Clément Bascoulergue (IAS) : “L’attention publicitaire ne pourra pas servir de monnaie d’échange tant qu’on ne lui aura pas défini de standards”


  • La visibilité est-elle condamnée à être ringardisée par ce nouveau KPI qu'est l'attention ? C'est le sujet de notre échange avec Clément Bascoulergue, le patron France d'IAS, spécialiste de la mesure de la qualité d'une impression publicitaire. 
  • Un dirigeant qui rappelle l'importance pour le marché de s'appuyer sur des standards, dont manque cruellement l'attention, et les dangers pour l'Open Web d'aller sur un KPI que les GAFA ne s'appliquent pas. 

Minted. Longtemps garde-fou de la qualité publicitaire, la visibilité nourrit aujourd’hui pas mal de critiques. Pas assez discriminante, trop facilement contournable par les éditeurs…  Craignez-vous que ce KPI sur lequel IAS a construit son succès devienne ringard ?

Clément Bascoulergue. Eh bien non ! Déjà parce que c’est le seul indicateur de mesure de la qualité publicitaire qui soit disponible partout, quel que soit le device ou la plateforme, y compris chez les GAFA, et qu’en plus, il bénéficie de standards clairs puisqu’on considère qu’une impression est visible à partir de 50% de la création affichée plus d’une seconde pour le display, deux secondes pour la vidéo. 

Quel autre KPI de mesure de la qualité d’une impression est dans ce cas de figure ? Aucun. Certainement pas l’attention, dont les nouveaux défenseurs aiment à taper sur la visibilité.

Alors oui, on peut estimer que les standards existants ne sont pas suffisants, comme le font d’ailleurs certains depuis un petit moment déjà. Mais ils ont le mérite d’exister. Et surtout, il faut rappeler qu’ils font référence à un plancher, pas un plafond et que, dans la réalité, une impression visible est affichée beaucoup plus qu’à 50%. Nombreux sont, d’ailleurs, les agences médias et annonceurs qui travaillent sur des normes de visibilité plus exigeantes, avec plus de surface et de temps d’exposition.

Le vrai problème n’est-il pas plutôt que la visibilité n’englobe pas deux critères très discriminants : la taille de la bannière et l’encombrement publicitaire. C’est factuel, facilement mesurable, et pourtant peu pris en compte. Les éditeurs, qui multiplient les players sticky, dont la taille se réduit en même temps qu’ils se ferrent en bas à droite de l’écran, l’ont bien exploité à leur avantage…

C’est normal que les régies s’outillent pour optimiser la commercialisation de leur inventaire publicitaire en fonction des KPI regardés par les acheteurs. Je dirais même que c’est le jeu. Mais, je vous rassure, une agence ou un annonceur voit vite la différence entre un pré-roll et un player sticky. Notamment au niveau du prix qu’elle débourse pour l’acheter car ce ne sont pas du tout les mêmes CPM. 

C’est du médiaplanning de base quoi et ça n’empêche pas de se poser des questions évidemment. Du genre, est-ce que la diffusion d’un spot publicitaire en catch-up, dont la vue est forcée puisque l’internaute ne peut pas le skipper, est vraiment vertueuse ? En tout cas, est-elle plus vertueuse que celle d’un format sticky, qui accompagne la lecture ? Pas sûr. De la même manière que je préfère payer pour un format sticky que pour un gros masthead qui restera peu de temps à l’écran. 

Encore une fois, la visibilité, elle a des défauts mais elle a le mérite d’être standardisée. Ce qui en fait une très bonne monnaie d’échange. Mais le juge de paix d’une campagne, ça doit plutôt être la durée d'exposition publicitaire car c’est elle qui a un impact sur l’efficacité de la campagne. Cela fait un moment que l’on travaille sur ce KPI, avec notamment des tests menés auprès de panels Médiamétrie, pour voir quels uplifts de mémorisation on obtient selon les durées d’exposition.

