Pierre Harand (fifty-five) : “En 2022, nous avons doublé notre chiffre d'affaires aux Etats-Unis, qui est devenu notre second marché"


  • Minted a rencontré Pierre Harand, coprésident et associé de fifty-five, pour faire le point sur l'activité de ce spécialiste de la data marketing.
  • Nous en avons profité pour évoquer la stratégie de croissance de fifty-five et ses chantiers structurants, tels que le marketing mix modeling et le RSE.

 

Minted. fifty-five affiche une croissance de 31% sur l’année 2022, qui tranche avec le contexte économique difficile et les performances relativement décevantes du marché de la communication. Quels ont été vos leviers de croissance ?

Pierre Harand. C’est d’abord le fruit de nos investissements à l’international puisque nous faisons x2 aux Etats-Unis, qui est devenu notre deuxième plus gros marché, avec pas loin de 20% de notre chiffre d’affaires qui y est réalisé. Cela vient aussi de notre capacité à répondre aux enjeux des annonceurs, dans cette époque hyper changeante, que ce soit avec l’implémentation de modèles de marketing mix modeling chez les annonceurs (nous avons eu 8 projets de ce genre dans le monde en 2022) ou le déploiement de plans de taggage server-side pour rendre leurs solutions d’analytics compatibles avec les exigences de la Cnil.

Le marketing mix modeling signifie la fin de l'attribution au last click et l’arrêt de collaboration avec des plateformes un peu black box qui collectent historiquement les données des annonceurs et lui restitue les résultats via des slides Powerpoint, sans qu’il ait la main là-dessus. Désormais, tout est stocké dans le cloud de l’annonceur, alimenté par des sources de données on et off, en toute transparence et avec de la granularité.

On a beaucoup parlé d’une année à deux vitesses, avec un premier semestre dynamique et un second qui l’était beaucoup moins. Ça a aussi été votre cas ?

Pas vraiment non ! Notre principal frein à la croissance, ça a, en réalité, été la difficulté à trouver les talents nécessaires. Autrement dit, des gens qui sont bien formés et qui correspondent à nos critères. Le secteur est devenu plus concurrentiel.

Ça rend votre volonté d’atteindre les 1 000 collaborateurs d’ici 2025 d’autant plus ambitieuse, alors que vous en comptez aujourd’hui un peu moins de 500…

C’est sûr et c’est la raison pour laquelle nous allons continuer à investir dans la formation et, pourquoi pas, dans la création de hubs au sein de nouveaux marchés. C’est ce que nous avons fait avec l’acquisition de DP6, qui est l’un des leaders de la data marketing au Brésil et qui gère désormais certains de nos projets en Europe, pour les raisons de manque de ressources que j’évoquais plus haut. Avant, on parlait d’offshoring pour trouver des talents à bas prix, maintenant on le fait pour en trouver tout court. Nous allons essayer d’industrialiser cette approche.

Vous avez déjà identifié des pays cibles ?

Pourquoi pas en Asie, dans des  pays comme le Vietnam. Mais le problème, c’est qu’il est difficile d’y trouver des partenaires adéquats. Il faut trouver une entreprise qui a le même positionnement, les mêmes compétences, la même culture. C’était le cas de DP6 qui est partenaire de Google, Meta ou Salesforce au Brésil, sur des grands comptes. Au Vietnam, nous n’avons pas vraiment trouvé d’équivalent et c’est d’ailleurs vrai pour la plupart des marchés que nous explorons. Il y a de moins en moins d’acteurs locaux intéressants.

Pourquoi ? 

Parce qu’ils se font racheter ou qu’ils grossissent, eux-mêmes, à l’international. Raison pour laquelle un développement organique, via l’ouverture de nouveaux bureaux, est plus probable désormais. On pense au continent africain et je ne serai pas plus précis pour éviter de donner des idées à mes concurrents ! Il y a également l’Asie du Sud-Est, notamment Singapour et la Corée du Sud où nous avons des clients...

Comment s’annonce 2023 pour fifty-five ?

