28 mai 2025
Temps de lecture : 4 min
Comment l’intelligence artificielle générative transforme-t-elle l’univers de la publicité extérieure ? Entretien avec Sylvain Le Borgne, Chief Data Officer chez JCDecaux, pour comprendre les impacts concrets de la technologie en interne et auprès des annonceurs.
Sylvain Le Borgne: Nous avons lancé un IA Lab en 2023, un organe de gouvernance dédié à cette technologie. Il nous permet de tester différentes solutions sur nos métiers, d’identifier celles que nous pourrions faire monter à l’échelle et surtout de former nos collaborateurs. Il y a beaucoup de bruit médiatique autour de l’IA générative, ce qui génère un besoin important d’explication en interne. Il s’agit aussi de poser des limites claires à son usage.
Nous avons expérimenté la génération de designs pour notre mobilier urbain. Cela a permis de produire 1000 designs en quelques jours, sur lesquels les équipes opérationnelles ont ensuite mené une étude de faisabilité sur le plan technique. Le résultat est prometteur mais pas encore concluant: il faut ensuite trier et sélectionner, ce qui déplace le problème. Nous utilisons aussi l’IA générative pour optimiser la maintenance prédictive de nos mobiliers, afin d’en garantir l’état technique et la propreté.
Notre savoir-faire sur la modélisation des déplacements est également très recherché, notamment dans les aéroports ou les métros. Nous contribuons à la Software République aux côtés d’acteurs comme Renault, Thales ou Atos, pour explorer ensemble les nouveaux usages de la technologie, dont l’IA générative. Cela nous permet de tester plus rapidement certains projets, tout en innovant en réseau.
Nous avons structuré notre approche en trois niveaux. D’abord, les usages quotidiens, liés à la bureautique et à la communication, pour lesquels il faut bien comprendre ce qui est disponible et comment les données sont protégées. Ensuite, des plateformes agentiques comme celles d’OpenAI ou Mistral, que nous explorons pour créer des agents et automatiser certaines tâches. Enfin, pour les usages stratégiques et confidentiels, nous utilisons des bibliothèques open source, comme LLaMA, que nous fine-tunons afin de garantir la propriété intellectuelle et garder le contrôle total sur l’outil.
Nos clients n’attendent pas nécessairement de la technologie de notre part, mais des données. Avec l’essor de l’IA générative, ils ont besoin d’un accès à des données plus fines, plus rapides, mieux structurées. Ils veulent savoir où se trouvent nos mobiliers, comprendre les déplacements urbains, anticiper où leur cible va passer. Cela nous amène à développer des outils qui, par exemple, permettent de prédire si une affiche va capter l’attention grâce à des systèmes de deep learning et d’eye tracking, avant même le lancement de la campagne.
Oui, en profondeur. Nous sommes passés de bilans de diffusion en fin de campagne à des données presque heure par heure. Cela rend le pilotage des campagnes plus précis, plus dynamique. Contrairement à l’image figée de l’affichage traditionnel, le média devient plus digital, plus flexible. Nous avons par exemple mis en place dans les aéroports un affichage contextuel, capable de s’adapter à l’heure de décollage ou à la destination des vols. Ce type d’usage revient sur le devant de la scène avec les avancées de l’IA générative.
Absolument. Grâce à l’IA, on peut tester une campagne en amont, estimer le niveau d’attention qu’elle va générer, sans devoir investir lourdement dans la création. Cela réduit considérablement les barrières à l’entrée. Nous avons aussi développé des API qui permettent aux partenaires de se connecter eux-mêmes à nos données. Ces API sont certifiées par des tiers, ce qui garantit leur fiabilité. Même des marques sans service data interne peuvent désormais tirer parti de nos outils.
Nous avons pris les devants. Pour offrir aux annonceurs les mêmes capacités que dans l’univers digital, nous avons intégré des partenaires SSP, DSP et DMP dans tout le groupe. Cela nous permet de proposer du programmatique. Aujourd’hui, le digital représente 39% de notre chiffre d’affaires et ce chiffre progresse régulièrement depuis plusieurs années. Il arrivera bientôt à l’équilibre entre le digital et l’affichage classique. Pour accompagner cette croissance, il fallait développer une chaîne d’achat à la hauteur, premium, et garantir un inventaire suffisant.
C’est une question essentielle. Notre média est dans l’espace public: il ne peut pas imposer son message. C’est précisément ce qui fait la valeur de l’OOH. Nous faisons donc très attention à la qualité des créations. Nous analysons toutes les campagnes avant diffusion. À Strasbourg, par exemple, nous avons mené des études pour suivre le regard des passants, comprendre où se pose l’attention et développer des systèmes de prédiction de l’intention.
Elle va surtout rendre le média DOOH beaucoup plus accessible. Les marques pourront plus facilement intégrer l’affichage dans leur mix marketing. L’IA simplifie la planification, abaisse les barrières à la création et permet un meilleur tracking des performances. Cela va ouvrir le média à un plus grand nombre d’acteurs, qui pourront l’utiliser avec plus de souplesse et d’efficacité. Mais il ne faut pas se méprendre: cette transformation exige un investissement réel. Les outils existent, certes, mais il faut les structurer, les intégrer et accompagner le changement. C’est un travail de fond. Pour nous, c’est un facteur clé de croissance et un levier pour que le DOOH soit encore plus pertinent dans les années à venir.
Retrouvez les interviews de notre série dédiée à l’IA générative :
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