Dooh : pourquoi le programmatique n’est pas (encore) en haut de l’affiche


  • Le programmatique DOOH, il y a ceux qui en parlent (ils sont nombreux) et il y a ceux qui en font (ils le sont beaucoup moins). Le mode d’achat préféré du Web peine à s’imposer dans le monde de l’affichage. C’est le constat fait par Minted, chiffres à l’appui.

Le programmatique représente entre 1 et 3% des investissements DOOH de trois des plus grosses agences médias du marché : Publicis Media, Havas Media Network et IPG Mediabrands. Investissements qui représentent, eux-mêmes, à peine un quart des budgets que ces trois agences consacrent à l’affichage extérieur (OOH). Une paille donc.

C’est un peu étonnant pour le pays qui a vu naître un des premiers DSP spécialistes du DOOH, Displayce, et le tout premier SSP lancé par un géant de l’affichage, en l’occurrence VIOOH de JC Decaux. Un pays qui reste donc, sur le sujet du programmatique DOOH, “loin de la maturité de marchés comme le Royaume-Uni ou l’Allemagne”, à en croire Mehdi Aroussi, senior director global partnerships chez Azerion, maison-mèrmee de Hawk, un des premiers DSP généralistes à être allés sur ce segment de marché. 

“Cela fait maintenant deux à trois ans que l’on pilote des campagnes mais c’est vrai que ça a du mal à prendre de l’ampleur”, reconnaît Théo Fontenit, head of OOH et DOOH chez Havas Media Network. Un expert qui dépeint deux cas de figure, quand on parle de programmatique DOOH : les campagnes pilotées par son pôle, souvent des budgets tests de 20 à 40 000 euros, et celles qui sont gérées par les équipes trading du pôle digital, parce qu’en provenance de campagnes internationales.

Les premières transitent par Displayce, les secondes par des DSP généralistes, type The Trade Desk ou Hawk. Ces derniers se branchent à la supply via des SSP. Dans les deux cas, on est sur des “deals”, qui voient acheteur et vendeur se mettre d’accord sur un CPM (mais sans contrainte de dépense minimum). Peu, voire pas du tout, d’open auction. 

Le programmatique DOOH reste avant tout, pour les régies, un moyen de rendre leur inventaire plus accessible. Qu’il s’agisse de faire sauter les tickets d’entrée du gré à gré, d’être achetable par des annonceurs aux quatre coins du monde ou de rendre ses écrans “adressables”, grâce à la data et la DCO. Le sujet du “yield”, soit l’optimisation de la demande, reste très bourgeonnant. “Les régies ont eu longtemps un seul partenaire SSP, même si certaines commencent à faire jouer l’émulation entre VIOOH, Broadsign ou Hivestack”, note Mehdi Aroussi. 

Côté annonceurs, la promesse est la même que celle qui a irradié le Web, il y a une dizaine d’années : basculer du media planning à l’audience planning. Le mode d’achat permet aux marques de sélectionner les écrans les plus appropriés, en s’appuyant sur la data (notamment la data mobile d’Adquare) pour, par exemple, cibler les écrans dans le périmètre d’attraction desquels les intentionnistes auto sont particulièrement présents. En le faisant à des horaires bien spécifiques et en fonction d’évènements temps réel, dans une logique de DCO. Par exemple, une création pub qui s’adapte au résultat d’un évènement sportif ou à la provenance des vols dans un aéroport. 

“Le programmatique permet au DOOH de coller au consumer journey, résume Marie Gaestel, associée chez Displayce. Il permet, concrètement, à un annonceur de calquer la diffusion de sa campagne sur les déplacements de sa cible : transports le matin, indoor et magasins, le midi, transports et outdoor, le soir.” Pour résumer, plus besoin d’acheter tout le réseau d’un afficheur, vous ne gardez que les écrans qui vous intéressent. 

"Toute la question, c’est de savoir si c’est plus pertinent d’acheter 50 écrans très affinitaires au prix de 100  non ciblés”

Alléchant, forcément. Mais tout cela a un prix. Parce que les régies historiques (JCDecaux, Giraudy, Cityz, Mediatransports et Phénix) affichaient au lancement de leur offre programmatique des CPM 30 à 40% plus élevés que ceux du gré à gré (une majoration qu’elles justifient par le fait de casser des lots). Et qu’il faut ajouter à cette surtarification tous les fees liés à la machinerie programmatique : commissions de SSP et DSP, frais éventuels de data tierce et marge agence qui est plus importante qu’en gré à gré. 

De quoi alourdir sensiblement l’ardoise, même si Théo Fontenit précise que la plupart des régies historiques ont progressivement revu leur politique de tarification, en l’alignant sur celle de la vente en réseau. Et de quoi réfréner les ardeurs d’acheteurs OOH chez lesquels les réflexes du “mass media” ont parfois la vie dure. “Toute la question, c’est de savoir si c’est plus pertinent d’acheter 50 écrans très affinitaires au prix de 100 non ciblés”, pose Théo Fontenit. Pas évident de répondre quand on a été biberonné au reach et à la répétition.

