26 juin 2025

Temps de lecture : 4 min

Marketing d’influence: comment les médias ont laissé passer le train (et ce qu’ils peuvent faire maintenant)

Les médias sont en train de se faire déborder par les influenceurs, Youtubers et autres TikTokeurs. Sur le plan des usages, mais aussi sur le plan économique. Les médias doivent réagir. Vite.

Le train va partir - ©Daniel Abadia v/ Unsplash

Les revenus des créateurs de contenu dans le monde devraient atteindre 160 milliards d’euros cette année, selon les calculs de WPP Media, géant de l’achat média. C’est un chiffre en hausse de 20% par rapport à 2024.

Et ce n’est pas fini: ce chiffre pourrait même doubler pour atteindre 325 milliards d’euros d’ici 2030.

En France, le marketing d’influence en France pèse désormais 519 millions d’euros d’après l’ARPP et France Pub, un chiffre en hausse de 42,4% en deux ans.

“On constate que la part des annonceurs qui ont eu recours au marketing d’influence est en croissance – 15 % en 2022, 20 % en 2024”, observe Mohamed Mansouri, directeur délégué de l’ARPP. Ce taux grimpe même à 28% parmi les annonceurs nationaux investissant plus de 150.000 euros dans le digital.

Le marché display des médias et de l’édition, lui, s’établit selon le SRI aux alentours de 550 millions d’euros, légèrement au-dessus des créateurs de contenus, mais en repli ou en stagnation ces deux dernières années.

A l’échelle mondiale, selon WPP, plus de 50% des revenus publicitaires liés aux contenus viendront cette année (2025) de créateurs individuels.

Autant d’emplois que la “French Tech”

Pour un autre cabinet, Coherent Marketing Insights, le marché de la création de contenu et des influenceurs représenterait près de 6 milliards d’euros en France. Et devrait atteindre 27 milliards de dollars en 2031, à raison d’un taux de croissance annuel de 24,4%. 

Selon cette étude, le secteur de la “Creator Economy” aurait généré un total de 1,5 million de postes, en 2024, soit quasiment autant que dans la French Tech. 

Dans le détail, les auteurs de l’étude dénombrent 28,7% d’emplois directs: les créateurs de contenus (Youtubeurs, streamers Twitch, influenceurs TikTok, podcasteurs…), les designers, monteurs vidéo et prestataires marketing.

Les 71,3% d’emplois indirects, proviennent de l’infrastructure technologique, la logistique, le juridique et les agences de publicité. Chaque emploi direct pourrait générer entre 3 et 11 emplois indirects, notamment grâce à la vente de produits dérivés des créateurs.

Les plateformes sociales et vidéo concentrent l’essentiel de la valeur comme le montre le graphique ci-dessous:

Les usages se déplacent vers les réseaux

L’enquête annuelle du Reuters Institute publiée fin juin 2025 le confirme: les réseaux sociaux deviennent le premier canal d’information des jeunes générations.

Hugo Travers (HugoDécrypte) toucherait 22% des moins de 35 ans grâce à des contenus diffusés principalement sur YouTube et TikTok. 

Aux Etats-Unis, 22% de l’échantillon déclare avoir découvert des informations ou des commentaires du célèbre podcasteur Joe Rogan dans la semaine suivant l’investiture, dont un nombre disproportionné de jeunes hommes. 

La proportion d’utilisateurs accédant aux informations via les médias sociaux et les réseaux vidéo aux États-Unis (54%) est en forte hausse, dépassant pour la première fois les informations télévisées (50%) et les sites web/applications d’information (48%).

Comment les médias se sont-ils fait déborder par les influenceurs ?

