21 novembre 2025
Temps de lecture : 7 min
Image du très bon jeu No Man's Sky
Avec près de 3 milliards de joueurs à travers le monde (console, mobile, PC, tablettes), le jeu vidéo représente l’une des plus grandes audiences de la planète, dépassant le cinéma et la musique réunis en termes de revenus. Pourtant, malgré ce potentiel colossal, la publicité directement intégrée dans les jeux (in-game advertising) reste une pratique de niche, une promesse qui peine à se concrétiser depuis plusieurs décennies.
Pourquoi les marques ne se sont-elles pas encore massivement emparées de cet eldorado annoncé en France ? Faut-il s’attendre à une évolution, portée par un secteur du gaming en difficulté et à la sortie de jeux tant attendus comme GTA VI ?
L’idée de placer de la publicité dans les jeux vidéo ne date pas d’hier. Antoine Dubuquoy se souvient avoir lancé en 2008 l’entité française d’IGA Worldwide, une entreprise spécialisée dans l’in-game advertising (IGA) qui n’existe plus aujourd’hui. « Force est de constater qu’en 17 ans, l’IGA n’a pas connu la même croissance que le nombre de joueurs. Cela reste un média de niche pour les annonceurs », constate-t-il.
Selon Statista, le marché de l’IGA en France devrait atteindre 831,91 millions de dollars en 2025. Toujours d’après Statista, le taux de croissance annuel (CAGR) pour la période 2025-2030 serait de 9,55%, avec une projection à 1,31 milliard de dollars en 2030. Il croît en France, mais reste derrière les très gros marchés (US, Chine, Japon, Royaume-Uni, Allemagne). Par exemple, le marché IGA américain était estimé à environ 2,4 milliards de dollars en 2024 (source : Market Research). Celui du Royaume-Uni est quant à lui estimé à environ 3,92 milliards de dollars en 2025 (selon Statista).
En France, beaucoup de marques sont attentistes, même si certaines testent plusieurs formats avec une préférence pour ce qui est mesurable et non intrusif. L’allocation budgétaire reste néanmoins plus prudente que sur la TV ou le search/social.
Cet été, l’IAB a publié un framework pour l’in-game advertising afin de permettre aux annonceurs de mieux identifier les différents formats publicitaires disponibles dans les environnements de jeu vidéo.
Elle en identifie 4 principaux :

Edouard Perrin, Lead Social Content & Gaming chez Publicis Media, identifie une autre possibilité, celle de « sous louer » l’audience d’un créateur de contenu ou d’un mappeur pour mettre en avant une marque au sein d’un jeu. Celui-ci va créer au sein du jeu vidéo (Roblox, Fortnite, Trackmania, etc.) une map aux couleurs de la marque. « Le gaming est un média comme un autre. Il faut capitaliser sur les personnes ayant leur propre communauté, comme sur les réseaux sociaux », continue-t-il.
Par exemple, en 2023, SNCF Réseau a lancé « L’Odyssée du Rail », un monde virtuel au sein de Roblox. Des influenceurs et créateurs de contenu (Doigby, Deujna, Henry Tran et Linca) ont été invités à tester la map afin d’inciter les joueurs à faire de même.
Alors que le Covid nous empêchait de sortir de chez nous en 2020, la région Centre-Val de Loire et l’agence tourangelle WSC ont organisé le « Centre-Val de Loire Tour », une compétition esport sur le jeu Fortnite, afin de donner envie aux joueurs de visiter la région. Le mappeur XWDFr a par exemple créé la map du château de Chambord à partir d’images Google Maps.
Même s’il existe plusieurs formats à disposition des annonceurs, toutes les publicités ne sont pas automatisées. Pour les publicités au sein de jeux mobile, le programmatique existe déjà depuis plusieurs années, sous forme de pré-roll ou de « rewarded » car le modèle free to play s’y prête. Mais dans les jeux payants, la situation est plus complexe.
Selon Baptiste Pechery, Head of Media Trading de Gamned (groupe Biggie), le programmatique n’existe pas dans l’in-game advertising au sein des jeux console ou PC. « C’est en réalité du gré à gré déguisé ou du programmatique garanti », déclare-t-il. Alex Humpage-Versavaud, Chief Media & Strategy Officer de l’agence Biborg, abonde : « Dans ce genre de jeux, il n’y a pas d’enchères, les CPM sont fixes ou il s’agit d’OPS (opérations spéciales) ».
Comme l’explique l’excellent livre-blanc du groupe de travail « gaming » de l’Alliance Digitale, un annonceur qui pitche une campagne peut s’adresser à des trading desk ou à une agence média (Dentsu Gaming, Publicis play, Gamned, Webedia, etc.) qui créent des deals sur un SSP (Xandr, Equativ, etc.). Ces SSP sont connectés à des éditeurs spécialisés (comme Gadsme), eux-mêmes connectés aux acteurs du gaming. Mais cette chaîne n’est pas valable pour tous les types de jeux.

La raison de ce manque d’automatisation ? Un modèle beaucoup moins flexible et beaucoup plus coûteux. « Les annonceurs doivent créer des formats adaptés et plus créatifs, moins facilement réplicables. Cela demande de faire appel à une équipe dédiée, pour un temps d’exposition parfois très court », explique Maxime Maton, directeur d’Adways en France (propriété de Weborama).