Vous allez lancer un score d’attention au sein de votre plateforme à partir du troisième trimestre. Comment allez-vous vous y prendre ?

Ce score s’appuiera sur trois dimensions : la visibilité, qui reste importante, la situation, qui intègre les deux variables que nous avons évoquées (taille de la création et encombrement publicitaire) et les interactions générées par cette création publicitaire. A défaut de pouvoir nous appuyer sur un standard, puisqu’il n’y en a toujours pas pour l’attention, nous allons essayer d’être le plus transparent possible sur les modalités de calcul de ce score. C’est primordial car nous jouons un rôle important dans les négociations entre acheteurs et vendeurs, puisque les données que nous remontons servent de juge de paix. Et nous ne voulons pas qu’un indicateur opaque serve de base aux discussions commerciales. 

C’est-à-dire ?

Je vois mal un acheteur dire à une régie qu’il va arrêter d’acheter chez lui car il est, selon les critères d’IAS, moyennement encombré alors que cet acheteur ne veut que des sites peu encombrés. Encore une fois, c’est un sujet de standard. On en a sur la visibilité, la fraude ou la brand safety. On n’en a pas encore sur l’encombrement publicitaire et c’est un frein. J’en veux pour preuve le fait que c’était une information accessible au sein de notre plateforme depuis 9 ans. Un acheteur voyait si le site était peu encombré, moyennement encombré ou très encombré. Mais nous avons enlevé cette information de la plateforme car personne ne l’utilisait. 

C’est peut-être aussi un problème de mise en avant de l’information non ?

C’est vrai que les gens ont du mal à utiliser des informations qui ne sont pas agrégées. Mais, et je n’en démords pas, les acheteurs ont besoin de se baser sur des standards. Tant que l’encombrement publicitaire n’en a pas, ça reste une information à intégrer en tant qu’insight post-bilan… mais certainement pas un levier de négociation.

Qui pour lui trouver un standard ?

Peut-être à l’IAB et au MRC, comme ils l’ont fait pour la visibilité. Voire à la WFA, comme avec la brand safety. C’est, dans tous les cas, aux acheteurs et aux vendeurs de se mettre d’accord et à IAS de s’adapter à ce qui aura été décidé.

Et alors ça avance ?

Disons qu’il y a des échanges… mais qu’ils ne sont pas encore très avancés ! Certains poussent pour aller jusqu’à intégrer l’eye tracking, pour bien mesurer l’attention publicitaire. D’autres qui s’y opposent, au motif que c’est peu industrialisable. Un standard, c’est un compromis entre un acheteur et un vendeur. Je ne pense pas que les régies acceptent qu’on intègre l’eye tracking… Il est probable qu’on arrive à un entre-deux, comme ça a été le cas pour la visibilité.

Vous allez en faire de l’eye tracking vous ?

Nous discutons avec des spécialistes de la pratique pour proposer à nos clients qui le veulent d’intégrer cela en post-test mais aussi pour nourrir notre modèle prédictif d'attention. Ça devrait être “on” au cours du troisième trimestre.

Quid de faire de l’attention une variable d’optimisation pré-enchères ?

C’est prévu. Nous associerons à chaque URL un score d’attention, qui sera défini par tranche, et prédictif, si l’URL nous est inconnue. 

“J’ai peur que l’Open Web se tire une balle dans le pied en allant sur un KPI, l’attention, qui n’est pas considéré par les GAFA”

Une bonne nouvelle donc ?

Sans doute mais attention toutefois. Mon inquiétude, c’est que l’open web continue à augmenter la barre alors que les walled gardens restent, eux, loin de ces considérations. On peut se demander si l’Open Web ne scie pas la branche sur laquelle il est assise en s’auto-saisissant du sujet de l’attention alors que Facebook, TikTok et consorts ne le font absolument pas. Ou alors à leur propre sauce. Plus une régie augmente ses KPI, plus elle se met en difficulté…