14 décembre 2025

Temps de lecture : 5 min

Les créateurs de contenus : concurrents sérieux pour les médias, après les plateformes et l’IA (manquait plus que ça)

Les créateurs de contenus deviennent une vraie concurrence pour les médias. Sur l'attention, mais aussi sur les budgets publicitaires. Comme si la concurrence des plateformes et de l'IA ne suffisait pas...

La Paris Creator week organisée les 9 et 10 décembre, qu’Influencia a suivi en direct a été édifiant. C’est un moment charnière où la Creator Economy prend une ampleur nouvelle.

Les chiffres sont éloquents :

  • Le marketing d’influence a totalisé 28 milliards d’euros en 2025, à l’échelle mondiale, contre 20,6 milliards en 2024. Cela représente un taux de croissance annuel de plus de 33%.

  • Selon l’étude menée par la Paris Creator Week et l’institut Coherent Market Insights, en France les revenus générés en 2025 s’élèvent à 7 milliards. Cela en fait le 3e marché européen derrière l’Allemagne (7,7 mrds€) et le Royaume-Uni (7,6 mrds €).

  • Et selon cette même étude, ce montant pourrait atteindre 33 mrds€ en 2032, à a raison d’une croissance annuelle d’environ 24%, selon un scénario « probable ».

La force des créateurs : le lien très fort qu’ils ont sur créer avec leur audience

Et ce lien, ils l’ont bâti de longue date ! Je m’époumone depuis très longtemps sur cette relation qu’il faut cultiver avec son public, bien plus importante que les contenus eux-mêmes. Ou sur la nécessité d’écouter davantage son audience

C’est l’un des grands malentendus du journalisme moderne (pas celui des origines) : croire que les gens nous lisent pour la « qualité de l’information ».

D’abord ce terme de « qualité » est piégé et reflète surtout les goûts de celui qui parle. Pour les journalistes d’information générale, une info de qualité est une info intello qui va au fond des choses : des enjeux, du contexte, du pourquoi. Dans la tête d’un journaliste une info de qualité est aussi celle qui a demandé du travail, des efforts. Et oui, on ne s’affranchit pas comme cela de plusieurs millénaires de culture judéo-chrétienne.

En revanche, pour le lecteur lambda, une info de qualité est juste une information intéressante, utile ou plaisante. Le temps passé à la produire n’a aucune importance pour lui. Savoir qu’on peut se faire prescrire un voyage-santé par son médecin ou que telle star people a rompu, c’est une information de qualité.

Ensuite, la relation l’emporte sur le contenu, comme nous l’ont bien démontré les psycho-sociologues de l’école de Palo Alto. Les ados savent ça très bien : ce ne sont pas les futilités qu’on s’échange qui comptent. C’est le prétexte à s’accorder de l’intérêt, de l’attention : à entretenir le lien tribal. Pour se socialiser les singes s’épouillent. Nous on se parle.

Et c’est ce lien que les médias n’ont pas su ou voulu entretenir, et qui explique pourquoi ils ont laissé passer le train de l’influence. Ainsi, de ce jeune journaliste rencontré lors d’une de mes formations qui avait refusé d’éditorialiser les commentaires des lecteurs, car ce n’était que de l’opinion, pas des faits.

Il avait raison, même si les témoignages saisis sur le terrain ne sont pas bien différents. Mais cette façon de considérer le public comme non-sachant et donc de ne pas l’intégrer à la conversation a vraiment desservi les médias.

Et c’est précisément cette place sont les créateurs ont parfaitement réussi à prendre. En demandant leurs avis au public, en leur demandant ce qui les intéresse, en répondant à leurs commentaires, en leur parlant comme à des potes, pas comme à des disciples.

Les créateurs de contenus vont grignoter les budgets de display mais aussi de brand content

Pour rappel, en 2024, le display chez les éditeurs a représenté 557 millions € (versus les 7 milliards de l’économie des créateurs vus ci-dessus). Au premier semestre 2025, les chiffres étaient d’ailleurs en baisse de 5% (voir p. 11)

Et selon l’enquête Kolsquare parue fin novembre 2025, 64% des responsables et agences marketing interrogés considèrent que la co-création de contenus est désormais le format le plus utilisé. Avec des partenariats à long terme pour 59% d’entre eux. Et cela n’est pas anodin : cela signifie qu’une marque (de créateur) remplace potentiellement une autre (média).

