5 May 2025

Temps de lecture : 6 min

La transformation des acteurs de la sustainable adtech en “Super Signal Aggregators”

Alors que l’écosystème publicitaire repose encore sur des logiques en silos, une nouvelle catégorie d’acteurs émerge pour structurer la chaîne programmatique: les "Super Signal Aggregators" (SSA). Connectés à l’ensemble des maillons du marché, ces agrégateurs de signaux entendent réconcilier efficacité média et responsabilité environnementale, à l’heure où les annonceurs cherchent plus de lisibilité dans un contexte économique et technologique mouvant.

Image générée avec l'IA

Dans un contexte économique incertain et un contexte géopolitique instable, les discours autour de la “sustainability” ont évolué ces dernières années. L’empreinte carbone s’inscrit désormais dans une lecture plus globale de la qualité média et les marques cherchent à croiser plusieurs indicateurs d’attention, de visibilité et de brand safety.

“Certaines sociétés qui affichaient une approche très ‘durabilité pure’ ont recentré leur stratégie vers une approche plus globale. C’est sans doute une réponse à un besoin du marché: multiplication des indicateurs, fragmentation des offres, notamment sur certains formats. Il devient nécessaire de centraliser les données”, étoffe Thomas Objois, CEO de Bcovery.

Pourtant, la chaîne programmatique reste fragmentée: les initiatives autour de la brand safety, de la mesure de l’empreinte carbone ou de l’efficacité média fonctionnent souvent en silos. Malgré cette complexité structurelle, une nouvelle dynamique est portée par une poignée d’acteurs qui entendent restructurer l’écosystème et optimiser la chaîne programmatique: les “Super Signal Aggregators”(SSA).

Ces nouveaux intermédiaires, connectés à la fois aux éditeurs (via les SSP) et aux acheteurs (via les DSP), ambitionnent de réconcilier la diversité des signaux disponibles pour orienter les décisions d’achat média de manière plus fine et plus responsable.

Scope3: un cas d’école aux grandes ambitions

Scope3 fait figure de pionnier dans cette transformation. D’abord positionnée comme outil de mesure de l’empreinte carbone dans la publicité digitale, la start-up américaine a récemment élargi son périmètre. Elle ne se limite plus à quantifier les émissions, mais se positionne désormais comme une plateforme capable d’enrichir et d’activer des signaux utiles pour les campagnes: visibilité, brand safety, efficacité média, etc.

Cette stratégie fait de la jeune entreprise un “super agrégateur de signaux”, en consolidant les données provenant de multiples sources (éditeurs, ad exchanges, partenaires tiers) pour permettre aux annonceurs de mieux piloter leurs campagnes. En intégrant des couches de mesure issues de rachats stratégiques, comme celui d’Adloox (spécialiste de la visibilité), Scope3 empiète désormais sur les plates-bandes d’acteurs historiques comme IAS ou DoubleVerify.

“Scope3 veut challenger les standards établis en remettant la qualité média au centre des débats. Leur mouvement pourrait se généraliser car le cœur du sujet est d’apporter aux plateformes d’optimisation les données les plus pertinentes possible. Le problème actuel est que les performances stagnent car les algorithmes dans les DSP sont peu nombreux, génériques et souvent peu adaptés aux conditions de marché spécifiques à un moment donné. Pour aller plus loin, il faut des signaux plus riches. Ce sont ces données qui permettent de faire rouler le “train” de l’adtech, en opérant l’infrastructure de manière plus fine”, analyse Adrien Delambre, Co-fondateur et CRO de Greenbids.

L’approche se veut agnostique et ouverte: Scope3 ne se limite pas à son propre inventaire, mais ambitionne de se connecter à tous les acteurs de la chaîne programmatique, tels qu’Equativ, Magnite et Index Exchange, pour offrir une vue consolidée. À terme, cette stratégie pourrait repositionner l’entreprise non seulement comme mesureur, mais aussi comme facilitateur de décisions pour les acheteurs média, sans pour autant devenir un DSP ou un SSP.

“Peut-être que Scope3 se lancera un jour dans l’optimisation, mais il serait alors juge et partie. Leur vision actuelle semble être plutôt celle d’un fournisseur de signaux, une sorte de marketplace de données permettant à d’autres, comme nous, de les activer et de créer de la valeur”, ajoute Adrien Delambre.

Un marché en consolidation, mais pas pour tous

Cette mutation s’inscrit dans un mouvement plus large de consolidation dans l’adtech. Les SSA émergent comme des acteurs capables de centraliser et de structurer un écosystème historiquement morcelé. Mais tout le monde ne pourra pas prétendre à ce statut selon Ben Skinazi, directeur marketing d’Equativ. “C’est coûteux et technologiquement exigeant. D’ailleurs, Scope3 a dû procéder à plusieurs acquisitions pour construire son offre”, précise-t-il.

