Ce que le secteur du retail media peut apprendre du programmatique (et ce qu’il ne doit surtout pas reproduire)


  • Adserving, gestion du yield, mise en compétition de plusieurs sources de demande... Le secteur est encore en jachère en ce qui concerne l'optimisation de ses revenus.
  • Il va falloir pourtant se bouger, alors que sa croissance va fatalement se ralentir avec le temps et que les régies ne pourront plus exclusivement compter sur l’explosion de la demande pour faire grandir leurs revenus. Voici quelques pistes

En 2022, on a vu énormément de régies (TF1 Pub, Teads, Adyoulike pour ne citer qu’eux) s’intéresser au retail media, et plus précisément à l’activation de données retail en extension d’audience. Ma prédiction, c’est qu’en 2023, on va voir pas mal d’acteurs de l’adtech, notamment des technologies de monétisation (adservers, SSP et DSP) faire de même. On peut déjà citer Equativ, qui expliquait réfléchir au meilleur moyen de se positionner sur le secteur du retail media dans nos colonnes, mais ce ne sera évidemment pas le seul.

Rien de plus logique alors que l’Open Web arrive à maturité et que le display dit “classique” ne croît plus aussi vite. Ces adtech, qui se doivent de préserver leur croissance, que ce soit pour satisfaire leurs investisseurs ou ne pas dépareiller en cas d’exit / introduction en bourse, vont, elles aussi, tenter de prendre la vague retail media. 

C’est d’autant plus probable que le secteur du retail media est, du point de vue de l’optimisation de ses revenus, encore en jachère et qu’alors que sa croissance va fatalement se ralentir avec le temps, les régies ne pourront plus exclusivement compter sur l’explosion de la demande pour faire grandir leurs revenus. “On va devoir commencer à yielder et à faire plus d’efforts dans l’optimisation de la valeur de notre inventaire”, estime Alexandra Suire, la patronne de Retailink, la régie de Fnac-Darty. Les axes de progression sont nombreux et le secteur peut, à ce titre, beaucoup apprendre de son aîné, le marché de la publicité digitale. Voici quelques pistes : 

La mise en place d’outils de suivi de la monétisation

“La révolution programmatique, c’est d’abord l’arrivée d’un système d’enchères qui permet à l’éditeur de yielder et à l’annonceur de maîtriser son coût média”, rappelle le dirigeant de Carrefour Links, Alexis Marcombe. Il y a, ici, beaucoup à faire. Par exemple, la mise en place d’alertes si un emplacement ne se vend pas ou qu’un CPM chute subitement pour une ligne de produit sponsorisé. Ou encore la possibilité de faire de l’AB testing avant de définir des prix planchers. En bref, des pratiques solidement ancrées dans l’univers de la pub display mais encore étrangères au retail media. 

C’est pourtant, au vu de la culture ROIste des retailers, le sens de l’histoire. On voit d’ailleurs que la plupart des outils, comme CitrusAd ou Criteo, vont sur ce terrain. “On le fait aussi chez Cdiscount, avec une obsession du yield sur le CPM moyen, le revenu pour mille, le CPC”, confirme le patron de Cdiscount Advertising, Christophe Blot. Et on peut aussi imaginer des spécialistes de la pratique en display, comme Pubstack, Adomik ou Hubvisor, proposer leurs services aux retailers. “Même si, comme le rappelle l’expert en retail media Elie Aboucaya, la gestion du yield d’un retailer est différente de celle d’un publisher traditionnel car elle requiert la prise en compte de son core business (relations commerciales avec les fournisseurs, diversité de l’offre produit proposée aux consommateurs, …)”  

Il y a du travail à en croire Alexandra Suire. “Les principales technologies de retail media ont encore du mal avec certaines fonctionnalités essentielles de dashboarding, comme le calcul d’un RPM ou le système de forecasting.” Ce dernier, très prisé des régies médias, consiste à s’appuyer sur l’historique de monétisation et les appels entrants pour estimer un revenu futur et un taux de remplissage prévisionnel.

