16 décembre 2025

Temps de lecture : 5 min

Médias : quels modèles économiques pour demain (et au-delà) quand les plateformes d’IA générative capteront tout le trafic ?

Entre un modèle publicitaire déjà fortement attaqué par les plateformes et les pertes de trafic liées à l’IA générative, les médias vont devoir adapter leurs modèles économiques. Quelles voies privilégier et quels résultats en attendre ? Quelques pistes à horizon 2050.

Chaque fin d’année est propice aux exercices de prospective. A plus forte raison quand tous les secteurs d’activités sont challengés par l’intelligence artificielle générative. Plusieurs acteurs des médias ont accepté de se projeter à horizon 2050, lors d’une conférence organisée par Presse & Médias au futur. A peine quelques jours après le troisième anniversaire de ChatGPT, les modèles économiques étaient évidemment au cœur du sujet. Comment s’adapter, alors même que le « web du zéro clic » remet en cause les modèles publicitaires sur l’open web ?

Certains des fondamentaux devraient rester d’actualité, comme la marque média. « La marque média, basée sur la fiabilité et la pertinence de ses contenus, mais aussi l’expérience consommateur resteront clés pour la valeur. Le modèle sera moins basé sur la diffusion et davantage sur la data, l’usage, la valeur de l’interaction et les expériences immersives », a avancé Rolf Heinz, directeur général du groupe L’Equipe.

Pour un acteur privé comme le groupe M6, la publicité sera encore au cœur du business, mais « une publicité mieux ciblée et plus personnalisée », a fait valoir Alix de Goldschmidt, sa directrice Innovation, IA et Data. Sera-t-elle toutefois aussi rémunératrice que la publicité qui vise un large public ? A voir… S’y ajouteront, selon elle, de nouveaux modes de financement :

« L’abonnement et le micro-paiement permettront de s’attacher à des consommations plus éclatées et à la capacité des gens à s’engager sur des petits montants de financements ».

Une étude menée en mai 2025 par le cabinet FreeThinking de Publicis sur les attentes médias des classes moyennes en 2050 mettait en lumière l’attente pour une publicité plus servicielle avec un dialogue constant et profitable à tous, entre marques et consommateurs.

Le modèle des médias publics, dont les dotations sont sous pression en France comme dans d’autres pays, est lui aussi questionné. « Si la collectivité estime qu’un média public reste important pour faire société, ils subsisteront, peut-être avec moins d’argent. Sinon, [le modèle] ne subsistera pas en l’état », a pronostiqué Laurent Frisch, directeur du digital et de l’innovation de Radio France.

Garder le lien avec le public

Alors que les flux personnalisés de Google Discover sont déjà la première source de trafic de bien des médias, l’IA générative s’installe durablement dans les usages. A l’heure du web du zéro clic, les contenus médias deviennent la matière première des assistants conversationnels capables de produire des résumés, des réponses et des analyses, menaçant le trafic que les médias d’information peinent déjà à monétiser.

Depuis 2023, les éditeurs de tous les pays observent une baisse de trafic issu des moteurs de recherche. En 2025, le quotidien suisse Le Temps a par exemple vu ses taux ce clic divisés par deux après l’introduction des Google Overviews. Au Royaume-Uni, une coalition d’acteurs incluant des éditeurs de presse, a entamé début décembre un lobbying auprès du Département de la Justice américain pour faire valoir le préjudice subi sur leur trafic et leurs revenus lié à Google Overviews. Jusqu’à 90 % de trafic en moins sur les sites de certains de ces éditeurs.

S’il semble difficile – et sans doute contre-productif – de s’affranchir à l’avenir de ces plateformes qui font partie du quotidien des Français et permettent de tout trouver sans avoir besoin d’aller sur un média, elles posent déjà question à plusieurs niveaux de la chaîne de valeur.

« Ces one-stop-shops sont peut-être beaucoup plus pratiques pour les utilisateurs mais, nous médias, nous n’existons que si nous arrivons à entretenir un lien avec le public », a rappelé Laurent Frisch.

Meryem Amri, directrice Média Intelligence de Publicis Media, incite à travailler encore davantage la préférence de marque et la confiance. « En tant qu’agence média, on a aussi un sujet de point de contact [si] les marques médias de référence disparaissent du spectre des consommateurs », a-t-elle ajouté.

