Laetitia Zinetti (DoubleVerify) : “Les doutes de certains acheteurs médias quant au rapprochement Scibids - DoubleVerify m’étonnent beaucoup”


  • C’est l’une des plus belles exits de ces dernières années dans l’adtech, la vente de Scibids à l’Américain DoubleVerify pour près de 125 millions de dollars. Mais c’est aussi une opération qui a provoqué un peu de circonspection en France, notamment du côté des acheteurs médias, pas à l’aise à l’idée de travailler avec une solution qui mesure ce qu’elle optimise et serait donc juge et partie.

  • Minted a donc voulu faire le point avec les deux premiers concernés, Laetitia Zinetti, RVP Southern Europe de DoubleVerify et Christophe Delaroche-Vernet,  head of sales France de Scibids. Pourquoi ce rapprochement ? Et quelles sont les ambitions de DoubleVerify - Scibids. On vous dit tout.

     
     

Minted. Ça va faire 5 mois que le rachat de Scibids par DoubleVerify a été annoncé. Où en êtes-vous ?

Laetitia Zinetti. L’annonce du rachat date d’il y a cinq mois mais cela fait, en réalité, une année que Scibids et DoubleVerify se sont rapprochés. Cela a débuté par des tests opérés sur certains marchés, pour bien comprendre la complémentarité de nos solutions et optimiser les performances de nos clients respectifs. Des tests qui ont abouti à l’annonce d’un partenariat commercial et qui ont été le déclencheur de ce rapprochement capitalistique.

La mission, aujourd’hui, c’est de démontrer cette complémentarité auprès des clients de chacune des deux entités et de le faire également, en interne, en profitant notamment de l’expertise des équipes de Scibids sur tout ce qui touche à l’IA, pour l’appliquer à nos produits historiques.

Vous n’en faisiez pas côté DoubleVerify ?

Laetitia Zinetti. Si, bien sûr. Nous utilisons de l’IA sur la majorité de nos produits de mesure, qu’il s’agisse de brand suitability ou de fraude, mais les équipes de Scibids vont nous permettre d’identifier d’autres opportunités.

Comment êtes-vous organisé commercialement ? Chacun vend son produit ou DoubleVerify commence à vendre du Scibids et inversement ?

Laetitia Zinetti. Nous ne sommes pas cloisonnés. Nos clients peuvent se voir proposer des solutions Scibids et inversement.

Christophe Delaroche-Vernet. On s’inspire un peu de ce que Google a fait avec Youtube. La marque Scibids reste indépendante et continue d’exister avec son expertise bien spécifique mais le groupe DoubleVerify peut, à son niveau, la pousser.

Laetitia Zinetti. Ce qui a motivé ce rapprochement, c’est aussi un positionnement similaire. Aucun de nous deux ne vend pas de média. Nous mettons des outils à la disposition des agences et des annonceurs pour les aider à optimiser l’efficacité de leurs investissements publicitaires. Nous sommes deux technologies indépendantes et agnostiques.

C’est amusant que vous le rappeliez car ce rapprochement a justement provoqué un peu de circonspection en France, notamment du côté des acheteurs médias, pas à l’aise à l’idée de travailler avec une solution qui mesure ce qu’elle optimise et serait donc juge et partie. Que répondez-vous à ça ?

Laetitia Zinetti. Que ça nous étonne beaucoup car ce n’est pas vraiment les retours que j’ai pu avoir, de mon côté. Et que je tiens à rassurer tout le monde en rappelant que nous sommes l’adverificateur le plus certifié au monde, un vrai puriste de la mesure.

Christophe Delaroche-Vernet. Le fait que DoubleVerify soit un acteur certifié par un tiers, qui valide sa méthodologie et sa façon de travailler, devrait suffire à rassurer tout le monde !

Laetitia Zinetti. Il n’y a pas plus “solide” qu’une certification MRC, dont le processus s’étend sur un an et qui mobilise 5 personnes à plein temps chez DoubleVerify, pour que nos méthodologies soient validées. 

On a vu, par le passé, qu’être accrédité par le MRC n’avait pas empêché certaines plateformes d’être épinglées pour des problèmes de mesure…

Laetitia Zinetti. Il m’est difficile de commenter un sujet qui ne nous concerne pas mais je veux quand même vous rappeler que vous comparez deux situations qui n’ont pas grand-chose à voir. 

Dans le premier cas, on a affaire à des acteurs qui sont aussi des régies alors que nous concernant, on parle d’un acteur, DoubleVerify, qui vient faire un état des lieux et qui, lors de cet état des lieux, n’a pas d’intérêt à dire que telle régie fonctionne mieux que l’autre. 

Christophe Delaroche-Vernet. Il faut quand même le rappeler, DoubleVerify comme Scibids n’ont, eux, aucun intérêt business à tricher. Et puis la donnée de DoubleVerify n’est qu’un type de données, parmi d’autres, qui permet aux algorithmes custom de Scibids d’optimiser la diffusion de la campagne sur les KPI qui correspondent aux besoins du client.

Aux Etats-Unis, ça pose moins problème. Pourquoi ?

