ATT d'Apple : un an après, qui sont les gagnants… et les perdants ?


  • C'est peu dire qu'en déployant son nouveau framework de gestion du consentement, l'App Tracking Transparency (ATT), Apple a jeté un pavé dans la mare du marché florissant de la pub mobile.
  • Un peu plus d'un an plus tard, Minted fait les comptes et vous dit qui, d'Apple, Google, les grandes plateformes, les annonceurs ou les éditeurs, sont les gagnants et les perdants de ce nouveau paradigme.

C'était il y a un peu plus d'un an. Apple déployait officiellement l'App Tracking Transparency (ATT), son nouveau framework de gestion du consentement des mobinautes. Depuis cette date, les applications mobiles doivent demander aux utilisateurs ayant iOS 14.5 ou une version postérieure la permission de pouvoir les traquer au sein d'autres applications. Une obligation qui se matérialise par l'apparition d'une pop-up suite au téléchargement de l'application. Si l'utilisateur y répond par la négative, l'application ne pourra pas accéder à l'identifiant publicitaire qui lui est associé. Un changement de taille pour un marché publicitaire qui carbure à la publicité ciblée. Le genre d'évènements qui peut rebattre les cartes au sein d'un marché qui pèse plus de 288 milliards de dollars dans le monde. Tour d'horizon des gagnants et des perdants.

Apple : le grand gagnant

On a beaucoup spéculé sur les réelles motivations d’Apple au moment du déploiement de son App Tracking Transparency. Réelle envie de défendre la vie privée des mobinautes ou volonté plus insidieuse de booster son activité publicitaire, Apple Search Ads ? Le marché pub français, qui dénonce le fait qu’Apple ne s'applique pas ses propres règles (Apple Search Ads ne récolte pas le consentement du mobinaute pour lui afficher des pubs ciblées) s’est fait son idée. Une procédure est d'ailleurs toujours en cours devant l’Autorité de la concurrence.

Les chiffres semblent, un an plus tard, donner raison aux détracteurs d’Apple, tant ce dernier sort largement gagnant de cet épisode. “Nos dépenses sur Search Ads ont fortement augmenté au cours des derniers mois, les marques étant plus réticentes à activer iOS sur Google App Campaign en raison de la perte de données et du manque de confiance envers le SKAN”, confie Sophie Gherabli, programmatic director chez Jellyfish. 

“Nos dépenses Apple Search Ads ont fortement augmenté au cours des derniers mois, les marques étant plus réticentes à activer iOS sur Google App Campaign en raison de la perte de données et du manque de confiance envers le SKAN"

Jellyfish est loin d’être un cas isolé si l’on se réfère aux données remontées par Branch, spécialiste des analytics mobile, qui estime que la part de marché d’Apple Search Ads dans le secteur de la promotion d’applications a triplé dans les six mois qui ont suivi l’arrivée d’ATT. Difficile d’isoler l’impact d’ATT dans cette croissance. Certes, en entravant la marge de manœuvre de la concurrence, Apple rend de facto son offre publicitaire plus attractive. Mais la firme à la pomme a aussi considérablement investi en ressources humaines (ouverture d’un bureau en France, par exemple) et R&D (nouveaux formats) pour évangéliser le marché. Apple aurait dégagé près de 5 milliards de dollars de revenus en 2021 et viserait le cap des 20 milliards d’ici trois ans. “Tout cela en renforçant son image de protecteur de la vie privée”, note Sophie Gherabli. Le pari est donc plus que réussi. 

Les MMP, Appsflyer, Adjust et consorts, ont su rebondir

On leur prédisait l’enfer… Les mobile measurement partners (MMP) ont finalement profité de la sortie d’ATT pour démontrer leur résilience. Oui, ils ne peuvent plus mesurer l’intégralité du trafic généré par une campagne publicitaire, comme par le passé. Mais les Appsflyer, Adjust et autres Kochava ont vite su se rendre incontournable. “Ils ont fait un énorme travail de pédagogie à un moment où le marché était dans le flou complet”, observe Fabien Deriaz, directeur du pôle data chez 79.

De fait, les MMP ne se cantonnent plus simplement à un rôle de mesure / attribution, bien qu’ils continuent à le faire sur les populations opt-in. Ils ont désormais une casquette de facilitateur de solutions autour du SKAdNetwork, l'outil de mesure agrégée déployé par Apple. Sa mise en place, précieuse pour recouvrer la vue sur les populations opt-out, est loin d'être évidente. Et c'est là que les MMP interviennent. Leur palette de services s’est considérablement enrichie. “Cela comprend la configuration des valeurs de conversion, la déduplication des données opt-in et opt-out, l’accès à la donnée SKAN via API et tableau de bord consolidé, la compensation de la disparition de la lifetime value ou l’enrichissement de la donnée 1st party avec des clean data rooms”, énumère Sarah Rolland, customer success manager chez Appsflyer. 