“Un basique de l’adserving mais loin d’être une évidence pour des outils de retail media qui n’ont pas été pensés comme des adservers”, estime Alexandra Suire. Et de donner un autre exemple : “Les plateformes retail media ne raisonnent pas en termes d’emplacements mais en termes de catégories. Ça veut dire que si je crée une nouvelle position publicitaire, je vais avoir beaucoup de mal à m’assurer qu’elle génère de l’uplift puisque ses performances seront noyées au sein de celles de sa catégorie.”

Un adserving centralisé… pour une vision unifiée

Dans sa quête de croissance, le retail media va donc devoir renouer avec les fondamentaux de la publicité digitale. A commencer par une technologie un peu ringardisée par l’essor du header bidding… mais dont les régies retailers manquent, à ce jour, cruellement : un adserver centralisé. “Les retailers ne peuvent, à ce jour, pas s’appuyer sur une technologie de ce genre”, déplore Alexandra Suire. 

L’adserving, c’est cette gare de triage qui permet à une régie de diffuser ses campagnes publicitaires (selon des scénarios préétablis) et, surtout, d’avoir une vision holistique de la performance de ses différents leviers. Sans ce dernier volet, impossible de 1) maîtriser la pression publicitaire entre ces derniers 2) être capable de dédupliquer les ventes générées par chacun d’entre eux. Deux promesses sur lesquelles le retail media peut faire beaucoup mieux. La maîtrise de la pression publicitaire entre ces deux leviers stratégiques que sont le search et le display est, pour l'instant, un voeux pieux. Quand à la déduplication des ventes entre les deux leviers, elle n'est possible que si c'est la même technologie qui les opère.

Prenons le cas de Retailink, qui s’appuie sur Xandr pour monétiser le display format IAB et la technologie de Criteo pour monétiser le search sponsorisé. Deux technologies qui ne se “parlent pas”. Ce qui a contraint Retailink à un “hack”, en l'occurrence faire de sa CDP, Mediarithmics, le tiers mesureur de l’ensemble de ses leviers digitaux, pour être capable de dédupliquer les ventes générées par chacun d’entre eux. “Chose que la plupart des retailers ne font pas”, précise Alexandra Suire. 

Avoir un ad-server situé “au-dessus” de l’ensemble des leviers de monétisation permettrait également de décloisonner ces derniers. Les retailers qui utilisent différentes technologies pour le display, le search sponso ou le push promo on-site, ont rarement une vision holistique de leurs revenus. Chaque levier est géré à part. Comprendre que le retailer doit décider à quelle catégorie appartiendra un emplacement publicitaire nouvellement créé. Soit il le vendra au CPM (pour le display), soit il le vendra au CPC (pour le search sponso). Une fois ce choix effectué, compliqué de revenir en arrière et de faire de la vente en cascade multi-leviers comme le permettent, à leur échelle, Criteo ou CitrusAd.

En d’autres termes, un retailer qui n’a pas réussi à vendre une campagne display pour un emplacement donné ne pourra pas, pour compenser, y intégrer une annonce de search sponsorisé. Forcément un manque à gagner. “Les retailers ont besoin d’une technologie qui soit multi-source, capable indistinctement, selon l’état de l’offre et de la demande, de diffuser du search sponsorisé ou du display, sur un même emplacement”, résume Marianne Schneider.

Mettre en concurrence des plateformes retail media (CitrusAd, Criteo…)

Multi-source. Il s’agit, vous l’aurez compris, de s’inspirer de ce qui a été fait chez les médias qui, historiquement, passaient par une brique de monétisation, l’adserver, avec des mécaniques de ventes en cascade avant que la révolution header bidding ne change tout ça et permette de faire jouer l’émulation temps réel, en facilitant les intégrations de nouveaux partenaires.