C’est sûr que ça va être une année particulière. Jamais, en 13 ans d’existence, nous n’avons été confronté à autant d’incertitudes. Ceci étant dit, ça se présente plutôt bien pour l’instant. Il n’y a pas vraiment d’inflexion dans la quantité des projets présentés. En tout cas pas en France car c’est un peu le cas au Royaume-Uni et aux Etats-Unis.

Ce n’est pas une surprise car ce sont des marchés beaucoup plus réactifs, qui accusent le coup beaucoup plus vite quand arrive une période de contraction, et repartent, à l’inverse, beaucoup plus vite quand ça va mieux. Mais c’est sûr que cela présage d’un ralentissement inéluctable en France.

Il y a aussi la Chine, où la situation revient enfin à la normale.

C’est, selon moi, l'événement économique de l’année. Une bonne partie de nos équipes étaient à l’arrêt, covidées, en début d’année. On voit que tout rouvre entre Shenzhen et Hong-Kong. Cela fait deux ou trois ans que notre croissance s’y était tassée, aux alentours des 30% chaque année. J’espère que cela redonnera un coup de boost à notre activité.

2023 va-t-il être une année structurante pour préparer la fin des cookies tiers ?

Sans doute, on voit que les projets de marketing mix modeling s’accélèrent. Tout comme ceux liés aux clean data rooms, sous l’impulsion, notamment du retail media, qui permet aux retailers d’optimiser leurs données first party. Il y a plein de choses à faire même si je reste un peu étonné par l’attentisme des annonceurs, qui semblent être nombreux à attendre le dernier moment, pour bouger sur cette question de la fin des cookies tiers. 

Vous parlez de retail media, on ne vous entend pas beaucoup sur ce sujet devenu très hype…

C’est vrai, nous ne sommes pas très vocaux. Beaucoup moins en tout que les agences médias qui essaient de le préempter. Ce qui est bien normal dans la mesure où elles pilotent la plupart des budgets médias. De notre côté, nous nous positionnons plutôt côté retailers, pour les aider à construire l’infrastructure, mettre sur pied leur offre et la rendre opérationnelle. Le marché est pour l’instant resté dans des set-ups très basiques, avec un branchement à des technologies comme Criteo et pas beaucoup plus. Cela devrait changer. 

Et puis, il y a le RSE, l’autre grand sujet de communication du moment.

On ne peut pas nous taxer d’opportunisme là-dessus puisque nous avons publié une étude sur le sujet, il y a deux ans. Nous voulons accélérer en 2023, avec le lancement d’une offre RSE, qui nous voit accompagner les clients sur l’analyse carbone de leurs activités digitales. Nous nous engageons à intégrer un volet RSE dans 100% des projets d’ici fin 2024.

Avec quels outils ?

Pas les nôtres, puisque nous ne vendons pas de la techno propriétaire mais un savoir-faire techno que nous appliquons aux solutions de nos clients. C’est d’ailleurs ce qui nous permet de nous rendre compte que l’industrie n’est pas prête pour mesurer précisément tout celà.

Pourquoi ?

“Trop de données clés manquent encore pour avoir une mesure fiable de l’impact carbone des campagnes médias”

Il y a aujourd’hui nombre de données clés qui ne sont pas accessibles via les plateformes. Nous n’avons jamais le nombre d’intermédiaires sollicités dans le cadre d’une campagne, par exemple. On parle beaucoup de SPO à des fins financières, c’est aussi un vrai axe de progression sur le sujet RSE. Un autre exemple, c’est le poids des créations pub vidéo, qui n’est jamais documenté dans les plateformes d’achat.

Pourriez-vous pousser cet engagement jusqu’à refuser de travailler pour une compagnie aérienne, un pétrolier ou autre ?

Non ! Car je pense que le sujet est beaucoup trop complexe pour que l’on puisse se contenter de pointer du doigt une ou deux entreprises coupables. Je pense que nous sommes tous concernés et que nous devons tous, à notre niveau, changer notre mode de vie et de consommation. Mais ce n’est pas si simple. Regardez le sujet des véhicules électriques. Nous ne sommes, pour l’instant, pas en mesure de remplacer le parc thermique existant. Parce que ça coûte beaucoup plus cher d’acheter un véhicule électrique et que tout le monde n’a donc pas les moyens. Parce que le parc des bornes de recharge n’est pas assez dense.