Edouard Perrin explique qu’il faut parfois attendre 6 mois, le temps que le jeu propose une mise à jour, pour actualiser la publicité ou changer d’annonceur.
En plus des coûts importants de création, les annonceurs, qui ont souvent une approche très ROIste, sont déçus par l’approche branding et le manque de standardisation dans la mesure. Bien que l’on puisse aujourd’hui techniquement mieux quantifier et chiffrer l’exposition, il est difficile de mesurer les performances par rapport aux KPIs standards.
« La situation évolue. Les « tuyaux » qui vont diffuser la publicité dans les jeux vidéo sont les mêmes acteurs (SSP) et les mêmes systèmes que ceux utilisés pour la pub digitale. Il existe désormais des sondes qui permettent de mesurer si un joueur a bien été exposé à une publicité », affirme Maxime Maton.
Autre frein pour les annonceurs : les craintes concernant la brand safety. Cela concerne moins les jeux payants, étant donné que le programmatique n’existe pas vraiment, mais les environnements mobiles. « La fraude est, elle aussi, parfois compliquée à mesurer », continue-t-il.
Enfin, l’adoption est freinée par des problèmes de perception. L’image stéréotypée du gamer (le geek avec un sweat à capuche qui ne dort pas) est tenace, créant une dissonance. Or, l’univers du jeu vidéo est aujourd’hui familial : 79 % des joueurs déclarent jouer avec leurs enfants, selon Médiamétrie. Le joueur médian, si l’on inclut le mobile, est une femme de 40 ans. C’est pourquoi un travail de pédagogie est nécessaire auprès des agences pour faire évoluer cette image.
L’augmentation du coût du développement des jeux triple A et quadruple A (ceux aux budgets les plus importants et qui sont normalement les plus qualitatifs) pourrait pousser les éditeurs à chercher d’autres modes de financement et donc faciliter la diffusion de publicités, même dans les jeux payants.
En 2024, le CEO d’Electronic Arts, Andrew Wilson, a révélé que l’entreprise travaillait sur l’insertion de publicités dans ses jeux AAA.
En octobre dernier, The Verge a révélé que Microsoft testerait actuellement une version gratuite du Xbox Cloud Gaming (accessible via le Game Pass) financée par la publicité. Le principe ? Le joueur regarde deux minutes d’annonces avant d’accéder gratuitement à un jeu. L’entreprise américaine a en parallèle augmenté le prix de son Game Pass jusqu’à + 50% pour le pass Ultimate.
Cela ne vous rappelle rien ? Un grand acteur américain qui décide d’injecter de la publicité à son abonnement payant ? Je vous aide : ça commence par Net et ça finit par Flix. Lorsque le géant du streaming a lancé son offre avec publicité, le grand public n’a pas très bien réagi. Aujourd’hui, les utilisateurs ne voient pas de problème à payer moins cher contre le visionnage de quelques spots.
Peut-on imaginer, demain, un pré-roll ou une pause ad au sein des jeux payants? Le terrain est glissant, surtout que la communauté des gamers est soudée. Après l’annonce du CEO d’Electronic Arts, les critiques et plaintes ont déferlé sur Reddit. Un boycott n’est jamais loin.
Mais la rumeur concernant Microsoft est un signal faible qui peut prendre de l’ampleur. « La publicité gagne tous les environnements. Je ne vois pas pourquoi le jeu vidéo y échapperait. Surtout que Microsoft est par ailleurs un acteur de la publicité », analyse Baptiste Pechery. On pourrait voir apparaître demain, des versions des jeux moins chères, voire gratuites, avec publicité.
« La publicité est une source importante de monétisation pour le jeu vidéo. Cependant, l’expérience des joueurs restera toujours notre priorité absolue. L’intégration de publicités dans nos jeux se fera donc uniquement à des endroits où elles ne sont pas intrusives, où elles peuvent améliorer l’immersion de l’expérience de jeu, où elles sont optionnelles et/ou où elles offrent un avantage concret au joueur (une récompense en jeu ou autre) », précise Jonathan Stringfield, VP, Business Strategy, Analytics and Trust, Microsoft Advertising.
Mais pour que les choses s’accélèrent selon Edouard Perrin, il manque un acteur technologique qui nouerait des partenariats avec tous les grands constructeurs de console ou bien un conglomérat d’éditeurs de jeux vidéo décide d’imposer le programmatique.
« Simplifier le processus d’achat pour les marketeurs et débloquer l’ensemble de l’écosystème, tout en cherchant à créer des connexions utiles et authentiques pour le joueur, constitue un atout à la fois pour les annonceurs, les studios et les joueurs », ajoute Jonathan Stringfield.
La publicité a déjà fait son entrée dans les hubs d’accueil de certaines consoles comme la Playstation et la Xbox depuis plusieurs années, rappelle Alex Humpage-Versavaud, il suffirait donc d’un pas supplémentaire pour que la publicité s’intègre dans les jeux.
Une chose est sûre, selon lui, il y aura un avant et un après GTA VI, le nouveau volet que toute une communauté attend depuis plus de 10 ans. « Il y a une émulation autour de la sortie du jeu, même si elle est sans cesse décalée (il sortira en 2026 contre 2025 initialement, ndlr). Les annonceurs, les autres éditeurs de jeux vidéo, se calent tous sur cet évènement ».
Au point de convaincre les marques encore frileuses de se lancer dans l’aventure de l’in-game advertising ?
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