Gas, le réseau social chouchou des lycéens US (parce qu’il booste leur ego)


  • Gas est un nouveau réseau social, accessible uniquement depuis l’App Store et limité à quelques États américains. Ce qui ne l’empêche pas de générer déjà plus de téléchargements quotidiens qu’un TikTok ou un Instagram outre-Atlantique.
  • On vous explique pourquoi l'application cartonne chez les lycéens et pourquoi son fondateur a intérêt à ne pas se reposer sur ses lauriers.

Si vous avez pour habitude de jeter un œil au classement des applications les plus populaires outre-Atlantique, vous avez sans doute remarqué la présence d’un service baptisé Gas. Non, il ne s’agit pas d’aider ses utilisateurs à trouver une station d’essence ouverte (la passion française du moment). Gas est un nouveau réseau social, accessible uniquement depuis l’App Store et limité à quelques États américains. Ce qui ne l’empêche pas de générer déjà plus de téléchargements quotidiens qu’un TikTok ou un Instagram outre-Atlantique.

Classement de l’App Store US le 25 octobre 2022

 

De quoi parle-t-on ? D’une application de sondage particulièrement prisée des lycéens américains, qui leur permet de complimenter leurs amis. Chaque nouvel utilisateur est enjoint à renseigner le nom de son école, à ajouter des amis (voire à importer automatiquement son carnet de contacts téléphoniques) et répondre, de manière anonyme, à une série de questions qui concernent son entourage. Qui il admire secrètement, qui ferait le meilleur DJ en soirée, qui sera sans doute un médaillé olympique… Une déclinaison contemporaine du fameux triptyque “fuck, marry, kill” en somme. 

“Gas, c’est l’endroit au sein duquel vos amis disent ce qu’ils aiment chez vous. Et non, ils ne vont pas vous trasher comme c’est le cas chez la plupart des applications anonymes”, promet l’éditeur de l’application, Find your crush. Les utilisateurs répondent à des questions prédéfinies, ce qui évite tout dérapage. Leur nombre est limité à une certaine quantité par heure, ce qui crée évidemment une frustration (et leur donne envie de revenir).

Là où un BeReal s’ancre dans l’authenticité et la réciprocité, Gas fait lui le pari de booster l’ego de ses utilisateurs, en leur promettant de voir qui les trouve cool, drôle ou attirant. Le nom de l’application est d’ailleurs une référence à l’expression “gassing someone up”, que l’on pourrait traduire en : booster l’estime de soi de quelqu’un. Le fondateur de Gas parle de bienveillance, voire de positivité. Chez Minted, on aurait plutôt tendance à y voir un bon aspirateur à vanité et c’est plutôt réussi, si l’on en croit les témoignages publiés sur Twitter

De sorte que Gas devient ce carrefour d’audience où il faut être, pour vanter les mérites de ses amis et, surtout, récupérer, en retour, quelques louanges. “C’est parce qu’il peut y avoir de la compétition et de la déception qu’une application de ce genre est hyper addictive”, observe un investisseur habitué de cet univers. L’applications promet d’ailleurs à ceux qui ne seraient pas choisis aussi souvent qu’ils le voudraient, qu’elle incluera leur nom dans la liste des réponses possibles un peu plus souvent. Aucun utilisateur ne sera laissé sur le bord de la route, promet (sans doute à tort) Gas.

30 000 nouveaux utilisateurs par… heure 

Gas, qui prévoit un lancement national imminent, est le nouveau bébé d’un ancien product manager de chez Meta, Nikita Bier, qui n’a pas été cherché bien loin puisqu’il a repris le concept d’une application qu’il avait créée en juillet 2017 et revendue… trois mois plus tard à Facebook. Le service s’appelait tbh, acronyme de “to be honest” et revendiquait près de 2,5 millions d’utilisateurs quotidiens au moment de son rachat. Gas n’en est pas encore là mais l’application croît, en tout cas, aussi vite que son prédécesseur. Elle accueille 30 000 nouveaux utilisateurs par… heure et elle revendique déjà un million d’utilisateurs quotidien. Le tout sans investissements publicitaires et avec une équipe extrêmement réduite puisque son CEO est entouré de deux ingénieurs et d’un community manager. 