Laetitia Zinetti. Je suis d’accord avec vous mais je ne me l’explique pas.

Pourquoi c’est important pour un acteur comme DoubleVerify de passer de la mesure à l’optimisation ? 

Laetitia Zinetti. C’est le prolongement naturel de notre promesse qui est, en anglais, “deliver business outcomes.” Pour y arriver, il faut aller au-delà de l’aspect mesureur qui apporte une photo post-campagne. Il faut être capable, plus en amont, de proposer des solutions pour accélérer ou amplifier l’efficacité d’une campagne sur des items de marque ou des items business. 

Nous avons des clients très matures qui nous communiquent des KPI hyper custom, nourris de data sets très précis, sur lesquels ils nous demandent d’optimiser la campagne. Nous avons aussi des fonctionnalités, sur étagère, comme le “video filtering”, qui va permettre à un annonceur de ne pas enchérir sur un contexte brand safe.

Ce n’est pas déjà ce que font la plupart des annonceurs avec leurs blocklists côté DSP ?

Oui mais ce n’est pas parce que vous faites une blocklist que vous ne prenez pas le risque d’enchérir sur des environnements qui ne sont pas brand safe, voire brand suitable. 

Quand, c’est le cas, un ad-verificateur prévient l’enchérisseur qui préfère ne pas diffuser, même s’il a payé l’enchère. Ce que l’on fait, nous, c’est de l’avertir avant qu’il soumette son enchère, pre-bid, pour éviter que l’annonceur gaspille ses bugdets.

DoubleVerify est un géant mondial de la mesure, avec près de 452 millions de dollars de revenus en 2022. Et pourtant on vous voit peu en France, où IAS, votre principal concurrent, semble omniprésent. Pourquoi ?

Tout simplement parce que DoubleVerify a longtemps fait le choix de concentrer ses investissements, côté produit, technologie et marketing, sur son marché domestique : le marché américain. Nous sommes arrivés relativement tard en Europe. Ça fait à peine trois ou quatre ans, avec le Covid au milieu, que nous sommes arrivés sur le marché français. Cela explique le décalage que vous erappelez avec IAS en France.

Mais nous avons bon espoir d’inverser la tendance en France et en Europe du Sud, comme nous l’avons fait récemment au Royaume-Uni où nous sommes au même niveau qu’IAS. La croissance de DoubleVerify est très bonne dans l’Hexagone.

C’est-à-dire ?

Nous ne communiquons pas de détails à ce sujet. Je peux vous dire qu’elle vient de deux leviers : les contrats que nous négocions au global et ceux que mes équipes signent en local. Je pense aussi que l’acquisition de Scibids va nous permettre de passer à la vitesse supérieure. 

Combien êtes-vous ?

Nous sommes 13, côté DoubleVerify et 35, côté  Scibids, qui a 15 recrutements de prévus l’année prochaine. L’objectif, c’est d’être 70 fin 2024, avec un emménagement dans de nouveaux locaux, qui est prévu pour septembre prochain. 

On voit aujourd’hui que tous les spécialistes de la visibilité bifurquent vers l’attention. C’est aussi votre cas ? 

L’attention est un sujet sur lequel nous travaillons depuis trois ans chez DoubleVerify, ce n’est pas nouveau. Nous sommes accrédités par le MRC sur cette mesure depuis janvier 2023 et nous sommes, à date, les seuls dans ce cas de figure.

La mesure de l’attention est aujourd’hui très hétérogène. Comment procédez-vous ?

De manière 100% déterministe. Nous n’avons pas recours à des panels, nous nous appuyons sur le tag qui est déjà déployé au sein des campagnes des marques qui font appel à nous pour la visibilité, la fraude ou la brand suitability. Nous récupérons des données sur 50 critères qu’on peut scinder en deux typologies. 

D’un côté, les indices d’exposition (temps d’affichage de la création publicitaire à l’écran, part de l’écran, taux de complétion) et de l’autre, des indices d’engagement (est-ce que l’internaute touche l’écran, est-ce que le son est on ou off, est-ce que la créa est skippable…) pour valider le fait que l’utilisateur est bien là et qu’il interagit. Nous combinons ces deux indices pour aider les annonceurs à optimiser la diffusion de leurs campagnes sur l’attention, directement depuis l’interface de DoubleVerify ou depuis leur DSP, si ce dernier intègre les algorithmes de custom bidding de Scibids. 

Est-ce que Scibids peut, lui, le faire avec les autres mesureurs du marché ?

Christophe Delaroche-Vernet. Notre technologie reste interopérable avec celle de tous nos partenaires. Qu’il s’agisse d’adverificateurs, comme IAS, Lumen, Adelaide ou xpln.ai, de mesureurs carbone, comme Impact+ ou Scope3, ou encore de plateformes site-centric, comme Adobe ou AT Internet. Le but, c’est de permettre aux utilisateurs des DSP avec lesquels nous sommes intégrés de faire du custom bidding sur de la donnée tierce. Le rapprochement avec DoubleVerify ne change rien à cette promesse.