A date un retailer qui veut monétiser ses emplacements passe par sa force commerciale (s’il en a une) et la technologie avec laquelle il a contracté. Pourquoi ne pas imaginer apporter un peu d’émulation pour augmenter la valeur de son inventaire ? En mettant en concurrence la demande en provenance de plusieurs technologies, CitrusAd et Criteo, par exemple. 

“C’est un peu plus compliqué à faire qu’en header bidding, puisqu’il ne suffit pas de déposer un javascript pour arriver à ses fins, prévient Elie Aboucaya. Notamment parce qu’il y a d’autres paramètres, propres au core business des retailers, à prendre en compte." Mais c’est envisageable. À condition de “ne pas tomber dans les pièges auxquels le programmatique a succombé, qu’il s’agisse du manque de transparence ou de la trop forte captation de valeur par les intermédiaires”, ajoute Marianne Schneider. 

L’intégration en direct de gros acteurs de la demande est aussi une alternative. C’est exactement ce qu’a fait The Trade Desk outre-Atlantique, avec une intégration en direct à un acteur comme Walmart. Il s’agissait de proposer à ce dernier un DSP custom pour lui permettre de faire de l’extension d’audience. On peut imaginer l’adtech faire de même mais pour bidder sur l’inventaire on-site du retailer. “Même si les perspectives de croissances seront limitées vu que ça va être compliqué de faire du display non endémique sans affecter l’expérience utilisateur”, prévient un acheteur.

Le chemin est long. “La mise en concurrence de la demande en provenance de plusieurs partenaires émerge tout doucement. Pour être efficace, et s’assurer que le revenu par page augmente, cette compétition doit mettre en jeu les mêmes emplacements”, à en croire Marianne Schneider. Ce n’est encore que très rarement le cas. On peut citer le cas de Target et Lowes qui l’ont fait pour CitrusAd et Criteo, sur certains inventaires très spécifiques, et pas forcément avec succès. “La demande n’est pas assez structurée sur le sujet. Temps commerciaux très forts mis à part, comme les Black Friday ou Noël, l’inventaire publicitaire d’un retailer est rarement saturé”, analyse Thibault Hennion, MD international operation chez Epsilon. Elie Aboucaya nuance le propos : “C’est vrai que le taux de remplissage moyen du secteur avoisine les 30% mais il masque, en réalité, de grosses disparités. Sur des catégories comme la TV, les téléphones, l’épicerie sucrée, l’animalerie ou la puériculture, les inventaires sont déjà saturés.” 

 “Cette mise en concurrence en temps réel est le sens de l’histoire, même s’il faudra peut-être attendre 2024, plutôt”, complète de son côté Alexandra Suire.

Bien cloisonner les technologies sell-side et buy-side 

Les principales technologies retail media du marché, qu’il s’agisse de Criteo ou de CitrusAd, sont aujourd’hui des tuyaux qui vont d’un bout à l’autre de la chaîne de valeur. Ils se connectent à la supply, dont ils participent à optimiser l’inventaire, et ils se connectent à la demande, pour le compte de laquelle, en managed ou en self-service, ils optimisent les achats. Vous l’aurez compris, CitrusAd comme Criteo, travaillent pour deux typologies de clients aux intérêts diamétralement opposés : le retailer veut vendre le plus cher possible, la marque veut optimiser son ROAS.

L’exemple du secteur de la publicité digitale nous a montré que cette présence d’une technologie de monétisation des deux côtés de la chaîne profitait rarement à la supply. D’abord parce que ces technologies en circuit fermé ont tendance à concentrer le gros de leurs développements R&D à des produits pensés pour les marques (celles qui détiennent les cordons de la bourse). “Les éditeurs sont les parents pauvres du programmatique à cause de cela, attention à ce que les retailers ne fassent pas la même erreur”, pointe un expert.  Même si, comme le rappelle Alexis Marcombe, la situation n’est pas la même en retail media “alors que les inventaires sont limités et, sur certaines catégories, souvent saturés.”