Gas permet à ses utilisateurs, exactement comme tbh en son temps, de gagner des “flammes” (c’était des gemmes sur tbh) à chaque fois que quelqu’un vote pour eux. Cette monnaie virtuelle peut leur permettre de savoir, par la suite, qui a voté pour eux. La principale différence avec tbh, c’est finalement que Gas a déjà un modèle économique. Alors que tbh ne générait pas un seul dollar de revenus  au moment de son rachat, Gas aurait, selon son fondateur, déjà dépassé le million de dollars de ventes. 

“Le God mode, c’est un peu le même principe que sur LinkedIn, où l’on paie pour savoir qui a vu notre profil, sauf que c’est tout de même beaucoup plus excitant de le faire pour savoir qui nous trouve sexy”

L’application permet en effet à ses utilisateurs de débourser 1,99 dollar pour activer la fonctionnalité “Reveal Poll” et entre 4,99 et 9,99 dollars par semaine pour activer un “God mode” qui permet de débloquer des indices pour voir qui a voté pour vous (la première lettre de son prénom, par exemple), doubler le nombre de pièces que l’on gagne lorsque l’on vote, être notifié quand quelqu’un vous ajoute à sa liste de sondage ou carrément connaître (par deux fois) l’identité de la personne qui a voté pour vous. Près de la moitié des utilisateurs de l’application ont déjà activé l’une de ses fonctionnalités pour 99 centimes de dollars, selon Nikita Bier. “C’est un peu le même principe que sur LinkedIn, où l’on paie pour savoir qui a vu notre profil, sauf que c’est tout de même beaucoup plus excitant de le faire pour savoir qui nous trouve sexy”, analyse notre investisseur. Preuve en est, le hashtag “how to upgrade to god mode on gas app” a généré plus de 3 millions de vues sur TikTok.

Reste un enjeu de taille pour Nikita Bier qui, même s’il assure ne pas s’en soucier, devra éviter à Gas de finir comme tbh, qui avait été fermé moins d’un an après son rachat par Facebook, “faute d’utilisation”. L’application avait dégringolé au classement de l’App Store, en l’espace de quelques semaines. On imagine que son acquisition par le “méchant” Facebook ne l’avait sans doute pas aidée à rester dans les bonnes grâces de ses utilisateurs. Mais il ne saurait masquer une réalité plus profonde qui est qu’il est difficile de garder les utilisateurs engagés, une fois les dix ou questions questions habituelles posées. “L’énorme traction de Gas est liée à un effet de mode et de curiosité. Le principal driver de la communauté, c’est de gagner des sondages. Est-ce que c’est tenable sur le long terme ? Rien n’est moins sûr”, prévient notre investisseur.

C’est tout le risque lorsque l’on s’attaque à une cible aussi volage que les jeunes, prompts à vous délaisser du jour au lendemain pour la nouvelle application du moment. BeReal en sait quelque chose et l'application doit, pour continuer à capitaliser sur la hype des débuts, travailler la rétention de ses utilisateurs. A peine 9% de ses utilisateurs Android ouvriraient l’application chaque jour (bien moins que chez TikTok ou Instagram) selon des données de Sensor Tower. A l’époque de tbh, c’est Friendo, application qui permettait de répondre à des questions concernant son meilleur ami, qui avait pris la suite. Tbh avait essayé de maintenir ses utilisateurs engagés, en leur proposant de nouvelles fonctionnalités. Notamment la possibilité d’envoyer des DM à des personnes qui vous ont choisi. Une suite logique (vers laquelle Gas pourrait tout à fait aller) mais qui n’avait pas permis à tbh d’inverser la tendance.

Reste que Gas, comme tbh avant lui, n’est pas condamné à rester une application pour lycéens. Les adultes ont sans doute tout autant envie que leurs ados que l’on booste leur ego. Il suffit de faire un tour au sein des “Slack” des boîtes de la tech qui ont désormais quasiment toutes leur channel “Gratitude”, pour permettre à tout un chacun de remercier les collaborateurs qui les ont aidé dans une mission particulière. C’est particulièrement vrai aux Etats-Unis où des thématiques comme le “self care” ont le vent en poupe et font un terreau fertile pour le succès d’un Gas chez les “25-50 ans”. Un peu de bonté dans ce monde de brutes, on vous dit !