7 juillet 2025
Temps de lecture : 3 min
Pendant des années, Google et les réseaux sociaux ont tenu le rôle de grandes portes d’entrée vers l’information. Chacun à sa manière, ils ont imposé leurs règles, capté les audiences, mais ils renvoyaient encore une part de cette valeur vers ceux qui produisent réellement le contenu: éditeurs, journalistes, créateurs ou encore les marques, notamment dans l’e-commerce. Aujourd’hui, avec l’irruption de l’intelligence artificielle générative, on franchit un cap silencieux mais redoutable: la question n’est plus seulement qui attire l’attention, mais qui garde la donnée, le clic et la monétise sans rien redistribuer.
En quelques mois à peine, les assistants conversationnels comme ChatGPT ou Perplexity sont devenus des réflexes pour trouver une réponse, un conseil, une synthèse. Résultat: l’utilisateur obtient ce qu’il cherche, souvent sans même visiter le site qui a produit l’information d’origine. Sur Google, la tendance est la même: le phénomène zero-click explose. Selon Similarweb, la part des recherches qui ne génèrent plus aucun clic vers un site tiers est passée de 56% à 69% en un an. Autrement dit, 7 recherches sur 10 se terminent désormais sans redirection: l’utilisateur obtient sa réponse directement dans Google, ou de plus en plus, dans un assistant comme ChatGPT. La réponse reste affichée dans l’interface, déjà via l’AI Overview, et demain sans doute encore plus avec l’AI Mode qui va pousser cette logique encore plus loin. Dans le même temps, ChatGPT a vu son trafic web bondir de +52 % sur un an, gagnant des parts que Google perd.
Pour un média, ce sont des pages vues envolées, des abonnements qui ne se feront jamais. Pour une marque e-commerce, c’est une relation directe qui disparaît, remplacée par une recommandation IA que l’on ne maîtrise plus.
Certains diront que c’est encore marginal. Sauf que la dynamique est implacable: plus l’IA s’installe dans le quotidien, plus elle devient le filtre par lequel passe l’information. Et demain, ce sera aussi l’achat. 41 % des 25-34 ans attendent déjà de services d’IA comme ChatGPT, Gemini ou Meta AI qu’ils trouvent toujours la meilleure marque, le meilleur produit ou service possible pour eux (Jellyfish + YouGov, US, avril 2025). À court terme, l’IA promet de choisir à votre place . La vraie question, pour ceux qui produisent de l’information ou vendent un produit, est: serai-je choisi ?
Face à ce siphonage silencieux, quelques signaux montrent pourtant qu’il reste possible de reprendre la main. Côté éditeurs, on redécouvre la puissance des newsletters, des communautés fermées, des abonnements qui récréent un lien de confiance, sans intermédiation algorithmique. Du côté des marques, notamment dans l’e-commerce, le CRM redevient une arme stratégique: reconstruire un tunnel de conversion qui échappe aux flux IA ou aux plateformes sociales est souvent la seule façon de ne pas se laisser dicter ses marges par un intermédiaire.
Et puis, une piste technique vient tout juste d’apparaître, il y a à peine quelques jours. Cloudflare a annoncé un blocage par défaut des robots IA qui aspirent des millions de pages sans partager de valeur. Derrière ce bouclier, une logique nouvelle s’affirme: autoriser, oui, mais selon des règles claires et rémunérées. Condé Nast, Pinterest ou encore Universal Music expérimentent déjà ce modèle « Pay-Per-Crawl » pour que leurs contenus cessent d’être une matière première gratuite pour les grands modèles. Un petit signal, mais peut-être un premier pas vers un vrai partage de la valeur.
Il reste un point essentiel, qui dépasse la technique: le rôle de l’émotion et de la relation. Car la question n’est plus simplement de savoir « comment capter du trafic », mais bien « comment rester choisi quand l’IA filtre tout pour l’utilisateur ». La bataille de l’audience est redevenue une bataille de la confiance, de la fidélité, de la capacité à être incontournable même quand le clic disparaît. À chacun d’inventer sa façon de protéger ce qui fait sa différence: du contenu original, une expérience propriétaire, une marque forte. Car au fond, derrière chaque résumé IA, il faudra toujours de la matière. Et sans celles et ceux qui la produisent, l’IA ne crée rien.
Par Thomas Skowronski, VP Jellyfish Technology Solutions
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