L’omniscience des technologies de monétisation peut, aussi, être un problème. Le cas Google, pointé du doigt par certains états américains pour avoir profité de cette position (il a été accusé de truquer les enchères programmatiques qui transitent par son outil, en empochant la différence entre ce que les acheteurs proposent de payer et ce que Google paie réellement aux éditeurs) est le plus emblématique. Des accusations balayées d’un revers de la main par le géant publicitaire (Google évoque un système d’optimisation des enchères mal compris du procureur texan) mais qui ont le mérite de mettre en lumière un grief souvent formulé à l’encontre du marché : le manque de transparence.

“Bien cloisonner les typologies d’acteurs, SSP d’un côté, DSP de l’autre, avec des informations bien compartimentées, permettraient aux retailers de s’assurer de l’agnosticité de leurs partenaires”, résume un acheteur média. Le SSP défend les intérêts du retailer, le DSP celui de la marque et aucun risque de conflit d’intérêt. 

Une meilleure connexion des plateformes retail media aux meta DSP

Encore un sujet de meilleure mise en compétition mais, cette fois-ci, tout en amont de la chaîne. Il s’agit pour la plupart des plateformes retail media de développer des API permettant à des outils d’achat ou meta DSP, comme Skai ou Pacvue, de se connecter facilement. Cela permettrait à ces outils de proposer aux acheteurs un pilotage de leurs investissements retail media depuis une même interface, cross-networks, et ainsi bénéficier de rapports consolidés. “Il y a pas mal de travail de développement, et ce n’est pas toujours une priorité pour les plateformes, mais c’est, ici encore, une évolution positive”, ajoute Christophe Blot. 

Cdiscount n’y est pas encore. Criteo le propose, lui, déjà, au Royaume-Uni notamment, sur la partie sponsored product. “Ca peut-être pour beaucoup de retailers un  véritable accélérateur de business puisque ce sont via ces meta DSP que transitent une partie des investissements retail media alloués à Amazon”, ajoute Marianne Schneider. Ouvrir son inventaire à ces meta DSP est  donc le meilleur moyen de se greffer à un plan média qui intègre Amazon (85% de part de marché en Europe continentale selon l’IAB Europe).

En France, ce n’est pas pour tout de suite, prévient Alexandra Suire. “Skai et Pacvue sont omniprésents aux Etats-Unis mais c’est loin d’être le cas chez nous. Je n’ai pas eu, pour l’instant, une seule demande pour accéder à mon inventaire via l’un de ses meta DSP.” Pour cause, le marché du retail media reste, pour le moment, un secteur qui s’opère au gré à gré, de l’industriel à la régie. Même si l’explosion à venir de ces investissements va contraindre les marques à déléguer la gestion de ces investissements à leurs agences médias (qui ne demandent que ça). “Ça prendra un peu de temps, notamment pour des questions de convergence entre le core business et le marketing”, ajoute Alexandra Suire. 

Et un dernier avertissement pour la route !

Oui, le programmatique a, à force d’automatisation et de scale, élargi l’horizon des possibles pour l’ensemble des régies médias dont l’inventaire est devenu à portée de main d’une multitude d’acheteurs aux quatre coins du monde. Mais il a sans doute également contribué à faire de cet inventaire à forte valeur ajoutée une commodité, accessible un peu partout, via une multitude d’intermédiaires, sans que les médias n’aient toujours leur mot à dire. C’est sans doute ce piège que les retailers devront éviter. Le virage vers l’open auction, où l’inventaire est accessible (quasiment) à tous aux enchères en temps réel, n’est sans doute pas, du fait des contraintes du retail media (le gros du marché est endémique), pour tout de suite. Et peut-être même n’arrivera-t-il  jamais si l’on en croit cet avertissement d’Alexandra Suire :  “Évitons d’ouvrir notre inventaire aux quatre vents comme l’on fait les médias !’