Marc Feuillée (Groupe Figaro) : “La force de notre groupe, c’est d’avoir su se diversifier pour s’affranchir des aléas de la pub en ligne”


  • Minted a rencontré le patron du groupe Figaro - CCM Benchmark pour faire le bilan sur une année 2022 plutôt fructueuse, en témoigne une hausse du chiffre d’affaires et du résultat opérationnel.
  • L’occasion aussi de revenir sur certains sujets structurants tels que la hausse du prix du papier, les difficultés du marché display ou encore le lancement d’une chaîne de TV et de radio.

Minted. Quel bilan tirez-vous de l’année 2022 ?

Marc Feuillée. L’année a été très bonne, avec un chiffre d’affaires de 570 millions d’euros, qui est en hausse de 15% par rapport à 2021, et  se rapproche du niveau d’activité de 2019, avant la crise sanitaire. Dans le détail, l’EBITDA est stable, à 47 millions d’euros et le résultat opérationnel augmente légèrement de 31 à 33 millions d’euros. C’est tout de même une prouesse quand on sait que le quotidien et ses magazines ont été impactés par la hausse des prix du papier, qui a occasionné un surcoût de 15 millions d’euros l’an dernier.

Le print fait d’ailleurs mieux que se défendre, malgré ces conditions, puisqu’il est à + 6%...

2022 est, effectivement, une très bonne année. Le mérite en revient notamment à l’activité publicitaire qui, pour ce support, a été excellente. Le Figaro Madame fait, par exemple, une excellente année, porté par le luxe et les OPS. D'ailleurs, notre structure dédiée aux OPS, 14H, a réalisé plus de la moitié de ses opérations spéciales sur le print en 2022.

L’exception, c’est le supplément TV, TV magazine, qui était lui déficitaire en 2022…

Oui mais les choses vont changer en 2023 puisque la PQR nous a signifié sa volonté de lancer son propre supplément Diverto. Nous subissons cette décision mais l’arrêt de la collaboration a le mérite de permettre d’équilibrer les comptes du magazine, qui est devenu en début d’année le supplément TV  du Figaro et du Parisien. 

C’est, d’un point de vue édito, également une bonne nouvelle car ça nous a permis de rapprocher la ligne éditoriale du supplément des attentes des audiences du Figaro (les émissions qu’elles apprécient, les programmes qu’elles aiment) là où le deal avec la PQR nous obligeait à être plus grand public.

On a beaucoup parlé des hausses réalisées par les quotidiens de presse papier en début d’année. Le Figaro est, lui, passé de 3,20 à 3,40 euros en kiosque. Un passage obligé ?

C’est symbolique de la crise des journaux imprimés mais je trouve que les médias en ont beaucoup trop fait sur le sujet car, il faut le rappeler, le kiosque c’est à peine 10% de notre distribution. Cette hausse est marginale puisque 90% des lecteurs paient le même prix. Il faut le rappeler car j’ai quand même des abonnés qui m’écrivent pour s’en émouvoir, alors qu’en fait, rien ne change pour eux.

Pour l’instant ?

On voit que les prix du papier commencent, enfin, à baisser et on espère qu’il en sera de même pour l’énergie. Est-ce qu’on reviendra à la situation d’avant, pour autant ? Je ne pense pas. Raison pour laquelle les 15 millions d’euros supplémentaires de 2022 sont encore provisionnés sur 2023.

Ça a encore du sens de considérer le titre papier comme une “business unit” à elle seule ? De se demander s’il est rentable ou déficitaire ?

Pas vraiment. La rentabilité du quotidien imprimé ne se conçoit, aujourd’hui, qu’avec celle du site Internet qui lui est associé. D’abord parce qu’une bonne partie de nos 400 000 abonnés est désormais hybride. Certains sont abonnés digital et reçoivent le quotidien imprimé le week-end uniquement. D’autres consultent la version PDF du quotidien imprimé. Le quotidien doit s’apprécier dans son ensemble et la bonne nouvelle, c’est que notre site reste le premier site d’information en France, selon Médiamétrie et l’ACPM. 

C’est différent pour les magazines qui sont, eux, rentables. Je pense que le point de résistance de la presse papier est sur le week-end alors que le tirage du quotidien est, lui, sans doute condamné à baisser. 

Vous en êtes à 270 000 abonnés purement digitaux. La hausse est de 8% si on raisonne en volume et, surtout, 15%, si on raisonne en termes de revenu par utilisateur (ARPU). Étonnant alors que beaucoup de médias font la course à cette métrique en sacrifiant leur ARPU, notamment via la feature “Suscribe with Google”.

Subscribe with Google joue un rôle minoritaire dans nos recrutements d’abonnés. Nos communications pointent de plus en plus souvent vers notre offre premium à 14,90 euros par mois, qui représente aujourd’hui 35% de nos nouveaux recrutements. Et puis, s’il nous arrive d’avoir une politique de conquête agressive, c’est surtout au moment du réabonnement que nous réussissons à convaincre les abonnés de passer à la formule premium, grâce à une offre enrichie (le PDF, du multi-comptes…).

