Pourquoi DV 360 a (beaucoup) moins la cote chez les grandes agences médias


  • Le torchon brûle entre DV 360, le DSP made in Google, et certaines des principales agences médias du marché français qui dénoncent, en vrac, l'absence d'innovations produits, un désinvestissement sur le support client et un manque de vision sur la fin des cookies tiers. On vous explique tout.

Qu’il semble loin le temps où l’on pointait la “Google dépendance” des grandes agences médias. C’était il y a à peine 2 ans, à une époque où Display & Video 360 (DV 360), le DSP de Google, alimentait 82,3% des investissements programmatiques alloués par le Big 6 à l’Open Web et que son hégémonie semblait alors inébranlable.

Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts. “Pour la première fois, ce début d’année, nos investissements alloués à DV 360 ont diminué”, témoigne un membre du Big 6. Une première parce que si la part de marché de DV 360 baisse (lentement) depuis quelques années déjà au sein de cette agence média, les investissements qui lui étaient alloués restaient, eux, en croissance. Ce n’est plus le cas et ça ne l’est pas plus, également, chez deux autres membres du Big 6 avec lesquels Minted a pu échanger, sous condition d’anonymat. 

Bien sûr, le DSP de Google reste encore indispensable à tout ce petit monde, puisqu’il est le seul qui donne accès à l’inventaire de Youtube. Raison pour laquelle la part de marché de DV 360 reste encore importante, entre 50 et 75% des investissements programmatiques de la plupart des agences du Big 6. Pour autant, la relation est plus chahutée. Et de nombreuses voix s’élèvent désormais, en agence, pour dénoncer l’inertie du DSP de Google. 

“Google a mis un gros coup de frein à main sur les innovations du produit, comme sur l’accompagnement qui lui est consacré”, constate un acheteur en agence. Besoin d’exemples ? Prenons l’omnicanalité, un sujet cher aux agences médias qui essaient, dans la mesure du possible de décloisonner business units et leviers médias. Difficile à faire lorsque l’outil que vous utilisez majoritairement ne suit pas les évolutions du marché.

 C’est un fait, DV 360 a mis beaucoup de temps à s’intéresser à ces nouveaux leviers que sont le DOOH, l’audio ou la TV segmentée. Des leviers qu’il traite mal, “comme l’audio”, à en croire notre acheteur, ou trop partiellement, comme la TV segmentée, puisque DV 360 n’est connecté qu’à l’inventaire de TF1 Publicité.

 “Les budgets consacrés à ces environnements sont, certes, petits… mais ils sont en forte croissance”, note Florent Couton, head of business et marketing chez Havas Programmatic Hub (Havas Media Network). Le principal concurrent de DV 360, The Trade Desk, l’a bien compris, qui a très tôt pris le parti de préempter ces nouveaux leviers. “Et qui en profite pour inciter ses clients à lui confier des budgets alloués à la vidéo en ligne ou au display, sous couvert de synergies”, ajoute Florent Couton.

“Certains DSP impliquent vraiment les agences médias dans le développement de leur roadmap produit, en nous donnant parfois la possibilité d’influer sur cette dernière. Pas Google.”

“Ce n’est pourtant pas faute d’avoir sollicité DV 360 pour qu’il s’intéresse à ces environnements”, regrette-t-on du côté des agences médias interrogées. C’est un grief qui revient fréquemment : l’incapacité de Google à faire évoluer son produit en fonction des attentes de ses clients. “Certains DSP impliquent vraiment les agences médias dans le développement de leur roadmap produit, en nous donnant parfois la possibilité d’influer sur cette dernière”, rappelle un patron d’agence.

Mais pas Google… ou alors après bien des négociations, à en croire notre patron. “On planche en ce moment sur une solution de custom bidding, que l’on veut déployer au sein de nos différents DSP. Ça a été très vite avec The Trade Desk, beaucoup moins avec DV 360, qui ne s’est en réalité réveillé que lorsqu’on lui a montré ce qu’on faisait avec The Trade Desk.” 

Ce n’est pas une surprise, à en croire un bon connaisseur de l’univers Google, qui rappelle que DV 360 est une goutte d’eau dans la galaxie de sociétés que compte sa maison-mère, Alphabet, alors que l’activité DSP est le seul produit de The Trade Desk. Et qui observe que, là où The Trade Desk met les bouchées doubles sur l’accompagnement de ses utilisateurs, Google fait, lui, plutôt le pari du self-service. 

“Cela vaut pour pas mal de produits de la maison, pour lesquels Google a beaucoup réduit les effectifs, côté support, ces derniers temps et DV 360 n’y échappe pas”, analyse cet expert qui estime, qu’en revanche, les efforts du DSP américain restent soutenus en qui concerne la tech et le produit. “Sur le custom bidding, DV 360 est au niveau du Trade Desk”, assure notre expert. 

