26 juin 2025

Temps de lecture : 5 min

« L’IA générative multiplie les enjeux pour la brand safety »

Face à l’essor de l’IA générative, à la multiplication des sites MFA, au succès des plateformes sociales à l’émergence de nouvelles formes de fraude, les risques liés à la publicité digitale évoluent rapidement. Entretien avec Clément Bascoulergue, Country Manager France d'IAS, pour revenir sur ces nouveaux défis.  

Clément Bascoulergue - Integral Ad Science - Paris le 18 novembre 2024

Seize ans après le lancement d’IAS, les risques liés à la publicité digitale se sont-ils accrus ? Entre l’essor de l’IA, la multiplication des MFA et l’émergence de nouvelles formes de fraude, est-il aujourd’hui plus risqué pour un annonceur de faire de la publicité ?

Les risques sont plus élevés mais surtout ils ont changé de nature. Il y a dix ou quinze ans, c’était le programmatique qui concentrait les inquiétudes. Il y avait encore beaucoup de bons et mauvais grains. Depuis, il y a eu un gros travail de toute l’industrie, annonceur, agence, ad vérificateur, mais aussi DSP et SSP. La qualité et la maîtrise sur la partie programmatique est aujourd’hui bien meilleure

Le risque s’est déplacé vers les plateformes UGC, où le contenu est généré chaque seconde par n’importe qui, souvent sous forme de vidéos courtes, plus difficiles à analyser. Fake news, discours haineux, désinformation: ces risques sont désormais au cœur des enjeux.

L’essor de l’IA générative multiplie ces enjeux. La production de contenus problématiques est devenue ultra rapide, accessible à tous, et parfois optimisée pour les algorithmes des plateformes. C’est un vrai changement d’échelle.

Avec quelles plateformes travaillez-vous ? 

Il y a eu une importante évolution sur le sujet. Historiquement, nous travaillions avec YouTube et TikTok. En 2024, Meta a ouvert son inventaire à la mesure de brand safety. Un tournant majeur, car Meta est une plateforme centrale pour les annonceurs. Dans la foulée, c’est devenu le nouveau paradigme. En six mois, nous avons intégré la mesure sur Snap, Pinterest, Reddit, Nextdoor… 

Vous venez d’ailleurs de renforcer les possibilités sur Meta…

Nous avons lancé la mesure de brand safety début 2024. C’était une attente forte des clients. Pour la première fois, ils peuvent contrôler ce qu’ils achètent sur Meta. En fin d’année, nous avons aussi lancé le pré-bid. Les clients peuvent non seulement contrôler ce qu’ils font sur Meta, mais même l’optimiser avec des solutions dynamiques. Cela permet que leurs publicités soient affichées à côté de contenus qui répondent à leurs attentes.

Nous venons par ailleurs d’élargir notre solution à 46 catégories contextuelles sur Meta. On va ainsi au-delà de la brand safety, vers la brand suitability. Une marque peut désormais éviter des thématiques comme la religion, la parentalité, les contenus kids… selon ses besoins ou obligations réglementaires.

Comment expliquez-vous que des plateformes historiquement fermées comme Meta se soient ouvertes à la mesure externe ?

Cela vient prioritairement des annonceurs, qui ont exprimé le besoin d’avoir des tiers de confiance. Mais il y a aussi eu des progrès technologiques: il y a encore cinq ans, nous n’étions pas capables d’analyser en temps réel les contenus vidéo adjacents. Nous avons justement racheté la start-up française Context pour pouvoir le faire. Notre métier historique consistait à lire le texte sur page. C’est beaucoup plus difficile d’analyser une vidéo de six secondes, sur laquelle il faut comprendre l’audio et les images. Nous avons une équipe data science à Paris, qui développe des modèles de classification basés sur l’IA. Il y a deux ans, nous scannions l’équivalent de deux ans contenus par jour. L’an dernier, c’était dix ans. Nous sommes désormais à quarante ans.

La brand safety reste-t-elle une priorité pour les marques ? La question se pose quand on voit le retour des marques sur X, par exemple…

L’équilibre est compliqué, mais la priorité des marques reste la performance. C’est pour cela que les investissements se dirigent principalement vers les grandes plateformes, qui offrent un reach énorme et des capacités de ciblage. L’impératif de contrôle, de brand safety, de transparence vient ensuite. Les annonceurs doivent faire des arbitrages, par exemple en baissant la part d’investissements sur une plateforme. 

Êtes-vous aujourd’hui capable de détecter les contenus générés par l’IA ? Et ainsi permettre aux annonceurs de ne pas y apparaître à côté ?