“On a, pour l’instant, du mal à justifier le choix du programmatique quand on fait du 100% DOOH”, reconnaît Théo Fontenit. Un dilemme qui fait beaucoup penser à celui que rencontrent les acheteurs de TV segmentée au moment de passer par le programmatique (ou non). Même si, en TV segmentée comme en DOOH, le recours à ce mode d’achat a un autre avantage de taille : la flexibilité. Pas besoin de ticket minimum - en théorie du moins car, en réalité, le marché est drivé par le programmatique garanti. Et possible d’arrêter les frais, si une campagne ne marche pas, ou de corriger le tir, pour l’optimiser. 

Alors, où trouver de la croissance ? “Si on résume le DOOH programmatique à ‘il fait 35 degrés, profitons-en pour diffuser des pubs de glace’, on n’ira pas très loin”, prévient Théo Fontenit. Oui, la mécanique du triggering, qui permet de conditionner l’affichage d’une campagne DOOH à un paramètre extérieur (la météo ou un résultat sportif, par exemple) est un parfait exemple de la flexibilité qu’apporte le programmatique. Mais elle aura, à en croire l’expert, un impact beaucoup trop marginal pour alimenter la révolution. 

 “Si on résume le DOOH programmatique à ‘il fait 35 degrés, profitons-en pour diffuser des pubs de glace’, on n’ira pas très loin”

“Pour que le programmatique DOOH explose, il faut que ce dernier s’inscrive dans une stratégie plus globale, multi-screens”, estime Théo Fontenit. Ils sont nombreux à faire le constat et à déplorer qu’à date, les campagnes DOOH gérées par les cellules trading des agences médias dépassent trop rarement les quelques milliers d’euros. 

Comment faire changer les mentalités ? “Ça doit venir des agences car les annonceurs s’y intéressent pour le moment assez peu dans leurs briefs”, estime Diariata Anne, directrice OOH et presse chez IPG Mediabrands. “A nous, cellules OOH, de les sensibiliser un peu mieux au sujet pour que, quand elles rentrent un brief, elles pensent à intégrer du DOOH dans leur plan média”, suggère Théo Fontenit. Et de vanter les vertus des couplages VOL et DOOH qui permettraient, au second, de valoriser des tarifs qui, mis en perspective avec ceux du digital, restent très compétitifs. 

“La croissance viendra des BU digitales car c’est plus facile pour ces dernières de comprendre les spécificités du DOOH que, pour les cellules OOH, de comprendre celles du programmatique”, estime un acteur du secteur. Marie Gaestel en est également convaincue même si elle fait, de son côté, un bilan beaucoup plus positif de la situation. “La croissance est là ! On a géré près de 1 000 campagnes en France en 2023 et on sent un vrai engouement auprès de nouvelles typologies d’annonceurs : dans le tourisme, le luxe, la mode, les FMCG.” Et de citer la publication “State of the Nation” de VIOOH qui révèle que 41% des annonceurs interrogés veulent inclure du programmatique dans leur stratégie DOOH. “

Les régies sont encore nombreuses à privilégier le gré à gré, parce que ce dernier leur offre une meilleure visibilité sur les revenus qui seront générés

Pour que ces derniers joignent les actes à la parole, certaines choses devront néanmoins changer. Du côté des régies d’abord. On a parlé du CPM facial, qui est moins un sujet aujourd’hui. Mais certains réflexes ont la vie dure. Oui, toutes les régies historiques ont basculé l’intégralité de leur inventaire DOOH en programmatique (Mediatransports a été le dernier à le faire). Mais elles sont encore nombreuses, à en croire Mehdi Aroussi, à “privilégier le gré à gré, parce que ce dernier leur offre une meilleure visibilité sur les revenus qui seront générés.”

“L’arrivée du programmatique garanti, qui s’accompagne d’un engagement de budget par l’acheteur, permet d’y remédier”, remarque Mehdi Aroussi. Le mode d’achat a gagné en popularité à mesure que les JO de Paris approchent et, avec eux, une concurrence beaucoup plus dense. Il rassure les régies... mais aussi les annonceurs puisque, comme le note Anne-Laure Padrines, head of OOH et event chez Publicis Media, "cela leur garantira d'atteindre le niveau de répétition et de couverture suffisant pour assurer l’efficacité de la campagne.”

Un inventaire qui reste encore relativement faible

L’autre sujet, plus compliqué à “cracker”, c’est celui de l’inventaire. On parle d’environ 60 000 écrans DOOH compatibles sur un patrimoine total… de 500 000 faces OOH. Des écrans DOOH sont, pour la plupart, en indoor et dans des grandes agglomérations.  Leur répartition n’est donc pas vraiment représentative du patrimoine national. “Ce qui cantonne, pour l’instant, le DOOH a des campagnes tactiques”, ajoute Diariata Anne. Et ce qui fait dire à Nicolas Benoit, GM d’In-Store Media France, acteur qui commercialise le parc d’écrans DOOH des magasin Leclerc, que “le DOOH in-store souffre peut-être d’appartenir à un segment qui est vu comme du mass media, sans lui-même en être vraiment un.” 