Ce travail de rétention et d’optimisation des abonnements sera encore une priorité en 2023. Raison pour laquelle nous allons investir dans un outil CRM propriétaire, pour gagner en agilité sur le sujet. Nous testons, en ce moment, une tarification dynamique, avec des prix différents avec et sans engagement sur un an. Un peu comme le fait la SVOD.

La pub papier se porte bien, disiez-vous. Qu’en est-il de la publicité digitale alors que l’observatoire de l’ePub montre que l’activité des sites d’infos a chuté d’un peu plus de 5% au second semestre ?

L’année est effectivement très contrastée. Le premier semestre est très bon, le second est en recul sur un an. Il faut néanmoins relativiser cette performance en se rappelant que la fin de l’année 2021 a vraiment été une période exceptionnelle, aussi bien en termes d’audience que de revenus. L’e-commerce était en plein boom et les investissements des annonceurs ont suivi. 

Le marché a commencé à se retourner en avril-mai. Les audiences de nos sites ont chuté, de même que le coût de nos publicités (CPM). La faute, entre autres, à l’arrêt par de nombreux annonceurs FMCG de leurs campagnes vidéos. Nous réussissons à compenser celà grâce au premier semestre, qui nous a donné pas mal d’avance, et à la résilience de certains secteurs, luxe, mode et beauté, qui sont très friands d’OPS, de dispositifs 360 et d’extension d’audience. Tout cela fait que les revenus publicitaires digitaux du groupe Figaro - CCM Benchmark sont stables sur un an. 

L’Observatoire anticipe un premier semestre 2023 difficile, dans la lignée du second semestre que vous évoquez. On parle d’année glissante et on espère une reprise dès l’été, via notamment la Coupe du Monde de rugby et l’imminence des JO. Vous êtes d’accord ?

C’est effectivement ce que tout le monde répète autour de moi, donc ça doit être vrai ! La performance du marché pub digital, +6% annoncé en 2023, reste, dans tous les cas, plus que correcte au vu de la conjoncture économique.

Etes-vous inquiet, plus particulièrement, pour l’avenir des sites d’informations français, qui sont à -5% au second semestre en display, toujours selon l’Observatoire ePub ? Leur part de marché dans le secteur du display s’est fortement diluée en l’espace de 4 ans…

Je ne suis pas plus inquiet que je ne l’étais il y a quatre ans. Le digital, c’est une histoire de pivot et les médias ont, au sein de cet environnement, toujours fait face au challenge de se réinventer en même temps que les règles du jeu changent. La force d’un groupe comme le nôtre, c’est d’avoir su se diversifier pour s’affranchir de ce genre d’aléas. 

“Il y a deux ans, en plein covid, je m’inquiétais pour le Figaro Madame. Aujourd’hui, c’est l’une de nos locomotives, avec 20 à 25% de croissance. A l’inverse, les sites du groupe CCM Benchmark, qui ont eu une année exceptionnelle en 2021, ont connu des moments plus difficiles cette année d’un point de vue publicitaire.”

Il y a deux ans, en plein covid, je m’inquiétais pour le Figaro Madame. Aujourd’hui, c’est l’une de nos locomotives, avec 20 à 25% de croissance. A l’inverse, les sites du groupe CCM Benchmark, qui ont eu une année exceptionnelle en 2021, ont connu des moments plus difficiles cette année d’un point de vue publicitaire. Enfin, nous sommes un groupe omnicanal. Proposer aux acheteurs des campagnes 360, c’est le meilleur moyen de les empêcher de tomber dans la facilité d’acheter uniquement chez les grandes plateformes en digital.

Reste que bon nombre de groupes médias digitaux sont dans une position difficile. Pourriez-vous vous laisser tenter par une acquisition ?

On est évidemment toujours en train d’observer les tendances du marché. Je vois, par exemple, qu’un Buzzfeed réussit à faire exploser son cours de bourse, simplement parce qu’il annonce tester l’outil d’IA de Chat GPT. Il est évident que tout ce qui pourrait venir renforcer notre positionnement d’opérateur de contenu et de performance est à considérer. 

Mais on a déjà un programme bien rempli pour cette année et il concerne plutôt de la croissance organique, avec 30 millions d’euros qui vont être investis dans les activités éditoriales (mise en place d’un nouveau CMS), commerciales (refonte du CRM), régionales (quatre bureaux à Bordeaux, Lyon, Nantes et Nice) et audiovisuelles ( lancement d’une chaîne de télévision hertzienne, Le Figaro TV, et d’une radio DAB, Le Figaro Radio, qui seront présentées en mars).

Le Figaro qui lance une chaîne de TV et une radio, c’est une vraie mutation...

On ne sait pas de quoi est fait l’avenir de la publicité digitale et des sites de contenus écrits. Il est donc important de se diversifier. L’objectif, c’est de rester la référence de l’information et du contenu à l’horizon 2026, année de notre 200e anniversaire. Pour ça, il faut se transformer, préparer les canaux de distribution de demain : quotidien, magazine, évènements, digital, réseaux sociaux… Et il faut rester pragmatique car, parfois dans le digital, on s’embarque dans des fausses pistes. C’est le jeu. Rien ne garantit que demain, la TV connectée va submerger la TV linéaire. Mais, si c’est le cas, on y sera !