- Part-time, fractional ou même CMO as a service… Appelez-le comme vous voulez, mais le chief marketing officer fait l’objet, comme la plupart des autres postes C-levels (dont le CTO et le CFO), d’une petite révolution : l’arrivée de collaborateurs à temps partiel.
En France, ils sont plus de 400 à afficher fièrement le label “Part-time CMO” sur leur profil LinkedIn. Il y a un peu de tout dans le lot, bien sûr. “Ça va du spécialiste du marketing digital au véritable CMO, en passant par le responsable marketing plus classique”, observe Emmanuelle Benoliel, fractional CMO de Payfit après avoir occupé le même poste, mais à plein temps et en CDI, au sein de scale-ups BtoB comme Aircall.
Si le terme, devenu un peu fourre-tout, cache des profils et des réalités très hétérogènes, sa popularité s’explique assez simplement. C’est d’abord la conséquence du Covid, qui a changé le rapport au travail d’un bon nombre d’entre nous - en témoigne le succès de plateformes comme Malt, Upwork ou Fiverr. Mais aussi le symptôme d’un écosystème tech qui est arrivé à maturité, à en croire Nicolas Breuil, marketing et business development director chez Koto. “Le part-time attire aujourd’hui toute une génération de C-levels qui ont passé entre 5 et 10 ans dans des entreprises à forte croissance et qui aspirent à autre chose.”
“Le part-time attire aujourd’hui toute une génération de C-levels qui ont passé entre 5 et 10 ans dans des entreprises à forte croissance et qui aspirent à autre chose.”
Nicolas Breuil en est un bon exemple, puisqu’il a lui-même connu une parenthèse part-time CMO après, selon ses termes, “7 années intenses à scaler des équipes marketing.” “J’avais envie de renouer avec l’opérationnel, d’être plus proche du business et des fondateurs”, explique celui qui s’est alors spécialisé dans l’accompagnement de jeunes pousses comme Roundtable, The Big Whale ou Mozza.
“J’étais souvent la première recrue du pôle marketing. J’accompagnais ces entreprises sur leur go-to-market, le temps d’un sprint qui dure entre 4 et 6 mois”, ajoute Nicolas Breuil. L’occasion d’apporter un regard extérieur à des entrepreneurs qui ont parfois la tête dans le guidon et pas toujours le réflexe de challenger certains fondamentaux. Une valeur ajoutée que Nicolas Breuil, désormais en CDI au sein d’un studio marketing, continue aujourd’hui d’apporter à travers ses casquettes d’advisor et de business angel.
Si les part-time CMO fleurissent sur LinkedIn, c’est aussi que les entreprises y trouvent leur compte. C’est d’abord le meilleur moyen de s’assurer de disposer du bon profil en fonction des besoins de l’entreprise. “Ces derniers évoluent à mesure que l’entreprise gagne en maturité”, rappelle Emmanuelle Benoliel.
Du early au late stage, il y en a pour tous les profils
Early stage, il lui faut quelqu’un de très opérationnel, comme Nicolas Breuil. Late stage, quelqu’un de plus politique, qui a un impact au niveau du Comex. En phase de croissance, il lui faudra plutôt trouver un chef de troupe, capable de structurer l’équipe et de lui insuffler un cap.
Précisément le profil d’Amandine Aman qui, après quelques années chez Uber, McCain ou Mars, s’est spécialisée dans l’accompagnement de sociétés qui, quelque part entre série A et une série B, veulent en profiter pour remettre à plat leur stratégie marketing ou accélérer leur croissance. Dans le lot, des entreprises comme Luko et Le Wagon ont déjà fait appel à ses services.
“Ce que j’aime dans ma fonction, c’est le fait de rentrer dans une entreprise, comprendre ce qui s’y passe et changer ce qu’il faut pour lui permettre d’accélérer sa croissance”, témoigne Amandine Aman. Une “job description” qui peut faire penser à celle d’un consultant classique… mais il n’en est rien. “On attend de vous que vous soyez un leader qui fait profiter de son expertise aux équipes. Vous devez être ‘skin in the game’, comme disent les anglo-saxons. Personnellement, je m’engage toujours sur des missions de 9 mois à un an et demi. C’est dans l’intérêt du client comme du mien”, ajoute celle qui travaille avec deux à trois clients maximum en même temps.
“J’ai souvent un compte principal, qui va me prendre la majorité de ma semaine, et deux comptes secondaires, que j’accompagne plutôt en mode advisor.”
