27 February 2025

Temps de lecture : 3 min

Liva Ralaivola (Criteo): “L’IA ne remplacera pas les traders médias, elle viendra en complément”

Dans le cadre de notre événement Future of Trading, Liva Ralaivola, VP Research de Criteo, évoque l'utilisation de l'IA dans le trading media.

Michel Juvillier: Première question : d’où viens-tu ? Je pose cette question parce que tu as un parcours assez atypique. Tu viens du monde académique, avec un parcours universitaire et une carrière de chercheur, et aujourd’hui, tu as bifurqué vers le monde du business. Peux-tu nous en dire plus sur cette transition ?

Liva Ralaivola: Ma carrière a commencé il y a une vingtaine d’années, après ma thèse obtenue en 2003. À l’époque, j’ai travaillé sur le machine learning, qui est un sous-domaine de l’intelligence artificielle. Ce domaine intéressait alors peu de monde, hormis quelques chercheurs comme moi. J’ai poursuivi ma carrière dans la recherche, en travaillant à l’étranger avant de revenir dans le monde universitaire où j’ai exercé pendant une quinzaine d’années en tant qu’enseignant-chercheur. Puis, en 2018-2019, j’ai décidé de faire le saut vers le privé. C’était un moment où des laboratoires d’IA commençaient à émerger dans des entreprises. J’ai alors rejoint Criteo, où un laboratoire d’intelligence artificielle venait d’être créé, avec des problématiques liées au media trading, aux systèmes de recommandation et aux enchères.

Justement, entrons dans le vif du sujet. Aujourd’hui, dans le cadre du media trading, qu’est-ce que l’intelligence artificielle fait mieux que nous ?

L’IA excelle dans plusieurs aspects. Tout d’abord, elle peut traiter des millions de données et automatiser des prises de décision de manière instantanée. Ce qui est impressionnant, ce n’est pas seulement la rapidité d’exécution, mais aussi la capacité de raisonnement que ces systèmes développent, un raisonnement souvent hors de portée des humains. L’IA peut analyser des opportunités médias en traitant la donnée comme une matière première, qu’elle transforme en utilité. Tout cela repose sur l’organisation des places de marché et sur l’échange de valeur orchestré par des algorithmes avancés. En parallèle, la communauté de recherche en IA s’intéresse à la théorie des jeux. Ce domaine, bien connu dans les jeux comme les échecs ou le poker, trouve aujourd’hui des applications concrètes dans le media trading. Il permet d’optimiser les stratégies d’achat et de vente sur ces places de marché.

L’IA permet d’analyser et d’optimiser en temps réel des millions d’enchères. Mais est-ce un avantage pour tout le monde ? Ou est-ce surtout un levier pour les acteurs les plus puissants du marché, grâce à leur capacité financière et à leurs ressources humaines ?

Chez Criteo, nous collectons quotidiennement 600 téraoctets de données, ce qui représente, pour donner une image, l’équivalent de 13.000 éléphants en feuilles A4 imprimées. Ces données sont ensuite traitées par des modèles d’IA qui doivent répondre en moins de 100 millisecondes aux requêtes des utilisateurs. L’IA ne bénéficie pas forcément aux plus gros, elle bénéficie surtout au plus malins. L’élément clé reste la capacité à intégrer différentes expertises – media trading, produit, IA – pour créer des solutions optimisées. Paradoxalement, les grandes entreprises peuvent être limitées par leur organisation en silos, avec des entités qui ne se parlent pas, ce qui les empêche d’exploiter pleinement le potentiel de l’IA dans le domaine du media trading.

L’IA pose aussi des questions éthiques et de transparence. Peut-on vraiment comprendre ses décisions, et les traders médias savent-ils ce qui se passe sous le capot ?

Pour être honnête, moi-même, je ne comprends pas toujours comment ça fonctionne. Et c’est justement ce qui m’a fasciné dès mes débuts en IA: cette capacité des algorithmes à produire des résultats inattendus. Sur la compréhension des modèles, il faut toujours trouver un compromis entre la performance des modèles et leur “explicabilité”. Si on veut avoir des dispositifs qui sont très puissants, alors il faut sacrifier la compréhension au plus fin sur les mécanismes. Cependant, il faut s’inscrire dans un processus de coadaptation: on observe comment agit l’IA et on apprend, en tant qu’humain, à s’adapter.

Et sur le plan éthique ? L’IA peut-elle biaiser des enchères et favoriser certaines plateformes ?

Absolument, et nous ne sommes pas à l’abri de ces dérives. Il existe une règle en IA: ‘Garbage in, garbage out”. Si les données utilisées sont biaisées, l’IA va non seulement reproduire ces biais, mais aussi les amplifier. On l’a vu avec des systèmes de jugement automatique qui discriminent selon l’ethnicité. Pour limiter ces dérives, des réglementations comme l’AI Act et le RGPD sont mises en place. Mais c’est un enjeu global qui dépasse le seul domaine du media trading.

Dans 5 à 10 ans, y aura-t-il encore des traders médias ou l’IA aura-t-elle pris le contrôle total ?

L’IA ne remplacera pas les traders médias, elle viendra en complément. L’avenir réside dans l’intelligence augmentée: la combinaison de l’IA et de l’intelligence humaine. Les métiers évolueront vers des rôles plus stratégiques, tandis que l’IA deviendra un outil puissant pour les assister.

Et pour conclure, en une phrase, comment résumerais-tu l’impact de l’IA ?

Je suis un techno-optimiste et je vois l’IA comme une formidable opportunité. Elle ne remplace pas l’humain, elle l’assiste et le complète. Il ne faut pas en avoir peur, mais apprendre à l’utiliser intelligemment.

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