Les abonnements payants sont aussi à risque quand les moteurs d’IA accèdent légalement à des contenus protégés pour les exploiter et les distribuer ensuite gratuitement dans leurs résumés et analyses.

Des droits voisins élargis à l’IA ?

Le grand défi consistera à faire entrer dans la chaîne de valeur les agents IA qui exploitent les contenus médias. Plusieurs grandes plateformes – mais pas toutes – se sont certes résolues à verser des droits voisins aux médias, sur lesquels plane d’ailleurs une certaine opacité. Faudra-t-il attendre encore plus de vingt ans avant de voir arriver ces droits voisins élargis ? Et au prix de longues et coûteuses batailles juridiques ?

Après la lutte autour des droits voisins, puis contre l’entraînement des moteurs d’IA en utilisant leurs contenus, les médias sont désormais confrontés au piratage de sites qui répliquent les contenus de presse grâce à l’IA. En France, en mai 2025, l’Alliance de la presse d’information générale (Apig) a réussi à faire bloquer en justice pour 18 mois le site News.DayFr.com qui publiait chaque jour plus de 6 000 articles automatiquement dérobés. Mais, fin novembre, le site Var Actu, soupçonné d’utiliser massivement l’IA pour produire ses contenus, s’est finalement vu accorder le statut de site de presse par la Commission des publications et agences de presse (CPPAP).

La route sera sans doute longue mais certains se montrent plus optimistes que d’autres. « A terme, il faudra un vrai partage de la valeur. Peut-être pas en 2030, mais sûrement en 2050, on aura passé des accords avec les acteurs de l’IA et le droit voisin connecté à l’IA va contribuer vertueusement au financement des médias, a estimé Rolf Heinz. Le patron du groupe L’Equipe voit aussi une autre évolution:

« Une grande partie de la monétisation viendra au travers de la vente d’API éditoriales sur lesquelles les acteurs de l’IA pourront connecter leurs modèles et leurs services. »

Laurent Frisch est résolument plus sceptique : « Trouver les justes équilibres avec les plateformes est nécessaire mais le jeu est extrêmement dangereux car on sait bien que la seule chose dont elles rêvent c’est de n’avoir de compte à rendre à personne et de reverser le moins de droits voisins possible. »

Fin août 2025, Perplexity a voulu envoyer un signal au marché en s’engageant à reverser aux éditeurs 80% des revenus dégagés par son abonnement payant « Comet Plus ».

Jouer collectif

Face à ces nouveaux géants de l’intelligence artificielle, les médias français veulent réussir à peser. Or, à l’échelle mondiale, « un groupe média français, ce n’est pas grand-chose », constate Alix de Goldschmidt : « Nous devons travailler davantage ensemble pour être plus fort face à ces plateformes tech. Les pays du Nord le font très bien. C’est le seul modèle que j’imagine viable en 2050 pour avoir droit au chapitre dans l’évolution de ces usages. » Selon elle, si les médias s’entendent et parlent de concert auprès de ses acteurs, « il sera possible de trouver un cadre autre que réglementaire qui a déjà bien avancé avec le début de la régulation ».

Pour l’heure, ce n’est pas vraiment le cas, ont observé les participants à la table ronde. En France, le groupe Le Monde est souvent accusé de faire cavalier seul… Après avoir noué en mars 2024 un accord avec Open AI, il vient cette fois de sceller début décembre, comme d’autres médias internationaux, un contrat pluri-annuel avec Meta qui encadre l’usage et lui permettra d’être rémunéré quand des contenus seront publiés à partir de contenus issus de ses médias Le Monde, Télérama, le Huffington Post et Le Nouvel Obs.

Diversifier les sources de revenus

En attendant d’avoir trouvé – ou au moins cherché – un terrain d’entente avec toutes les plateformes et avec les acteurs de l’IA, les médias ne baissent pas les bras. « Il faut aller plus loin en termes de créativité économique afin de trouver des moyens pour l’IA ait une valeur ajoutée pour le média. Le retail media continue d’évoluer avec l’IA. Il y a plein d’autres sujets à aller chercher. La diversification de nos sources de revenus est le critère le plus important pour penser 2050 », a affirmé directrice Innovation, IA et Data du groupe M6.

Allez plus loin avec Minted

LA NEWSLETTER

LES ÉVÉNEMENTS

LES ÉMISSIONS