C’est un fait, le DOOH peine à investir nos rues, la faute à la réglementation sur la publicité extérieure (RLP). Seuls les écrans digitaux affichés derrière les vitrines (et donc considérés comme in-store) permettent, de fait, de toucher les rues en programmatique. Et, seuls Carrefour, Monoprix, Marionnaud et le réseau de commerces de proximité de Phénix (1 600 écrans urbains) ont, sur ce sujet, un inventaire conséquent. 

Pour le reste, c’est surtout de l’indoor, un environnement pour lequel on manque de data fiable, à en croire Anne-Laure Padrines. “C’est compliqué d’obtenir de la donnée SDK fiable quand vous voulez construire un plan DOOH drive to store pour un magasin présent dans un centre commercial.” Tout simplement parce que la data que l’on vous donne correspond à la zone d’attraction du centre commercial, plus que celle du magasin qui y est présent. “Je suis prête à payer plus pour de la data mais encore faut-il qu’elle en vaille la peine”, pose Anne-Laure Padrines.

L’autre enjeu, c’est l’arrivée d’une mesure unifiée, comme celle qui existe déjà pour le OOH. “Chaque acteur DOOH a sa propre méthodologie de calcul quand vient le moment de communiquer sur l’efficacité d’un écran”, rappelle Anne-Laure Padrines. Même si ces méthodologies sont validées par le CESP, cela donne parfois le sentiment à l’experte de comparer des choux et des carottes. 

“J’ai l’exemple de deux régies, une dans des touts petits centres commerciaux, un autre dans des centres beaucoup plus grands, qui revendiquaient des performances similaires, tout simplement parce que la première était beaucoup plus généreuse sur le ratio ‘passant - spot vu’. “Cette hétérogénéité dessert beaucoup plus le programmatique, qui permet d’acheter plusieurs régies en même temps, que le gré à gré où les achats se font le plus souvent régie par régie”, précise Nicolas Benoit. 

Cela ne sera bientôt plus le cas. Mobimétrie vient de communiquer sur une nouvelle mesure de l’audience OOH. “Elle est déjà opérationnelle pour l’outdoor. L’indoor est dans la feuille de route”, déclare Anne-Laure Padrines. Forcément une bonne nouvelle même si, comme le rappelle Mehdi Aroussi, “le sujet n’est pas réglé en Allemagne sans que cela ne bloque les investissements.”

Si les débuts sont poussifs, tout le monde semble vouloir y passer, vendeurs comme acheteurs. “C’est un levier que l’on veut pousser car on sait que c’est le futur de notre métier”, assure Théo Fontenit, qui rappelle que “le DOOH est un des rares médias, avec le digital pur, qui est en croissance.” "Chez Hawk on y croit à fond et l'international nous montre le chemin, même si on a du retard par rapport à certains pays, abonde Mehdi Aroussi. Les chiffres montrent d'ailleurs une réelle progression, avec des activations récurrentes et des budgets de plus en plus importants."

“On a plus de 35 000 écrans achetables auprès de 30 régies différentes en quelques clics pour la France, chiffre de son côté Marie Gaestel. C’est aussi un moyen pour des annonceurs de la moyenne - longue traîne de s’acheter des écrans jusque-là inaccessibles, à Times Square ou à l’Aéroport de Hong Kong.” Et c’est, à en croire Nicolas Benoit, le principal intérêt du programmatique : “répondre au besoin de centralisation des cellules achat et marques.

Le géant américain Vistar Media arrive en France début mai

Théo Fontenit y voit, lui, un vrai gain de productivité dans la gestion des campagnes. Sur le DOOH… comme sur l’OOH puisque certains DSP, comme Displayce et Hawk, planchent déjà sur le sujet. “Nous sommes intégrés avec deux SSP qui sont branchés à de l’inventaire OOH en Allemagne, précise Mehdi Aroussi.  Cela permettra aux acheteurs de piloter depuis une même plateforme campagnes OOH et DOOH et, ce faisant, de mesurer l’incrément de performance apporté par le premier.”

Preuve que le marché français est prometteur, un géant du DOOH programmatique va bientôt s’installer dans l’Hexagone. La plateforme Vistar Media, qui a été fondée par l’un des fondateurs de Doubleclick et qui réalise près de 300 millions de dollars de revenus à l’international, vient de recruter son country manager France. Ce dernier devrait prendre ses fonctions fin avril et permettre à Vistar Media, qui est déjà présent au Royaume-Uni, en Allemagne et aux Pays-Bas, d’asseoir son positionnement en Europe.