Info Minted : Procter & Gamble internalise l'achat média digital en France


  • Forcément une déception pour Starcom, l'agence média de longue date, qui fait les frais de la volonté du CMO du géant de la grande consommation, Marc Pritchard, de reprendre le contrôle sur ses investissements marketing. 
  • Sont concernés : le programmatique open Web, le social et le SEA. Minted vous dévoile en exclusivité les contours de cette opération et ses conséquences pour Publicis Media. 

Marc Pritchard, chief brand officer de Procter&Gamble (P&G), l’a annoncé à l’occasion d’un discours donné auprès de l’ANA : le géant de la grande consommation veut aller plus loin dans la reprise en main de ses investissements médias. Il est déjà bien avancé sur ce sujet aux Etats-Unis et il compte passer à la vitesse supérieure en France puisque, selon nos informations, P&G a également décidé d’y internaliser l’ensemble de ses achats médias digitaux d’ici le début de son prochain exercice fiscal, en juillet 2023. Sont concernés : le programmatique open Web, le social et le budget SEA, qui étaient tous opérés par Starcom.

Contacté par Minted, Procter&Gamble a justifié par écrit cette décision. "Aujourd’hui, nous observons une transition accélérée vers des choix de médias fragmentés, des environnements sans publicité, de nouvelles plateformes et outils numériques. C’est pourquoi, nous expérimentons différents modèles et dispositifs en combinant et en capitalisant sur nos forces et celles de nos partenaires, explique un porte-parole. Pour répondre aux besoins évolutifs de nos consommateurs, la mission de P&G est de leur proposer des marques et des innovations supérieures, soutenues par des communications supérieures. C’est ce qui a toujours été au cœur du succès de P&G."

C'est vrai, car cette internalisation, c’est l’aboutissement de plusieurs années à itérer sur le sujet. Rappelons que P&G avait mis un premier pied là-dedans dès… 2013, en dealant un partenariat exclusif avec Audience Science, pour en faire son trading desk maison, avant d’arrêter les frais quelques années plus tard. Mais c’était une toute autre époque, avec un univers programmatique balbutiant. Depuis, l’annonceur s’était distingué par sa volonté de contractualiser en direct avec l’ensemble de ses prestataires (adserver, DSP, mesureurs tiers, apporteurs de data).

Et à nouveau, en 2018, Marc Pritchard a fait part de sa volonté de “reprendre le contrôle”, estimant que l’in-housing du médiaplanning et du trading lui apporterait une meilleure maîtrise de ses investissements, en même temps que de la flexibilité. La plupart des marques du groupe y sont passées outre-Atlantique et le dirigeant a d’ailleurs cité le cas de Pampers qui, après avoir internalisé le volet média, a réussi à augmenter ses ventes de 10% en 2022 aux Etats-Unis. 

Pas une surprise donc que la France suive cet exemple. Mais forcément une déception pour son partenaire de longue date Starcom, qui collabore avec P&G depuis plus de 20 ans. P&G, c’est 453,1 millions d’euros bruts investis en média en 2021, ce qui le plaçait au troisième rang des plus gros annonceurs en France, selon Kantar Media. Un poids lourd du paysage média donc. L’impact business reste néanmoins limité pour Starcom, puisque l’achat TV, qui représente près de 90% du budget de P&G, reste dans les mains de l’agence média. 

Plusieurs raisons à cela. Le média est autrement plus compliqué à opérer que le digital. Surtout, le marché de la TV reste un environnement où prime est donnée aux plus gros, avec des centrales d’achats qui, côté agences médias, obtiennent des tarifs qu’un annonceur en solo, même aussi gros que P&G, aurait du mal à obtenir. Difficile pour P&G d’avancer tout seul sur le sujet, surtout dans un marché aussi complexe à opérer que l’Hexagone, comme ne manquerait pas de vous le rappeler n’importe quel acheteur aguerri. L’internalisation des achats TV est néanmoins une réalité pour P&G outre-Atlantique et il n’est pas à exclure que la France y passe aussi, un jour peut-être.

