John Lee (Shopify) : "Les NFT sont un outil de fidélisation bien plus efficace que les solutions qui reposent sur des bases de données"


  • John Lee est le directeur des programmes blockchain pour la plateforme de commerce Shopify.
  • De passage en France pour le Paris Blockchain Week Summit 2022, il nous a partagé sa vision du commerce de demain et est revenu sur l’intérêt des NFT pour les marques et les marchands.

Minted. À quand remonte l’intérêt de Shopify pour la blockchain ?

John Lee. Notre plateforme accepte les paiements en crypto-monnaies depuis un moment, novembre 2013 plus exactement, à travers notre réseau de partenaires. Pour ma part, j’ai commencé à travailler sur le sujet lorsque Shopify a rejoint l'initiative Libra en février 2020. Pour nous, c’était l’occasion de prendre part à la conversation sur le sujet, tout en commençant à identifier des façons pour les marchands de tirer parti de ces technologies.

Puis début 2021, pour accélérer dans cette direction, nous avons constitué une équipe dédiée aux programmes blockchain. Celle-ci se compose aujourd’hui de huit personnes. Mais au total, c'est beaucoup plus de monde qui travaille sur la blockchain au sein de Shopify, puisque nous avons des équipes de développement et des équipes produits dédiées à ce sujet.

Fin 2021, vous avez lancé un “NFT Beta Program” pour vos vendeurs. En quoi cela consiste-t-il ?

Il s’agit d’un programme qui permet à tous les marchands de créer et de vendre leurs propres NFT, très simplement, en s’appuyant sur notre écosystème de partenaires. Pendant longtemps, les discussions autour de la blockchain restaient abstraites, avec des projections de ce qu’il serait possible de faire dans le futur. Nous avons voulu créer quelque chose d’activable dès aujourd’hui par les marchands, avec de vrais cas d’usages. 

En tant que plateforme, nous aurions pu nous contenter de laisser la totale responsabilité aux marchands. Mais nous avons tenu à leur proposer, ainsi qu’à leur marques un cadre sécurisant, ce qui est particulièrement important à une époque où l’environnement réglementaire, en Europe comme aux Etats-Unis, est encore très incertain. 

"En passant par notre NFT Beta Program, vendre un NFT revient pour le marchand à vendre un produit classique sur sa boutique"

La grande majorité des marchands et des marques qui vont utiliser nos outils ne sont pas familiers avec l’univers du Web3. Nous avons voulu créer un pont entre les deux mondes, en créant des analogies avec l’e-commerce classique. C’est ainsi qu’en passant par notre NFT Beta Program, vendre un NFT revient pour le marchand à vendre un produit classique sur sa boutique. Par exemple, il n’est pas obligé d’utiliser des crypto-monnaies, ce qui limite les problématiques de conformité. Du côté des acheteurs, nous avons aussi tout fait pour lever un maximum de frictions, afin qu’acheter un NFT soit aussi simple qu’un achat e-commerce classique.

Qui sont les vendeurs qui commercialisent des NFT via Shopify ?

Nous avons récemment eu un drop du fabricant de figurines Superplastic qui passait par notre plateforme. C’est un bon exemple, parce que l’équipe de Superplastic est déjà très familière avec l’univers du Web3 et des smart contracts, ils savaient exactement ce qu’ils voulaient faire avec leurs NFTs. Un autre exemple intéressant est celui du brasseur AB-Inbev, avec le projet “Bud Light N3XT Collection”, qui accompagnait le lancement de sa première bière sans glucide. 

Et puis nous avons aussi des marques purement Web3, comme le projet Doodles, qui a organisé un “drop” avec notre plateforme, et dont nous étions partenaires à SXSW. Donc nous avons des marques d’intérêt aussi bien de la part des marques classiques que des communautés Web3.

Au-delà de la vente de NFT, vous misez également beaucoup sur le “gated commerce”, qui consiste à donner accès à des produits ou des contenus uniquement aux possesseurs de certains NFT…

Le “gated commerce” est seulement un point de départ… Jusqu'à présent, les tokens ont été sous-utilisés, car c’est la DeFi [Finance Décentralisée] qui a pris le dessus et capté toute l’attention. Mais on peut faire beaucoup plus de choses avec les tokens, notamment en les programmant. 

Les NFT sont aussi un formidable outil au service de la fidélisation, bien plus efficace que les solutions traditionnelles qui reposent sur des bases de données, voire des tableurs Excel. D’ailleurs, quand je parle de NFT à ma mère, je ne parle pas de technologie : je parle de “membership”. Nous permettons par exemple à nos vendeurs de pratiquer des “airdrops”, pour distribuer gratuitement des NFT à leur base de clients. 

L’écosystème est pourtant contraint par l’absence de standardisation et d’interopérabilité. N’est-ce pas un problème à résoudre avant d’envisager une adoption plus large ?

Chaque blockchain a en effet des caractéristiques techniques différentes. Nous avons fait le choix d’être agnostique et par là même de contribuer à la standardisation du marché. Nous considérons que ce n’est pas à nous de dire aux marchands quelle blockchain ils doivent utiliser. Ce positionnement nous permet de travailler avec tout le monde et d’avoir cette discussion. Sur nos trois sujets (création/commercialisation de NFT, gated commerce et airdrop), nous sommes en train d’établir une base de standards communs, que nous allons rendre publics.  

Nous tenons aussi à mettre nos différents partenaires autour de la table pour qu’ils échangent ensemble autour de leurs enjeux communs. Beaucoup d’acteurs du secteur sont concentrés sur leurs développements et leurs problématiques à court terme, sans avoir le temps de prendre du recul sur les enjeux à long terme, qui concernent toute l’industrie. Nous pouvons être la plateforme qui permet à l'écosystème de discuter. 

Quels sont vos défis du moment, que ce soit en matière de standardisation ou d’adoption des NFT et de la blockchain ?

Déjà, il faudrait que la communauté se mette d’accord sur une définition commune de la blockchain, car il n’y a actuellement pas de définition partagée. Dans ces conditions, comment quelqu’un étranger à notre univers peut-il comprendre ce qu’on fait ?

 "Il faudrait que la communauté se mette d’accord sur une définition commune de la blockchain, car il n’y a actuellement pas de définition partagée"

Au quotidien, notre défi principal est lorsque les marchands et les partenaires arrivent avec une vision préconçue de la blockchain et des NFT. Une première étape est donc de s’assurer que nous avons une base de conversation commune - qui passe par exemple par la compréhension du fait que les standards sont différents selon les plateformes et les blockchains utilisées.

Il y a donc un grand sujet d’éducation, à la fois des partenaires, des vendeurs et des acheteurs. Aujourd’hui, personne ne s’intéresse au protocole TCP/IP : la blockchain sera un succès lorsqu’on ne parlera plus de blockchain ou de NFT. Elle sera partout et personne ne se posera la question de comment elle fonctionne.