Greenbids, la solution lancée par un ancien de Google pour réduire les émissions carbone de la pub programmatique


  • Après trois ans chez Google, Guillaume Grimbert s’associe à Jean-Baptiste Pettit, ancien de Teads, pour lancer un outil d’achat qui doit aider les marques à optimiser les émissions carbone associées à leurs campagnes programmatiques, sans pour autant affecter leur efficacité.
  • Minted l’a rencontré en exclusivité, pour faire le point sur les promesses d’une pratique encore balbutiante… mais qui devrait prendre de l’ampleur dans les mois à venir.

Minted. Vous avez lancé Greenbids, une solution qui propose de réduire les émissions carbone du secteur de la publicité digitale grâce au machine learning. Pourquoi ?

Guillaume Grimbert. C’est la conjonction de plusieurs facteurs. D’abord mon expérience chez Google, où il ne se passait pas une semaine sans qu’un client ne me pose la question des émissions carbones liées à ses opérations digitales, qu’il s’agisse du programmatique ou Youtube, sans que l’on n’ait de solution à lui apporter en interne. Mais aussi le fait que j’identifie aujourd’hui un angle mort dans la manière avec laquelle on traite ce sujet. Si vous regardez les nombreuses sociétés de conseil qui se sont lancées, vous verrez qu’elles se concentrent sur la les émissions de carbone liées à la création publicitaire et aux conditions de sa diffusion.

C’est évidemment important mais ce n’est que la partie émergée de l’iceberg car ces sociétés occultent de regarder ce qui se passe entre les outils d’achat programmatique et les éditeurs qui diffusent les créations. Une étape qui est, selon mes calculs, responsable de près de 50% des émissions carbones liées à une impression publicitaire digitale. Une étape qui, il est vrai, est beaucoup plus difficile à analyser.

Pour quelle raison ?

Tout simplement parce que l’automatisation des achats publicitaires n’a pas simplifié le processus, elle l’a plutôt complexifié avec des éditeurs qui travaillent aujourd’hui avec plusieurs dizaines de SSP, ce qui fait que leur inventaire est accessible via des centaines de chemins différents.et que, sans surprise, les acheteurs en prennent beaucoup qui font doublon pour y accéder. 

Vous attaquer à la partie émergée de l’iceberg ne vous intéresse donc pas ?

Bien sûr que oui ! Nous ambitionnons, à terme, de mesurer et optimiser 100% des émissions liées à une création publicitaire. Mais nous réfléchissons encore à la meilleure manière d’adresser ce sujet des émissions liées à une création et à ses conditions de diffusion. Et, en attendant, nous préférons axer le développement de Greenbids sur l’optimisation du volet programmatique.

Comment allez-vous procéder ?

Greenbids récupère en temps réel toutes les données qui transitent via les plateformes d’achat. Il n’y a aucune friction opérationnelle pour les marques ou leurs agences : pas de pixel ou de tag à déployer. Nous nous connectons en API aux sièges DSP des marques qui nous font confiance. Cela nous permet de récupérer toutes les données liées à chaque impression publicitaire et de calculer les émissions carbone associées à ces dernières, en partant du référentiel mis en place par le SRI et l’IAB. Les données sont mises à jour et en forme quotidiennement, via de la data visualisation. L’annonceur accède depuis une interface aux émissions carbones de ses campagnes programmatiques pour la journée.

Nous voulons faire tout cela en totale transparence. Raison pour laquelle nous prévoyons de publier un livre blanc au cours du premier semestre 2023, pour expliquer notre démarche. Nous échangeons également avec des sociétés de conseils et des agences médias pour les évangéliser à notre technologie.

Voilà pour la mesure. Quid de la réduction des émissions carbone ?

Nous utilisons les fonctionnalités de bidding des deux principaux DSP du marché, custom bidding de DV 360 et custom model de Xandr, pour optimiser la stratégie d'investissement en incluant ce nouveau paramètre que sont les émissions carbones liées à une impression. Il ne s’agit pas uniquement de faire du SPO, pour trouver le chemin le plus court vers une impression. Nous allons également faire des arbitrages entre 1) la probabilité qu’a l’annonceur de gagner une enchère et 2) son coût carbone. Cela permettra d’arrêter d’enchérir sur des bid requests pour lesquelles nous savons avoir 99,9% de chances de ne pas gagner. C’est, aussi, évidemment un arbitrage entre la performance attendue d’une bid request sur le principal KPI de la campagne et l’émission carbone qui lui est associée. 