Peut-être mais, à cause de son désinvestissement sur le support, il n’est clairement pas aussi attractif. “Pour faire du custom bidding sur DV 360, il vous faut avoir des profils data scientists, qui savent coder, sans quoi vous allez galérer. Alors que The Trade Desk offre, lui, des solutions clés en main, développées par ses propres équipes”, compare Florent Couton. 

Ce qui vaut pour le développement de nouvelles fonctionnalités vaut pour tous les tracas du quotidien : un deal ID qu’il faut réactiver, un bug qu’il faut corriger ou un questionnement auquel il faut apporter une réponse. Sur tous ces sujets, l’accompagnement des équipes de The Trade Desk est, selon nos interlocuteurs, inégalé. Ce qui lui permet, au fil des mois, de grignoter des parts de marché à DV 360. 

“Il ne se passe pas une semaine sans que les équipes de The Trade Desk ne nous tiennent au courant de leurs nouveautés”, note un manager en agence. Une omniprésence à mettre en perspective avec la raréfaction des contacts que les agences médias ont avec les équipes de DV 360. “On a de moins en moins d’échanges avec elles”, témoigne Jean-Damien Agurto-Levy, head of digital et data chez Initiative (IPG Mediabrands).

La date de son dernier point avec les équipes de DV 360 ? Le début de l’année, quand les contacts sont beaucoup plus réguliers avec celles de The Trade Desk. “On s’est encore parlé la semaine dernière.” 

"Si on met en perspective les ressources que The Trade Desk nous consacre avec le chiffre d’affaires qu’on fait chez lui, le ratio est deux fois plus élevé que chez DV 360"

Comme relevé plus haut, cette différence de service client est d’abord une question de moyens.  “Si on met en perspective les ressources que The Trade Desk nous consacre avec le chiffre d’affaires qu’on fait chez lui, le ratio est deux fois plus élevé que chez DV 360”, commente un patron d’agence. “On a deux profils dédiés chez DV, trois chez The Trade Desk, qui pèse pourtant beaucoup moins chez nous”, ajoute un autre.

Des accounts qui ont, en plus, l’avantage de pouvoir apporter des réponses aux questions que se posent les agences. Ce qui est, à en croire ces dernières, rarement le cas de ceux de chez Google. “On a l’impression qu’ils sont autant dans le flou que nous sur certains sujets et que leur rôle se limite à ouvrir un ticket en interne et espérer une réponse qui vient des Etats-Unis”, note un acheteur. Rien de tel chez The Trade Desk qui, rappelons-le, a pris le soin d’installer des équipes tech et produit dans ses principaux marchés locaux. 

“Le métier des agences s’est fortement complexifié au cours de ces dernières années, rappelle le patron du trading d’une agence du big 6. Nous sommes contraints d’augmenter les ressources allouées à la gestion des campagnes… pour un niveau de facturation identique.” Il est évident, pour ce dirigeant, que les DSP qui ne sauront pas l’accompagner dans cette complexification perdront des parts de marché. Et que DV 360 est évidemment le premier concerné. 

“On n’a aucune idée de ce que DV 360 a en tête concernant l'après cookies tiers”

Un très bon exemple, c’est la fin des cookies tiers. Un sujet sur lequel “on n’a aucune idée de ce que DV 360 a en tête”, regrette Jean-Damien Agurto-Levy. Si les DSP sont, pour la plupart à la traîne sur le sujet (The Trade Desk est tout de même à l’origine d’une initiative d’identifiant partagé), DV 360 brille, lui, par son manque de vision… et de solutions proposées au marché.

“Le seul produit connu de DV 360, c’est PAIR, qui permet de matcher la base de données d’un annonceur avec celle d’un éditeur, dans une logique de custom audience”, note un expert. Et c’est bien évidemment très insuffisant pour espérer naviguer sereinement dans l’après cookies tiers. 

Car, il faut le rappeler, DV 360 ne permettra pas aux acheteurs d’utiliser des ID partagés. “Il ne s’agit pas de tuer les cookies tiers pour les remplacer par une fonctionnalité similaire”, justifie, en substance, Google. Pourquoi pas. Mais comment expliquer, dès lors, qu’un autre produit maison, Google Ads Manager, qui aide les éditeurs à monétiser leurs inventaires publicitaires, permettra, lui, de partager ces identifiants.

Et comment expliquer que DV 360, qui nous assure que les API de Topics constituent une vraie alternative à la fin des cookies tiers, ne permettent toujours pas à ses utilisateurs de tester cette API de Privacy Sandbox (Privacy Sandbox qui est, rappelons-le, une solution imaginée par les équipes Chrome).  “A 6 mois de la fin des cookies tiers, il y a de quoi se poser des questions”, soulève Jean-Damien Agurto-Lévy. Et de s’interroger sur la capacité de DV 360 à accompagner ses clients dans l’après cookies tiers.