  • La première raison est liée aux innovations technologiques qui ont bouleversé les usages. L’irruption des plateformes sociales, du smartphone, du live et la baisse des coûts d’entrée sur le marché de l’attention. Les blogueurs, puis Youtubers et influenceurs TikTok/Instagram sont apparus pour capter une audience toujours plus jeune.
  • La seconde est liée à la rigidité du monde du journalisme qui a mis du temps à changer de posture et à renouveler ses formats. J’observe ce phénomène depuis 15 ans, j’ai formé des milliers de journalistes et beaucoup sont rétifs à l’animation de communauté, par exemple. “Ce n’est pas mon métier”, “ça ne m’intéresse pas”. Rares sont les journalistes qui comme Samuel Etienne acceptent d’interagir avec leur audience.

    Dans une féroce bataille pour l’attention, c’est un désavantage comparatif énorme par rapport aux créateurs de contenus qui eux, s’intéressent à leur public, les valorisent, les bichonnent même quelquefois.
  • La troisième est liée à l’échec des commentaires qui a beaucoup contribué à refermer la porte de l’interaction avec les lecteurs. Trop chers à modérer, trop peu intéressants pour les lecteurs. Après avoir ouvert les vannes des commentaires à tout le monde début 2010, la presse a fini par les fermer vers la fin de la décennie à mon grand dam. 

Alors, comment raccrocher les wagons ?

Il y a cinq urgences comme je l’explique dans cet article pour Mediarama :

1. S’inspirer des pratiques des créateurs sociaux en intégrant l’audience à la conversation, en les interrogeant, tenant compte de leur avis, en les valorisant.

2. Incarner l’information tout en restant équilibré et sérieux (séparer les faits des opinions, ce que ne font pas toujours les influenceurs ou jeunes médias militants).

3. Recruter les audiences sur les plateformes en utilisant les bons formats et codes (ça veut dire recruter de jeunes journalistes qui les maîtrisent). Et en tâchant de les rapatrier le plus possible chez soi (stratégie “produit” au-delà des contenus produits)

4. Rétablir des zones de discussion sereines et intelligentes, de vrais espaces communautaires et pas seulement des commentaires

5. Utiliser ces créateurs de contenus comme des ambassadeurs, les intégrer à leurs médias pour retrouver de l’intérêt des jeunes publics

Par ailleurs, les médias devront expliquer avec force et clarté les avantages de leurs méthodes et de leurs missions.

Et accepter de plus en plus d’entrer dans une démarche “qualité”, comme d’autres métiers, pour justifier de leur valeur (et leur prix). Quelques milliers de médias dans le monde ont commencé à le faire avec le Journalism Trust Initiative. Ce label de certification qui comprend 130 critères insiste sur la transparence et l’indépendance des financements.

La fusion des deux univers est en cours

En 2023, Hugo Décrypte a produit une série d’émissions “L’interview face cachée” pour France 2. Gaspard Guermonprez, a animé une tranche matinale sur France Inter, en décembre 2025.

Les médias classiques eux diffusent le plus possible sur YouTube pour conserver leur audience et attirer de nouveaux publics. Avec hélas, au passage, une énorme captation de valeur publicitaire par les plateformes.

A part quelques-uns comme TF1, qui réussit l’exploit de rivaliser avec les géants du streaming, grâce à sa plateforme propriétaire et une stratégie maligne d’ouverture et d’alliances.

En résumé

Les créateurs de contenu grignotent l’espace publicitaire laissé par les médias. Leurs revenus explosent, leurs audiences aussi. Les annonceurs suivent le mouvement. Les médias peinent à réagir. Ils doivent changer vite, s’ils veulent conserver valeur et lien au public.

  • Les revenus des créateurs atteignent 160 milliards d’euros en 2025, un doublement reste possible avant 2030.
  • La moitié des investissements publicitaires mondiaux bascule vers des créateurs individuels dès cette année.
  • En France, le marketing d’influence monte à 519 millions d’euros, et talonne le volume publicitaire display des médias et l’édition (550 M €)
  • La « creator economy » crée 1,5 million d’emplois et fait vivre technologie, logistique, agences et secteur juridique.
  • Les jeunes s’informent d’abord via réseaux; YouTube et TikTok dépassent TV et sites d’actualité.
  • Les médias doivent ouvrir la conversation, incarner l’info, investir les plateformes et coopérer avec les influenceurs.

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