22 septembre 2025

Temps de lecture : 3 min

Spotify patine dans la publicité : vers la fin programmée du streaming gratuit ?

Peut-on encore financer les offres de streaming musical gratuites seulement avec la publicité ? Spotify veut encore y croire malgré ses difficultés de monétisation. L'industrie du disque, elle, commence à réclamer leur disparition.

L’aveu est sans détour. Fin juillet, Daniel Ek n’a pas caché son agacement sur les performances publicitaires de Spotify.

« Nous avons avancé trop lentement, et les améliorations que nous avons mises en place ont mis plus de temps que prévu à produire des effets », a-t-il regretté, en marge de la publication des résultats trimestriels.

Mais le patron de la plateforme suédoise de streaming musical veut rester optimiste. Ces difficultés ne proviennent pas d’un « problème de stratégie », promet-il. Elles sont seulement la conséquence d’une mauvaise « exécution ». Une critique à peine voilée visant Lee Brown, l’ancien patron de la publicité chez Spotify, dont le départ, négocié à l’amiable, avait été officialisé la veille.

Ce discours rassurant n’est pas uniquement destiné aux investisseurs de Wall Street: il s’adresse aussi à l’industrie du disque. Depuis des années, les responsables du secteur s’interrogent en effet sur la pérennité financière des offres gratuites, uniquement financées par la publicité. Certains vont jusqu’à réclamer leur disparition. Daniel Ek, lui, continue à y croire. Mais il abat peut-être sa dernière carte.

Un utilisateur gratuit rapporte un euro par trimestre

Au cœur de son modèle depuis son lancement en 2008, les offres gratuites sont essentielles pour Spotify.

Elles rassemblent plus de 430 millions d’utilisateurs actifs mensuels, soit environ deux tiers de son audience. Elles permettent de capter des personnes qui iraient écouter de la musique sur d’autres plateformes, voire illégalement. Et elles constituent la principale porte d’entrée vers ses abonnements.

Source : Spotify

Le problème vient de leur monétisation: la publicité représente à peine plus de 10% du chiffre d’affaires, soit deux fois moins que l’objectif de 20% que s’était fixé l’entreprise. Au deuxième trimestre, elle a généré des recettes de 453 millions d’euros – un montant qui comprend, en outre, les recettes issues de la diffusion de podcasts, sur lesquels des spots sont diffusés pour tous les usagers, gratuits ou payants.

Autrement dit, chaque utilisateur de l’offre de streaming gratuite rapporte autour d’un euro par trimestre à Spotify.

À titre de comparaison, les abonnés payants rapportent 13,50 euros par trimestre (en prenant en compte les offres groupées). Plus inquiétant encore, la croissance des recettes publicitaires patine.

Malgré la hausse du nombre d’écoutes, elles ont diminué de 1% au deuxième trimestre, une baisse que Spotify attribue à une « pression sur les prix ».

De nouveaux outils de mesure… et d’IA générative

Ces difficultés ne sont pas seulement conjoncturelles, liées à la faiblesse du marché publicitaire. Elles sont aussi structurelles, reconnaissent les dirigeants de Spotify. Pour y répondre, ils comptent sur plusieurs initiatives annoncées ces derniers mois.

  • D’abord, le lancement de sa propre plateforme publicitaire, baptisée Spotify Ad Exchange, qui permet aux annonceurs d’accéder à ses inventaires audio, vidéo et display. Celle-ci est connectée, dans les principaux marchés, à plusieurs DSP: Google DV360, The Trade Desk et Magnite.
  • Spotify mise aussi sur de nouveaux outils de ciblage et de mesure, tentant ainsi de répondre aux critiques récurrentes des annonceurs. De nouveaux objectifs basés sur les résultats (installation d’une application, optimisation du reach…) ont aussi été ajoutés.
  • En parallèle, la plateforme a déployé des outils gratuits d’intelligence artificielle générative, destinés à aider les marques à produire des spots audio, leur permettant de rédiger un script ou de générer des voix off.

Enfin, la société vient d’annoncer un changement radical pour ses offres gratuites: sur smartphone, les utilisateurs peuvent désormais écouter à la demande le morceau de leur choix. Jusqu’ici, cette liberté était réservée aux abonnés et constituait l’un des principaux arguments mis en avant pour inciter à payer.

Avec ce virage, Spotify espère reconquérir les jeunes et les détourner de YouTube ou TikTok. À terme, la société ambitionne ainsi d’attirer de nouveaux adeptes, de renforcer l’engagement et d’accroître ses inventaires et ses recettes publicitaires.

Vers la fin des offres gratuites ?

Spotify n’est pas un cas isolé. Selon la RIAA, le lobby américain de l’industrie musicale, les royalties générées par l’ensemble du streaming gratuit (qui correspondent à un pourcentage estimé à 70% des recettes publicitaires) ont reculé de 2% en 2024 aux Etats-Unis.

Elles se sont élevées à 1,8 milliard de dollars. À titre de comparaison, les versements liés aux abonnements payants ont atteint 10,7 milliards de dollars, un niveau record.

Si elles ont d’abord accepté le principe d’offres financées par la publicité, notamment pour lutter contre les téléchargements illégaux, certaines maisons de disques réclament désormais une évolution du modèle.

Elles estiment que le taux de conversion vers les abonnements payants n’est plus suffisant pour compenser une monétisation jugée beaucoup trop faible pour une audience qu’elles chiffrent à plusieurs milliards de personnes.

Fin 2024, Rob Stringer, le patron de Sony Music, l’une des trois majors du secteur, s’est ainsi prononcé pour l’instauration d’une contribution « modeste » dans les pays développés, prenant l’exemple des abonnements avec publicité de Netflix, Disney+ ou Amazon Prime.

« Nous pensons que tout le monde est prêt à payer quelque chose pour avoir accès à toute la musique », assure-t-il.

Après avoir obtenu une hausse du prix des abonnements, longtemps fixé à 10 euros ou dollars par mois, l’industrie du disque aura, cette fois, peut-être plus de mal à convaincre Spotify et les autres plateformes.

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