernier soumettre une enchère qu’on a vu le QPS exploser.” Ce n’est évidemment pas sans coût pour des DSP qui doivent supporter les frais d’infrastructure associés, sans que, exception faite de DV 360 qui a fait passer une légère hausse il y a un an, leur commission n’ait évolué. Pour y remédier, beaucoup ont décidé de rationaliser leur manière d’opérer.

On parle, dans le jargon, de bid throttling (soit le fait de trier les enchères que l’on écoute). Le DSP le plus jusqu’au-boutiste sur le sujet est sans doute The Trade Desk qui, comme le rappelle Aissa Thiaw, directrice de la stratégie trading de Publicis Media, exige depuis début juin que “ses partenaires SSP ne lui envoient plus qu’une seule bid request par impression.” The Trade Desk encourage, dans cette perspective, les SSP à associer une transaction ID et un ID de placement, pour s’assurer qu’ils ne lui soumettent pas deux fois la même impression. Le DSP a également lancé Open Path, une route directe vers l’inventaire programmatique de certains (gros) éditeurs, qui lui permet de supprimer les intermédiaires. 

Autant pour des considérations financières que RSE, le marché du programmatique entre dans une ère de rationalisation. La régie des Echos et du Parisien n’est d’ailleurs pas un cas isolé. On peut citer celle du Figaro, dont le fichier ads.txt a subi une cure d’amaigrissement il y a quelques mois, pour tomber à 250 lignes. Deux avant-gardistes qui pourraient faire boule de neige. “Plus les régies vont promouvoir ce genre de pratique auprès des agences médias, plus ces dernières vont être regardantes”, assure Paul Caucheteux. 

Les régies n’en sont pas encore à faire de leur fichier ads.txt un argument commercial, mais on y viendra peut-être un jour, à en croire Olivier Coissac qui est persuadé que, “dans un avenir proche, plus votre ads.txt sera propre, meilleures seront vos chances de capter du business.” Ce n’est sans doute pas un hasard si un acteur comme Prisma Media, dont la réputation de spécialiste du yield n’est plus à faire, a lui aussi commencé à faire le tri dans ses fichiers ads.txt, avec un nombre de lignes qui est passé de 844 à 532 lignes chez chacun de ses sites (c’est le même fichier pour tous). 

Les esprits chagrins ne manqueront pas de noter que c’est “facile” de supprimer des routes qui n’apportent pas de business. Et que toute la difficulté, c’est plutôt d’assumer d’en couper certaines qui rapportent un peu… mais peut-être pas assez. “C’est compliqué de faire des arbitrages entre le business et l’aspect RSE, surtout dans ce contexte économique difficile”, reconnaît un éditeur sous couvert d’anonymat. Olivier Coissac ne dit pas autre chose lorsqu’il dit avoir plus de difficultés à se couper d’un peu de business. “Le problème, c’est qu’un partenaire qui vous ramène peu de revenus à l’instant T peut du jour au lendemain se ‘réveiller’”, explique-t-il. 

Raison pour laquelle les experts de chez Hubvisor sont partisans d’une approche un peu plus souple. “Couper un seller, c’est un peu trop drastique, estime Hoai Nguyen. Ce que l’on recommande, c’est plutôt de regarder la valeur incrémentale de chaque partenaire selon les contextes, pour voir si cela vaut le coup de l’appeler selon les cas de figure.” Un partenaire X peut être très bon sur du natif, moins performant sur du display. Un autre peut avoir de très bonnes accointances avec une agence média en particulier, de sorte que lorsque cette dernière opère une grosse campagne, vous pouvez être certain qu’il sera performant. “C’est, comme toujours en programmatique, un sujet qu’il faut monitorer de près”, conclut Hoai Nguyen. Exemple avec Les Echos - Le Parisien Medias qui mène actuellement des tests avec Greenbids pour faire en sorte de ne solliciter que des partenaires programmatiques qui ont une chance d’apporter de la valeur ajoutée. Un moyen de diminuer l’empreinte carbone de la régie, tout en préservant le business.