En attendant, c’est uniquement le digital qui est concerné. On parle de 20 à 25 millions d’euros d’investissements par an, selon nos informations. “Ce n’est évidemment pas anodin, confirme un collaborateur de chez Publicis Media, et c’était même l’un de nos plus gros clients sur le digital.” Surtout, c’était l’un des plus engagés (P&G a lâché Google pour un adserver indépendant et avait même coupé Google Adex à une époque) et innovants puisque P&G a été le premier à tester une route directe entre The Trade Desk et des éditeurs clients de la solution Hubvisor. C’était en 2020, à une époque où le SPO n’avait pas la popularité qu’il a aujourd’hui.

C’est toujours compliqué de voir un partenaire aussi prestigieux prendre un peu ses distances, même quand on s’appelle Publicis Media, qu’on a enchaîné les gains d’appels d’offre ces derniers temps (Stellantis, LVMH, Mondelez, AB Inbev, Kingfisher…) et qu’on n'aura aucun mal à recaser les quelques collaborateurs qui se retrouveront au chômage technique, puisque le groupe peine à se staffer sur certains budgets.

C’est sans doute la raison pour laquelle on veut, malgré tout, y voir du positif. “Déchargés du volet trading, les experts du groupe vont pouvoir apporter plus de valeur ajoutée à P&G”, explique un collaborateur de l’agence. Marc Pritchard ne dit pas autre chose lorsqu’il explique à AdAge que cette reprise en main laisse tout de même de la place pour les partenaires. “Nous avons plus que jamais besoin d'agences pour continuer à innover dans des domaines tels que la mesure, le développement de contenu, l'intelligence artificielle, les expériences immersives… En bref, l'avenir des médias et de la publicité”, expliquait-il.

Côté Publicis Media, conscient que les hypes se défont aussi vite qu’elles ne se sont faites dans ce secteur, on se veut rassurant : “P&G ne part pas de chez Starcom parce qu’il est mécontent mais parce qu’il a d’autres ambitions globales”,rappelle le collaborateur mentionné plus haut. Pas question d’y voir un signal faible. Cette décision serait d’ailleurs plutôt subie par les équipes France de P&G, qui n’ont pas répondu à notre sollicitation mais auraient, selon nos informations, aimé pouvoir continuer à capitaliser sur leur partenaire de confiance. 

C’est d’autant plus probable que l’internalisation de l’achat média est loin d’être une promenade de santé. Il y a d’abord le volet RH. P&G va devoir constituer une équipe d’une dizaine de traders et consultants digitaux (ils étaient une bonne quinzaine chez Starcom à œuvrer sur le compte). Des annonces pour des positions de trader programmatique et de trader social et SEA sont en ligne depuis la fin de l’année 2022. Et les choses prennent, selon nos informations, un peu plus de temps que prévu, même si quelques profils clés ont déjà été verrouillés. “Ce n’est pas évident de trouver les bons profils”, confirme un proche du dossier.

Un écueil qui a d’ores et déjà contraint P&G à revoir légèrement sa roadmap, avec une internalisation qui s’effectuera finalement une marque après l’autre pour se donner le temps de trouver les bonnes ressources. Il faut dire que l’équipe aura à gérer un portefeuille d’une dizaine de marques qui ont des degrés de maturité très différents sur le digital. “Oui, P&G gagnera en flexibilité à l’issue du processus mais cela restera, quoi qu’il arrive, une machine difficile à huiler”, prévient notre expert. 

C’est aussi la raison pour laquelle il est peu probable que l’annonceur américain fasse beaucoup d’émules dans l’Hexagone. “On ne voit, pour l’instant, pas d’autre exemple que P&G en France”, confirme notre expert. Il faut dire que les écueils sont nombreux : entre la difficulté à recruter les talents, les fidéliser et les faire rester à la page tout en restant dans le “cocon annonceur”. Autant d’écueils que l’ISBA recense dans son “State of in housing”, un rapport publié mi-février 2023 sur les enjeux liés à l’internalisation de l’achat média. Certains en sont d’ailleurs déjà revenus. On peut citer l’exemple de Coty, qui avait racheté une agence de marketing numérique nommée Beamly, en 2015, pour faire du “in-house”, avant de faire marche-arrière et la réintégrer au sein de Zenit, son agence média en 2019

En France, les cas d’internalisation sont encore rares, on peut citer Air France, Pernod Ricard, Club Med. La plupart des annonceurs préfèrent désormais opter pour un modèle hybride : avec des licences à leur nom, ce qui leur permet de garder la propriété de la data, mais des outils qui sont opérés par des prestataires externes… dont l’agence média.