“Les MMP ont su évoluer avec leurs efforts de modélisation prédictive pour identifier les leviers les plus importants pour les business des applications

“Les MMP simplifient le tracking des événements importants avec leurs studios de conversion et ont su évoluer avec leurs efforts de modélisation prédictive pour identifier les leviers les plus importants pour les business des applications”, confirme Nicolas Gendron, expert mobile chez Jellyfish. 

Les grandes plateformes : pas si mal loties

Oui, Meta a été durement impacté par l’arrivée d’ATT. Mark Zuckerberg ne manque d’ailleurs pas une occasion de le mentionner chaque fois que ses résultats trimestriels sont en deçà des attentes (ce qui arrive assez souvent ces derniers temps). Le fondateur de Meta assure même que la décision d’Apple lui aurait coûté près de 12,8 milliards de dollars de revenus en 2022.  Et même sanction apparente pour Snap, dont le cours de bourse vient de perdre 30%, parce qu'Evan Spiegel, son PDG, vient de prévenir que les résultats seraient moins bons qu'escomptés (en partie à cause d'ATT).

Difficile d'isoler l'impact d'ATT dans tout ça. Ce qu’on voit bien en revanche, c’est que, comme souvent dans ces cas-là, les grandes plateformes ont su assez vite s’adapter aux nouvelles règles. “Google, Meta et Snapchat ont réussi à limiter la casse en changeant d’approche pour la mesure de la performance publicitaire, en passant d’une logique 100% déterministe à une approche de modélisation statistique quand c’est nécessaire”, constate Nicolas Gendron. Ils s’appellent Conversion Modeling chez Google, Conversion API chez Meta et Advanced conversion chez Snapchat  et ils ont permis aux annonceurs de recouvrer la vue sur la performance de leurs campagnes.

C’est l’un des effets de bord de l’arrivée d’ATT, ce dernier va accentuer la fragmentation des écosystèmes digitaux. Et ce sont, sans surprise, les plus gros qui vont en profiter. Eric Seufert, figure reconnue du monde mobile, parle de “content fortresses”. Un phénomène qui va s’accentuer avec le développement des fonctionnalités de shopping natives au sein de plateformes comme Facebook ou TikTok. 

“Chacun essaie de garder les utilisateurs au sein de son écosystème”

A côté de ces géants qui permettent à un utilisateur d’effectuer l’ensemble du parcours client chez eux (de la publicité à l’achat), chacun essaie de tirer son épingle du jeu. C’est le cas des grands studios mobiles comme Voodoo ou King, qui veulent plus que jamais s’appuyer sur leur galaxie d’applications. “Chacun essaie de garder les utilisateurs au sein de son écosystème”, observe Antoine Le Borgne, directeur des analytics chez Adikteev.

La raison est simple : pas besoin du consentement des utilisateurs pour exploiter leur IDFV, un identifiant unique qui leur est propre… mais qui ne persiste qu’au sein des applications appartenant à un même éditeur. Raison pour laquelle Adikteev vient de lancer un produit qui leur permet de faire de la cross-promotion entre leurs différents jeux. “On discute avec les plus grands studios du secteur pour leur permettre de s’appuyer sur cet IDFV”, précise Antoine Le Borgne.

Les perdants : ils sont nombreux 

On retrouve, ici, les habituels laissés-pour-compte du marché de la publicité digitale. D’abord les éditeurs financés par la publicité, qui font face à de nouvelles difficultés en termes de monétisation. Il leur était déjà devenu très compliqué de monétiser leur inventaire Web sur iOS (Safari bloque les cookies tiers). C’est désormais tout leur inventaire iOS (in-app compris) qui devient persona non grata chez les annonceurs. 

Ces derniers ne sont pas en reste. “Les annonceurs ayant des budgets moindres, qui n’ont pas les moyens d’investir dans des modèles de contribution de grande envergure comme les media mix modeling ou des graph ID coûteux, n’ont plus la possibilité de suivre correctement le ROI média”, constate Sophie Gherabli. Difficile, dans ces conditions, de continuer à cibler correctement leurs audiences. 

Autres victimes : les fournisseurs de données tierces dont la couverture est de plus en plus réduite. “Nous avons progressivement réduit la part des investissements dans les plans médias sur ce type de ciblage data-driven”, confie Nicolas Gendron. Ils s’appellent Adsquare, Eyeota ou Nielsen et ont toutes les peines du monde à continuer à opérer au sein d’iOS.

Citons, enfin, les utilisateurs dont on peut se demander s’ils ont vraiment gagné au change, sachant que leur navigation est fréquemment polluée par des pop-ups ATT, sans que leur vie privée soit vraiment plus respectée, vu que beaucoup d'acteurs du marché publicitaire continuent à faire du fingerprinting à partir de certaines de leurs données comme l'adresse IP, le type de device... “Les mobinautes Apple sont également perdants en ce qui concerne leur expérience utilisateur, estime Sophie Gherabli. Ils ne bénéficient plus de contenu publicitaire personnalisé alors qu'on continue d'aspirer certaines de leurs données, comme plusieurs études le montrent." Leur parcours utilisateur est aussi impacté car les redirections personnalisées via les deep-links sont compromises.