Ce, loin devant le « gifting », c’est à dire l’envoi de produits gratuits à des créateurs, en espérant qu’ils vont en parler et de manière positive.

A noter aussi les 55% qui ont recours aussi à l’UGC (user generated content, les micro ou nano-influenceurs).

Quant au paid media, les publications sponsorisées achetées auprès des plateformes, il est plébiscité à 61% et devrait même progresser d’un point en 2026 (62%). C’est évidemment autant de budgets « display » qui ne vont pas dans la poche des médias.

L’intérêt des marques : chercher du reach, de l’engagement et de la sympathie

Les créateurs les plus puissants ont non seulement la puissance, avec des millions de suiveurs sur les plateformes, mais aussi l’engagement grâce aux formats divertissants et au ton proche.

L’avantage de puissance des médias tend à se réduire, voire à s’inverser pour certains créateurs comme Hugo Décrypte et d’autres qui ont des millions de fans : Dylan Page, Johnny Harris, Kovy, Herr Anwalt et V Spehar et tous ceux que j’évoque dans cet article.

Adrien Coussonnet du média local En Vrai ! que j’avais interrogé sur une table ronde à propos de la vidéo, avait bien expliqué l’un de ses atouts décisifs : sa liberté et créativité éditoriale.

Et en effet, on est loin du clip promo ou publicitaire « à la papa ». Dans l’article ci-dessous, je donne quelques exemples d’opérations spéciales réalisées pour des annonceurs locaux. Le choix de l’angle et du format divertissants font aussi leur succès.

Les médias – sauf exception (je pense à des sites habiles comme Konbini ou Les Echos) semblent un peu dépassés par ces formes de story-telling éloignés de leur culture.

Et puis il y a aussi évidemment le problème du mélange entre information et divertissement qui est en soi un danger dont ils ont raison de se méfier.

Mais les marques, elles, ne peuvent qu’approuver de nouveaux espaces où ces barrières s’effacent, et permettent de toucher des publics massifs et jeunes.

La télé, elle aussi, doit se préparer à une concurrence sévère

Gregory Camacho (stratégie Twitch France) a évoqué l’apparition des ligues de sport dans les formats lives, lors d’une table ronde de la Paris Creator Week. Il a cité notamment la KingsLeague comme exemple (compétition de futsal).

Cela rejoint les efforts de Zack Nani qui a racheté les droits du championnat de football saoudien et de l’équipe de France Espoirs.

Verra-t-on la Ligue des Champions diffusée un jour par un influenceur sur son espace ?

👉 Les chiffres fous réalisés par GP Explorer 3 laissent penser que ce rêve n’est pas forcément inacessible

Les créateurs concurrents des marques elles-mêmes ? Ça a déjà commencé aux Etats-Unis

Enfin, et la Paris Creator week a commencé par ça, les créateurs de contenus sont bien décidés à ne pas être que des intermédiaires entre les marques et leur audience.

L’agence – pardon on dit « start up studio » – « Le bon moment » créée par Kyan Khojandi et Donatien Bozon veulent accompagner les créateurs dans le lancement de leurs marques de produits.

Le phénomène st désormais banal aux États-Unis, qui a vu émerger depuis cinq à sept ans les creator-led brands : MrBeast/Feastables, Alani, Poppy, Chamberlain Coffee… Certaines ont même été revendues plus d’1,5 Md$ à des groupes comme Celsius ou PepsiCo.

En France, ça commence avec l’arrivée de quelques marques adossées à des créateurs : Ciao Kombucha, Inshape Nutrition

Comme Donatien Bozon l’a expliqué à Influencia, Il est devenu normal pour un créateur de lancer sa propre marque grand public. Par ailleurs, l’entrepreneuriat est devenu une valeur en soi. Les créateurs remplissent des Zéniths, génèrent du trafic en magasin. D’où « Le bon moment ».

Conclusion : les créateurs de contenus montent en puissance et deviennent des concurrents sérieux des médias historiques, notamment car ces derniers n’ont pas réussi à changer de posture. Les nouveaux médias (Hugo Décrypte emploie une dizaine de journalistes) se structurent, se régulent et se diversifient. Jusqu’à faire de l’ombre aux marques de produits elles-mêmes. Et au risque de créer autant de chapelles de gourous, à léthique parfois très élastique.

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