Techniquement, nous sommes en capacité de construire une telle fonctionnalité. C’est un sujet sur lequel nous réfléchissons. Aujourd’hui, nous restons focalisés sur les problèmes que nos clients veulent détecter. 

Comment identifiez-vous la désinformation sur ces plateformes ?

Nous avons noué des partenariats externes avec des spécialistes qui nous fournissent les principaux narratifs de désinformation, sur les guerres, la santé, le climat… En analysant les videos, nous sommes ainsi en mesure de savoir si elles reprennent l’un de ses narratifs. Nous ne pouvons pas tout contrôler, nous nous concentrons sur les principaux thèmes, qui représentent 80% de l’espace et qui sont les plus impactants pour la société.

Un mot sur les sites MFA (made for advertising), qui se développent encore davantage avec l’IA. Pourquoi est-ce problématique pour les annonceurs d’y apparaître ? Quelles solutions proposez-vous ?

Ces sites sont des coquilles vides, avec peu de contenus et beaucoup de publicités. Ils génèrent moins d’engagement, moins de conversion, moins d’intérêt pour les messages publicitaires parce que les gens y arrivent par hasard. Ils cherchent juste à partir et ne reviendront plus jamais. Face à ce phénomène, nous pouvons identifier les sites qui n’ont aucune d’audience naturelle, qui se sont contentés d’acquérir du trafic artificiellement et qui n’ont aucune valeur. Nos clients peuvent travailler sur des listes d’exclusion de ces sites MFA. Mais cela revient à vider la mer avec un sceau. Nous recommandons donc du filtrage en temps réel, pour identifier les sites qui sont problématiques.

Ces sites sont peu efficaces pour les annonceurs et des techniques permettent de les éviter. Pourtant, ils existent toujours. Pourquoi ?

En open web comme sur les plateformes, il y a aujourd’hui tellement de demandes de pub qu’il y a besoin d’inventaire. Les inventaires qualitatifs ne sont pas assez nombreux. Il y a donc une offre de seconde zone qui existe. Les grands annonceurs sont très exigeants. Mais les PME vont être moins regardantes ou moins conscientes du phénomène. Elles peuvent aussi se faire avoir par la fraude, car elles regardent les leads et les conversions, qui peuvent être réalisés par des robots.

L’attention est un sujet qui monte chez les annonceurs. Quelle solution y apportez-vous ?

C’est effectivement un sujet très important. Nous avons lancé notre solution dédiée à l’attention il y a plus de deux ans. Nous avons fait un choix fort: collaborer avec Lumen, un acteur de référence dans le domaine de l’eye tracking. Nous utilisons les signaux que nous savons calculer (présence du format, visibilité, durée d’affichage, encombrement, interactions…), et nous les combinons avec des données d’eye tracking issues de panélistes équipés de caméras, ce qui permet d’observer les zones de chaleur visuelle. Cette approche donne une notion humaine. Depuis six mois, nous avons aussi la capacité de mesurer l’attention sur les plateformes sociales (Meta, Snap, TikTok…). Nous avons aussi lancé sur pré-bid cette année.

Comment fonctionne cette logique en pré-bid ?

Concrètement, nous pouvons prédire qu’une page spécifique génère historiquement plus d’attention qu’une autre. Cette information est intégrée dans la logique d’enchère dans le DSP: au moment d’acheter une impression, l’annonceur peut choisir celle avec la meilleure probabilité d’attention, tout en prenant en compte le prix. Nous fournissons ainsi une donnée supplémentaire pour aider à la décision.

Et sur les réseaux sociaux, comment cela se passe ?

Sur les réseaux sociaux, nous ne proposons pas encore de pré-bid pour l’attention. Nous fournissons uniquement de la mesure post-campagne, mais pas encore d’optimisation en pré-bid. C’est plus complexe, car l’attention y dépend davantage du comportement de l’utilisateur que du contenu lui-même, contrairement à l’open web.

Sur la mesure de l’attention, il manque toujours une standardisation de la mesure…

C’est en effet un enjeu majeur aujourd’hui. Il existe de nombreuses solutions de mesure d’attention, avec des méthodologies très différentes. L’univers est encore très fragmenté, ce qui rend les comparaisons difficiles. La bonne nouvelle, c’est que l’IAB et le MRC ont récemment publié une première version de guidelines sur l’attention, soumise à commentaires. L’objectif est d’aboutir à une méthodologie standardisée d’ici l’année prochaine, pour permettre une industrialisation de la mesure. En tant qu’acteur de la mesure, notre rôle est de soutenir les standards, pas de les définir. Nous nous préparons activement à être compliants dès que ces standards seront finalisés.

Allez plus loin avec Minted

LA NEWSLETTER

LES ÉVÉNEMENTS

LES ÉMISSIONS