Devenir SSA demande des capacités technologiques élevées et des connexions à l’inventaire éditeur ainsi qu’un accès étendu à la donnée. “Certains SSP, en raison de leur proximité avec les éditeurs et de la richesse de leurs signaux propriétaires, apparaissent bien positionnés pour évoluer vers ce rôle”, analyse Ben Skinazi. D’ailleurs, Equativ peut être considéré comme tel selon lui. “Notre objectif n’est pas seulement d’être un simple “tuyau”. Nous voulons enrichir les signaux issus de inventaires de milliers de sites web et d’applications mobiles pour les exposer aux DSP (Demand-Side Platforms) de manière plus intelligente”, explique-t-il.

Ce rôle pivot des SSA dans la chaîne programmatique pourrait aussi rebattre les cartes du pouvoir entre DSP, SSP et intermédiaires. Si ces nouveaux acteurs deviennent capables de “packager” l’inventaire de manière optimisée en tenant compte d’enjeux de performance, de qualité et de durabilité, ils pourraient devenir incontournables dans le processus de décision média. Sans pour autant gérer les enchères, ils pourraient influencer les choix de partenaires technologiques ou éditoriaux.

L’intelligence artificielle: accélérateur ou écran de fumée ?

En voulant simplifier les process, l’IA générative vient pourtant complexifier la réflexion autour de ces SSA. La baisse des coûts d’exploitation des modèles de langage (LLM) ouvre de nouvelles perspectives pour la collecte, l’analyse et l’activation de signaux. Mais l’IA générative sera-t-elle pour autant un “must-have” pour les super agrégateurs de signaux ? Scope3 a présenté il y a plusieurs semaines son “Agentic Media Platform” qui permet aux éditeurs, aux entreprises de l’adtech, aux curateurs et aux agences de créer et de gérer des agents d’IA afin d’optimiser l’achat média.

A lire également : Comment Scope3 veut améliorer la brand safety et la durabilité grâce aux agents d’IA

“Ces agents IA ne seront pas réservés aux SSA. SSP et DSP pourront aussi les exploiter. Mais un SSA bien connecté des deux côtés (éditeurs et annonceurs) est bien placé pour centraliser ces signaux et déclencher des décisions”, déclare Ben Skinazi.

Cette vague technologique s’accompagne d’une certaine prudence. Plusieurs observateurs pointent le risque d’effet d’annonce: difficile aujourd’hui de savoir si l’IA générative constitue une vraie rupture ou simplement un habillage pour des logiques d’optimisation déjà existantes.

“Ce que je constate, c’est qu’on ajoute de la complexité pour les annonceurs. L’environnement digital est déjà très technique. Leur dire que les solutions actuelles de vérification sont dépassées et qu’il faut passer aux agents IA, c’est risqué. Même si la promesse est réelle, je comprends qu’ils soient prudents. Moi aussi, je le suis. Oui, il y a un gain d’efficacité indéniable et le machine learning est une technologie mature. Mais Scope3 reste un acteur très émergent, avec une vision ambitieuse. J’adhère à cette vision, mais je reste attentif à l’écart entre le discours et la réalité“, tempère le co-fondateur et CRO de Greenbids.

Pour Thomas Objois, CEO de Bcovery, il y a en effet un risque que le marketing prenne le dessus sur l’intention réelle: “La réalité est plus nuancée: les acteurs américains ne partagent pas toujours leurs données et la mesure peut être instrumentalisée. Dans un contexte où les entreprises cherchent à lever des fonds, il est souvent plus valorisant de parler d’IA que de durabilité. Aujourd’hui, aucune agence ne peut se permettre de ne pas avoir un outil de mesure carbone, mais demain, peut-être faudra-t-il qu’elles aient un agent IA”.

Vers une ère de la qualité média

La montée en puissance des SSA et la consolidation des signaux s’inscrivent dans une volonté plus large: rendre la chaîne programmatique plus efficace, plus lisible et plus durable. Une nouvelle ère de la qualité média s’ouvre.

“Aujourd’hui, l’enjeu n’est peut-être plus de choisir entre un outil de performance et un outil de mesure d’impact, mais plutôt de rendre visible la convergence entre les deux. Il s’agit de démontrer que mieux acheter, c’est aussi moins polluer”, résume Thomas Objois.

Parallèlement à l’émergence des SSA, la mesure carbone dans la publicité digitale gagne en visibilité. Google a récemment annoncé rendre gratuite la visualisation de l’empreinte carbone de ses campagnes Search, YouTube ou Display, directement depuis DV360. Une initiative saluée dans le secteur, car elle démocratise l’accès à ces données, auparavant réservées à des solutions payantes. D’autres acteurs, comme DK, propose désormais une mesure complète sur l’ensemble de cycle de vie et sur tous les modes de diffusion pour la télévision.

Mais cette visibilité doit s’accompagner d’une standardisation selon Estelle Reale, directrice marketing de DK: “Nous pensons qu’il faut aller vers une standardisation du KPI carbone, pour qu’il devienne aussi lisible que celui de la visibilité. Cette standardisation des référentiels est un enjeu clé pour comparer l’online et l’offline de manière cohérente”. Une gageure pour que la mesure de l’empreinte carbone devienne un indicateur comme un autre au sein des SSA.

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