10 juillet 2025

Temps de lecture : 6 min

Observatoire de l’e-pub: le display perd du terrain au profit du social et de la CTV

Malgré un ralentissement après une année exceptionnelle en 2024, le marché français de la publicité digitale a enregistré une croissance solide de 11% au premier semestre 2025, atteignant près de six milliards d’euros. L’Observatoire de l’e-pub SRI, réalisé par Oliver Wyman en partenariat avec l’UDECAM, révèle une recomposition des équilibres entre leviers avec un social désormais au coude à coude avec le search, une poussée spectaculaire de la vidéo et une montée en puissance des enjeux liés à l’IA.

Au premier semestre 2025, le marché français de la publicité digitale a enregistré une croissance de 11%, atteignant près de six milliards d’euros (5,9 milliards) de recettes. Cette performance marque un ralentissement par rapport aux 18% de croissance observés au premier semestre 2024. Mais Emmanuel Amiot, Associé et Responsable de la division Communication, Médias & Technologies pour l’Europe chez Oliver Wyman, rappelle qu’il est crucial de contextualiser ce ralentissement par rapport à début d’année 2024 exceptionnellement fort, stimulé par le début des Jeux Olympiques et l’Euro. Mais aussi par une base favorable en raison de l’inflation et des difficultés budgétaires des ménages qui avaient marqué le premier semestre 2023.

En perspective, le taux de 11% pour le premier semestre 2025 est inférieur au 15% de croissance historiquement observé sur les premiers semestres entre 2015 et 2024.

A lire également : La chute des investissements programmatiques s’accélère

Performance par leviers majeurs

Trois messages principaux ressortent de l’analyse des leviers: le social maintient une très forte tendance de croissance à 15%, bien que légèrement moindre qu’auparavant. Sa part dans le mix a significativement augmenté, passant de 27% à 33% en deux ans. Cette dynamique est portée par Meta, dont le chiffre d’affaires a progressé de 13% en Europe sur le semestre. TikTok affiche aussi une progression à deux chiffres. Les deux plateformes profitent notamment des investissements publicitaires des groupes chinois d’e-commerce Temu, premier annonceur de Meta, et Shein.

Le display hors retail media affiche une croissance de 14%, en décélération par rapport aux 21% précédemment observés, mais il conserve une place stable dans le mix.

En revanche, le search hors retail media voit sa part dans le mix global diminuer, avec une croissance limitée à 8%, la même que le semestre précédent.

Si le search hors retail media reste le premier levier, le social a rattrapé son retard. Les deux leviers sont désormais à peu près équivalents, chacun atteignant presque deux milliards d’euros de recette. Le search continue d’être tiré par la recherche de retour sur investissement (ROI), la longue traîne et de plus en plus par l’intégration des agents d’intelligence artificielle.

Le retail media, composé du retail search et du display, a progressé de 12%, légèrement moins que les 17% observés précédemment, et montre une stabilité dans le mix. Ce segment est marqué par une double dynamique: une très forte progression d’Amazon sur le retail search, tandis que la partie « brick and mortar » et le retail traditionnel ralentissent. La partie search du retail media croît, mais la partie display ralentit également.

Enfin, l’affiliation, l’emailing et les comparateurs ont progressé de 2%, un chiffre modeste mais meilleur que la fois précédente, principalement soutenu par l’affiliation qui semble se réinventer, notamment avec l’IA et le « brand to brand », connaissant un regain d’intérêt.

Focus sur le display et ses dynamiques internes

Dans sa globalité, le display continue de croître à peu près au rythme du marché, conservant son poids dans le marché total. Cependant, un ralentissement est observé, avec une croissance de 12% ce semestre contre 18% l’année dernière.

L’analyse du display démoyenné révèle une polarisation marquée du marché. Les acteurs du display se divisent en deux groupes principaux: les acteurs du »streaming » (essentiellement vidéo et audio) et les acteurs de l’édition et de l’information. Les plateformes de streaming comme Netflix et Spotify affichent une croissance supérieure à 20%, tandis que les acteurs audiovisuels traditionnels (broadcasters et radios vendant des inventaires vidéo et audio digitaux) connaissent une croissance encore plus élevée, à 28%.

À l’opposé, les acteurs vendant traditionnellement des inventaires classiques sont dans une situation plus difficile. En termes de poids relatif, les acteurs du streaming vidéo et musical, en très forte croissance, représentent désormais 39% du marché total du display.

Pour la première fois, les acteurs de la télévision et de la radio ont dépassé en taille ceux de l’édition et de l’information, un passage symbolique dû à la forte croissance des plateformes BVOD.

Impact des formats et de la CTV

La forte croissance du display est presque exclusivement tirée par la vidéo, selon le baromètre. Les investissements en display vidéo ont atteint 654 millions d’euros au premier semestre, avec une croissance de 21%, tandis que l’audio a atteint 64 millions d’euros, croissant de 22%. Le display classique est en décroissance, mais les opérations spéciales ont réussi à croître de 2%, ce qui est notable en l’absence d’événements spécifiques majeurs comme l’Euro ou les JO de l’année précédente (qui avaient généré 15% de croissance).

En ce qui concerne les revenus vidéo, les acteurs du retail et des services (comme Amazon, Retailink, Unlimited, Cdiscount qui sont peu nombreux à commercialiser de la vidéo) ont crû de 17%.