Votre parti pris, c’est de réussir à délivrer un incrément de performance, tout en réduisant l’impact carbone. Pas une mince affaire…

C’est sûr que c’est une démarche difficile à industrialiser. On le voit d’ailleurs chez les acteurs existants, qui y arrivent en changeant les conditions de diffusion, mais d’une manière qui, si elle se généralisait, dégraderait fortement les performances. Parce qu’on ne peut pas diffuser toutes ses impressions au moment où l’électricité est le plus décarbonée ou quand l’internaute est en Wifi plutôt qu’en 4G.

Quel est votre modèle économique ?

Nous facturons nos services avec un coût pour mille (CPM) impressions mesurées et optimisées. L’objectif, c’est que l’amélioration du return on ad spend (ROAS), qui sera générée  par notre algorithme d’achat, absorbe ce coût d’utilisation. Nous voulons aller chercher le max de performance en utilisant le moins de ressources carbone possible. Et c’est en cela que notre offre est unique.

Pas si unique que ça non ? Scope3 a plus ou moins le même positionnement

Pas tout à fait. Nous nous attaquons au même sujet mais avec des approches différentes. Nous voulons réduire les dépenses carbone des annonceurs, quand Scope3 est plutôt dans une démarche de compensation. J’ajouterai que Scope3 package des “green media products” qui favorisent les inventaires de groupes partenaires. Nous aiguillons aussi les investissements médias vers les inventaires les mieux disant, mais de manière agnostique, les décisions étant prises par notre algorithme. Le dernier point, c’est que Scope3 a une approche globale… qui a ses limites. Être capable de déterminer la valeur carbone d’une impression donnée dans un pays spécifique, c’est un vrai métier, puisqu’il faut bien en connaître le mix énergétique.

Ceci étant précisé, n’oublions pas que la cause commune est au-dessus des considérations concurrentielles, qu’il s’agisse de Scope3, d’Impact Plus ou d’autres acteurs qui traitent de ce sujet. Et qu’il y a, de toute manière, la place pour tous. Et puis, franchement, c’est plutôt positif de pouvoir s’appuyer sur une personnalité comme Brian O’Kelley pour évangéliser le marché !

Le problème, qu’il s’agisse de Scope3 ou de Greenbids, c’est que votre périmètre d’action est limité à l’Open Web. Or on sait que Meta, Google, Snap ou encore TikTok captent l’essentiel des investissements…

Nous leur parlons et je peux vous assurer qu’ils ont les meilleures intentions sur ces sujets. Mais c’est vrai que cela prend du temps, notamment pour des considérations légales. Tout l’enjeu, c’est de faire suffisamment de bruit pour les inciter à soulever le capot, comme le secteur l’a fait, il y a quelques années, sur le sujet de la visibilité. Si un annonceur dit à Youtube que, selon ses calculs, une impression Youtube a un poids carbone de 4 gramme et qu’il va donc aller chez un éditeur dont les impressions pèsent en moyenne 1 gramme, vous pouvez être sûr que Google va réagir et que, pour récupérer ces investissements, il n’aura pas d’autre choix que d’expliquer à l’annonceur pourquoi, selon ses propres calculs, il se trompe.

Le fait de poser des bases communes, via le baromètre du SRI et de l’IAB, va forcer les GAFA à partager leurs données. Et même si l’on sait pertinemment qu’il s’agit d’un proxy, que tout n’est pas exact, dès lors que tout le monde s’accorde dessus, il fera loi.

Quels sont les annonceurs avec lesquels vous travaillez ?

Nous travaillons déjà avec l’Oréal sur l’optimisation de leurs campagnes programmatiques en France et au Royaume-Uni, avec Engie, sur l’optimisation et la mesure et avec Leroy Merlin sur la mesure. Nous discutons avec quelques gros annonceurs. L’objectif, c’est d’arriver à une dizaine de clients sur des verticales variées, d’ici la fin de l’année. Nous sommes optimistes car le marché réalise que c’est sa pérennité qui est en jeu. C’est particulièrement vrai côté supply digitale, avec la crainte de perdre des investissements au bénéfice de secteurs mieux disants d’un point de vue émissions carbone, comme la télévision.

Les éditeurs sont-ils d’ailleurs dans votre cœur de cible ?

C’est prévu et nous leur parlons déjà. Avec en tête que ce n’est pas évident de trouver le bon modèle économique, car ils sont en bout de chaîne et qu’ils captent déjà peu de valeur sur chaque euro investi par un annonceur. Nous ne pouvons donc pas arriver avec nos gros sabots et leur prélever une nouvelle commission. Mais c’est évident qu’il faut s’y attaquer. Car aider un publisher à réduire ses émissions, c’est avoir autrement plus d’impact que d’agir acheteur par acheteur. Reste que tant que les annonceurs n’en feront pas un critère d’achat, les éditeurs n’auront pas d’intérêt à faire les efforts nécessaires.