“C’est à se demander si Google n’est pas en train de reléguer DV 360 au second plan de ses priorités”, s’interroge cet acheteur qui n’a pas loupé un épisode des bisbilles juridiques de Google et parie sur la possibilité que le géant de la publicité lâche certains de ses outils pour satisfaire les autorités de concurrence. Une théorie qui ne date pas d’hier mais qui n’a, pour l’instant, aucun fondement.

“Cela fait des années qu’on en entend parler, note un vétéran de l’adtech. Si Google doit sacrifier un produit, je miserai plutôt sur Google Ad Manager, qui l’expose, lui, beaucoup plus aux conflits d’intérêts. Plus que DV 360”

DV 360 qui a, en plus, le mérite de compter sur un soutien de choix. “Oui, DV 360 n’est plus en odeur de sainteté auprès des agences mais ce n’est pas le cas auprès des clients de ces dernières : les marques”, poursuit notre expert. Et c’est peut-être ça qui compte au final. “La réalité, c’est que les marques adorent Google et qu’elles n’ont aucun souci à imposer ses outils aux agences médias. Ces dernières ont beau regretter ne pas pouvoir négocier de deal en direct avec Google et bénéficier d’un accompagnement +++,  elles n’auront pas d’autre choix que de s’y plier.”

 D’autant que si DV 360 n’a jamais été connu pour son goût de l’innovation, comme le regrette les agences médias citées plus haut, ça ne lui a, jusque-là, jamais posé problème. “Généralement, DV 360 attend que des DSP verticaux évangélisent les acheteurs aux vertus du programmatique sur de nouveaux environnements pour s’y mettre. Et, souvent, ça ne l’empêche pas de rafler la mise”, s’amuse notre expert.

C’est vrai… mais ça ne le sera peut-être pas éternellement. Surtout si son principal facteur de différenciation, Youtube, perd de son attrait. Il faut dire que la concurrence s’est fortement accrue sur le terrain de l’AVOD avec l’arrivée de Netflix, qui est accessible via le DSP de Xandr, celle de Disney +, accessible via la plupart des DSP du marché et surtout Prime Video Ads, dont l’accès est conditionné à l’utilisation du DSP d’Amazon.

Google Ads, concurrent de DV 360 ?

A noter que la concurrence pourrait aussi venir de l’intérieur puisque Google Ads, autre outil d’achat programmatique maison, gagne en traction. Plus 2 points de parts de marché entre 2022 et 2023 selon le baromètre du programmatique d’Alliance Digitale et Adomik. Google Ads qui, comme le rappelle Florent Couton, “bénéficie toujours des innovations de Google en avant-première.” Qu’il s’agisse de Youtube Shorts, qui n’est accessible que depuis peu sur DV 360. Et, surtout, de la révolution, Performance Max, que Google refuse (pour l’instant ?) à DV 360.

“Google Ads a également l’avantage de permettre des campagnes décloisonnées entre le search et le display”, note Florent Couton. Ce que DV 360, “display only”, ne permet pas. Même si ce dernier donne, en revanche, accès à des inventaires qui ne sont pas disponibles via Google Ads, comme la CTV.  

Plus à la pointe, Google Ads est également moins cher. L’outil, dont l’utilisation est historiquement gratuite, coûte désormais entre 2 et 3% du budget de la campagne (soit l’équivalent de la taxe Gafa que Google répercute auprès des annonceurs). Compter 5 à 6% pour DV 360, si vous achetez sur Youtube ou en programmatique garanti (3 à 4% pour l’outil + 2 à 3% pour la taxe Gafa que Google répercute sur DV 360 depuis juillet dernier) et 12 à 13% si vous achetez en open auction (10% pour l’outil + 2 à 3% pour la taxe Gafa).

Bien sûr, vous avez beaucoup plus de contrôle sur DV 360 que Google Ads. Mais c’est suffisant pour en faire réfléchir plus d’un au moment de décider par quel outil passer pour piloter ses campagnes. Surtout lorsqu’il fait face, comme c’est le cas de la plupart des agences médias, à d’énormes enjeux en matière de productivité. 

Google Ads ou DV 360, bonnet blanc, blanc bonnet, l’argent reste chez Google, me direz-vous. Google qui, comme le rappelle Florent Couton, reste un acteur qu’il ne faut surtout pas enterrer trop vite car il dispose d’une expertise inégalée en matière d’UX. “Aujourd’hui, un jeune trader qui arrive en agence s’approprie très vite DV 360.” Tous les DSP ne peuvent pas en dire autant…

 La réponse de Google à Minted 

“Nous vous confirmons que DV 360 n’est pas “laissé à l'abandon”, nous continuons à investir dans le développement de la plateforme et venons d'ailleurs de publier la roadmap 2024 il y a quelques jours. Aussi vous trouverez plus d’éléments sur comment Google Ads et Display & Video 360 testent les annonces basées sur les centres d'intérêt sans cookies tiers.”