La télévision connectée (CTV) s’impose clairement comme le principal support de commercialisation et de consommation des inventaires vidéo digitaux. L’essor de la CTV s’explique par la maturité technologique du marché, le développement d’offres structurées par les acteurs historiques de la télévision et par les plateformes de SVOD et YouTube, un haut niveau de performance et une perception d’environnement plus premium et sécurisé par les annonceurs et agences. Il existe également des offres de display classiques sur la CTV, par exemple sur les sites M6+ ou TF1+.

Évolution du search et l’ère post-search

Le marché consolidé du search (incluant le search classique et le retail search) représente un volume colossal de 2,4 milliards d’euros sur un seul semestre. Le search classique, dominé par les moteurs de recherche comme Google (environ 95% du marché français), Bing et Yahoo, continue de croître très rapidement malgré sa taille et sa maturité, avec une augmentation de 9%, ajoutant 200 millions d’euros de recettes ce semestre.

Le search classique est principalement orienté vers le ROI, étant l’un des leviers de performance les plus simples à suivre, favorisé par les annonceurs pour des logiques de « drive-to-store » et « click-to-collect ». La « long tail » reste dynamique dans ses investissements sur les moteurs de recherche, privilégiant naturellement le search en période économique difficile.

Une partie des audiences naturelles du search se dirige actuellement vers les moteurs d’agents conversationnels (par exemple ChatGPT en France). De plus, la manière dont les gens effectuent des recherches évolue: les internautes s’habituent à taper des phrases entières plutôt que des mots-clés, ce qui n’est pas la méthode la plus optimisée pour les moteurs de recherche traditionnels. Google a d’ailleurs annoncé un « AI Mode » pour intégrer ces recherches par phrases. Ces deux mondes (recherche traditionnelle et agents conversationnels) vont se rejoindre selon Maïté Dailleau, Associée chez Oliver Wyman, modifiant probablement la dynamique des chiffres observés.

C’est pourquoi les marques travaillent avec leurs agences pour augmenter leur « share of model » (leur présence et leur poids dans les réponses des modèles d’IA), un déplacement du « share of search » et du « share of voice ». Actuellement, le marché n’est pas structuré et des requêtes identiques peuvent donner des réponses très différentes d’un agent à l’autre, nécessitant un travail d’harmonisation pour les annonceurs. L’observatoire lui-même constate que ses segmentations actuelles ont des limites, le search étant présent dans le social, le retail media et les agents conversationnels, ce qui nécessitera une réinvention de son modèle.

Focus sur le social et la vidéo

Le social poursuit sa croissance extrêmement rapide, atteignant 1,93 milliard d’euros ce semestre (+15%), un montant désormais équivalent aux investissements réalisés sur les moteurs de recherche classiques (hors retail). Une grande part de cette croissance est portée par de grands annonceurs directs comme Shein et Temu qui opèrent parfois sans agences. Meta continue de se réinventer avec de nouveaux formats performants, notamment sur WhatsApp, et une monétisation accélérée qui attire aussi les plus petits annonceurs. TikTok connaît également une forte croissance, avec une offre programmatique mature et une audience en constante augmentation (10,3 millions d’utilisateurs uniques en mars). Le lancement de TikTok Shop en France, après une période plus timide, symbolise la maturité de la plateforme et l’extension de son offre aux annonceurs.

Les recettes vidéo sur le social devraient dépasser le milliard d’euros ce semestre. Au total, l’ensemble de la vidéo (social et display) représente environ 1,7 milliard d’euros. La vidéo sociale constitue la majeure partie des inventaires vidéo vendus (formats TikTok, Reels Instagram, Shorts de YouTube).

Les prévisions pour 2025

Pour 2025, les prévisions du cabinet Oliver Wyman pour la France varient de 7% à 17% de croissance sur l’année, ce qui est supérieur aux prévisions pour l’Allemagne et l’Espagne. Le modèle intègre les évolutions prévues du PIB et la continuation des tendances observées, tout en prenant en compte les incertitudes géopolitiques et financières, ainsi que la discussion budgétaire à venir en France.

Le marché global devrait atteindre 12,5 milliards d’euros en 2025, maintenant un taux de croissance moyen de 12% depuis 2021.

Un appel à développer des « Safe Gardens »

En conclusion de la présentation du baromètre, Corinne Mrejen, présidente du SRI, a appelé à l’équilibre.  

Trop souvent, les investissements se concentrent sur le « bas de funnel », c’est-à-dire sur la conversion immédiate, au détriment de la construction de marque sur le long terme. Or, pour qu’une stratégie publicitaire soit réellement efficace selon elle, elle doit couvrir l’ensemble du parcours client. Il est donc important de construire une stratégie « full funnel », où performance immédiate et image de marque travaillent ensemble.

Par ailleurs, le marché est aujourd’hui divisé entre deux grandes visions: d’un côté, les grandes plateformes internationales (ou « walled gardens »), efficaces mais fermées et peu flexibles; de l’autre, l’Open Web, plus complexe mais aussi plus riche, plus diversifié et surtout financé en grande partie par la publicité. Corinne Mrejen qualifie ce second univers et ses acteurs comme des « Safe Gardens »: des environnements publicitaires sûrs, transparents et porteurs de sens.

Elle appelle à renforcer ces Safe Gardens en dialoguant collectivement avec l’ensemble des parties prenantes du secteur: marques, agences, institutions, syndicats… Et à intégrer l’IA de manière responsable. « Le web de demain doit être plus ouvert, plus responsable et plus durable », a-t-elle déclaré.

Allez plus loin avec Minted

LA NEWSLETTER

LES ÉVÉNEMENTS

LES ÉMISSIONS