“J’ai souvent un compte principal, qui va me prendre la majorité de ma semaine, et deux comptes secondaires, que j’accompagne plutôt en mode advisor.” Évidemment certains part-time CMO font preuve d’un peu plus de boulimie lorsqu’il s’agit d’empiler les comptes. “On en voit certains qui gèrent entre 10 et 15 comptes en même temps. Tout simplement parce qu’il s’agit ‘juste’ de mentorer des équipes qui sont déjà en place full-time”, illustre Amandine Aman.
Pour que ça marche, l’important, c’est de se mettre d’accord sur le périmètre d’action, le fameux “scope of work”. “Pourquoi vous faites appel à lui, qu’est-ce que vous attendez de lui, qu’est-ce qui fera que sa mission aura été une réussite ou pas sont autant de points à aborder en début de mission”, prévient un Nicolas Breuil qui n’hésitait pas à conditionner une partie de sa rémunération à l’atteinte de certains KPI.
Pour autant, rien n’est jamais gravé dans le marbre. Le rôle du part-time CMO peut évoluer à mesure qu’approche le terme de la mission. “Je pouvais aussi être amené à recruter l’équipe qui prendrait ma suite, à gérer son onboarding ou à mentorer la personne qui en prendrait la tête”, énumère Nicolas Breuil. Il y a bien sûr des limites à la fonction. “Le part-time CMO reste un externe. N’attendez pas de lui qu’il aide à l’établissement d’une culture d’entreprise”, prévient Nicolas Breuil.
De même qu’il va très rarement challenger le produit en lui-même, comme pourrait le faire un collaborateur de l’interne. La collaboration est d’ailleurs parfois tellement discrète que le part-time CMO ou advisor ne fera pas mention de son affiliation sur LinkedIn. “Il ne pourra, dans ce cas-là, pas porter la voix de l’entreprise à l’extérieur”, observe Amandine Aman.
Faire appel à un part-time CMO, c’est aussi, dans ce contexte économique pas évident, un moyen de s’éviter un recrutement raté… qui peut plomber une entreprise aux reins pas suffisamment solides. “Le recrutement d’un profil trop senior, qui ne correspond pas aux besoins de l’entreprise mais pèsera lourd dans ses comptes, peut être fatal à bien des start-up”, rappelle Nicolas Breuil. C’est particulièrement vrai depuis que l’argent des VC s’est fait rare. Raison pour laquelle certaines start-up très “early stage” proposent de rémunérer leur advisor / part-time CMO avec un (tout petit) pourcentage de leur capital. Compter, sinon, entre 800 et 1200 euros la journée, selon les estimations de Nicolas Breuil.
"Mieux vaut avoir une pointure qui coachera votre directeur marketing, deux à trois jours par semaine, qu’un profil full-time moins cappé”
Le part-time est également un moyen de faire attention à ses coûts… sans pour autant transiger avec ses exigences. “Mieux vaut avoir une pointure qui coachera votre directeur marketing, deux à trois jours par semaine, qu’un profil full-time moins cappé”, note Emmanuelle Benoliel. Raison pour laquelle le part-time CMO n’est parfois pas une simple rampe de lancement… mais un collaborateur qui s’installe dans la durée. “On voit de plus en plus d’entreprises qui recrutent des fractional VP’s sur une durée de deux ou trois ans pour s’assurer d’avoir le bon profil”, constate Emmanuelle Benoliel. Et de citer l’exemple de Chilli Pepper.
Nicolas Breuil ne compte, de son côté, plus les agences qui surfent sur la tendance et qui mettent des profils très seniors, parfois même des équipes entières, à disposition de leurs clients. “C’est aussi un moyen pour le part-time CMO de ne pas se sentir comme un loup solitaire, d’appartenir à une communauté.” Un sujet identifié par Amandine Aman, qui réfléchit au lancement cet été d’un collectif de fractionals CMO.
“J’ai la chance d’avoir un bon réseau et donc pas mal d’appels entrants que je ne peux pas tous satisfaire”, justifie Amandine Aman. Avant toutefois de lancer un avertissement aux intéressés : “Je sais que c’est devenu un peu à la mode mais je déconseillerai à une personne de se lancer si elle n’a pas bien établi sa marque personnelle sur les réseaux ou qu’elle n’opère pas sur un secteur bien spécifique.” L’important, c’est de cultiver votre avantage compétitif. Avis aux intéressés !