4 questions pour le marché pub en 2024


  • Les JO vont-ils catalyser ou siphonner les budgets publicitaires ? Et si le marché pub était finalement “flat” ? A qui vont vraiment profiter les croissances du retail media et de l’Avod ?

  • Plutôt que de se livrer à l'habituel exercice de prédictions / tendances, Minted a décidé de poser les questions qui fâchent en ce début d'année.

Les JO vont-ils catalyser ou siphonner les budgets publicitaires ? 

“Sportif !” Pierre Calmard, président de Dentsu France, n’hésite pas bien longtemps lorsqu’on lui demande s’il a un mot pour résumer 2024. Une année sportive donc, avec deux évènements majeurs, les JO de Paris et l’Euro 2024, qui devraient, à en croire le dirigeant et nombre de ses pairs, avoir un impact sur la croissance de notre marché. 

Dentsu estime ainsi que les JO devraient, à eux seuls, générer 200 millions d’euros d’investissements publicitaires supplémentaires cette année. “Le sport véhicule des valeurs positives et consensuelles qui attirent évidemment les marques, lesquelles ont tendance à surinvestir ce type de rendez-vous”, rappelle Pierre Calmard. 

Son homologue de chez Publicis Media, Gautier Picquet, ne dit pas autre chose au moment d’évoquer “un évènement centenaire qui n’arrive qu’une fois dans une vie et qui suscite autant d’émotions qu’il booste la consommation.” Avec, en ligne de mire, “un coup de fouet qui devrait profiter à tout le secteur.”

Compter entre 50 et 100% d’inflation pour deux des médias qui vont le plus profiter de l’audience drainée par l’évènement : la télévision et l’affichage extérieur (OOH)

Les partenaires médias de ces rendez-vous en ont bien conscience, qui communiquent depuis plusieurs mois déjà sur des packs JO en tous genres. Des packs JO qui auront toutefois un prix… Compter entre 50 et 100% d’inflation pour deux des médias qui vont le plus profiter de l’audience drainée par l’évènement : la télévision et l’affichage extérieur (OOH). “On est tombé de notre chaise en voyant certains tarifs”, reconnaît un acheteur. 

“Tous veulent profiter de l’évènement pour se refaire la cerise”, s’amuse un autre. Y compris des médias pas directement liés à la diffusion de l’évènement, comme le print, les sites Web ou la radio, qui rivalisent d’ingéniosité pour surfer sur les JO. Pour tous ceux-là, il s’agit de ne pas être les laissés-pour-compte de cette manifestation exceptionnelle.  “Car, lorsque le contexte économique est difficile, comme c’est le cas actuellement, notre marché est à somme nulle”, rappelle Eric Boyer, directeur général de Cospirit Group. 

Les investissements captés par les médias en croissance le sont au détriment d’autres. Surtout lorsque ces budgets souffrent d’une forte inflation, comme ce sera le cas pour tout ce qui est lié, de près ou de loin, aux JO. De quoi poser la question de l’incrément réel apporté par l’évènement, selon certains. 

“On est tous d’accord pour dire que les JO vont booster les investissements de mai, juin, juillet, pose la vice-présidente d’Havas Media Group, Capucine Piérard. Mais la vraie question, c’est de savoir ce qu’il va arriver autour.” Dit autrement : est-ce que l’évènement va catalyser ou aspirer les budgets publicitaires de l’année ? 

“On est dans le flou sur ce sujet”, reconnaît Serge Njimefo. Le MD de Heroiks Media remarque en tout cas que le début de l’année 2024 est plutôt mou. “Les régies multiplient les offres très attractives sur la période janvier - févier, preuve que leur inventaire média est loin d’être saturé.” Le marché est-il attentiste, avant d’appuyer sur le bouton rouge à partir d’avril ? Et quelle sera son attitude, passée l’euphorie des JO ? 

Capucine Piérard s’interroge précisément sur l’impact qu’auront les JO sur la deuxième partie de l’année. Une période qui est devenue, au fil du temps, prépondérante pour le secteur de la publicité, notamment pour les agences médias qui accompagnent nombre de retailers. C’est le cas d’Havas Media, dont 70% des investissements sont désormais réalisés sur S2, avec un pic très fort sur novembre - décembre. “Et une concentration assez importante, cette année, à l’occasion des fêtes de Noël”, selon Capucine Piérard. Une frénésie qu’il sera peut-être difficile de “matcher” en 2024 si les JO aspirent une bonne partie des budgets.

Et si le marché de la pub était finalement “flat” ?

Tout cela m’amène à évoquer une hypothèse qui, sans être un tabou, semble clairement négligée par la plupart des agences médias : le retour de la stagnation. L’hypothèse peut sembler farfelue à ceux qui ont participé au dernier AdForecast et ont pu y découvrir les prévisions (plutôt optimistes) des principales agences médias du secteur. Ces dernières estiment ainsi que le marché publicitaire dans son ensemble oscillera entre +3 et +9.7% de croissance en 2024.

"Nous tablons sur une évolution annuelle des investissements publicitaires qui se situera entre 0 et -1%”"

Un optimisme que ne partage pas une des agences médias que Minted a interrogée dans le cadre de cet article : Cospirit Group. “Nous tablons sur une évolution annuelle des investissements publicitaires qui se situera entre 0 et -1%”, prévient Eric Boyer. Une prédiction qui s’appuie sur les calculs d’un algorithme développé en interne, il y a un peu plus d’un an. Algorithme qui voyait le marché à +3% en 2023. Pas si loin de l’atterrissage final du marché (+2,6% selon France Pub), preuve qu’il faut lui accorder du crédit.

En off, ils sont d’ailleurs quelques-uns à partager le pessimisme de CoSpirit. A l’image de ce directeur du média d’une agence du big 6, qui observe simplement que la plupart des budgets de ses clients sont “soit stables, soit revus à la baisse en 2024.” Ou de cette dirigeante qui rappelle que le marché de la publicité est fortement dépendant de la santé de notre économie et qu’il n’y a, à en croire la confiance des ménages dans cette dernière, pas forcément matière à l’optimisme. 

“On est quand même tombé à un seuil largement inférieur à celui qu’on avait à l’époque du Covid selon l’Insee.” Un plancher que l’on avait déjà atteint courant 2013, une époque où le marché de la publicitaire a été… “flat” trois années durant, de 2012 à 2014. “On l’a un peu oublié ces dernières années mais le marché de la publicité n’a pas toujours juré que par la croissance”, rappelle Eric Boyer. 2024 viendra-t-il nous le rappeler ? 

“Je vois dans l’optimisme de ces patron(nes) d’agences médias qui martèlent que tout va bien se passer un mélange de méthode Coué et de volonté d’enclencher une prophétie auto-réalisatrice"

Les indicateurs ne sont pas bons : entre un PIB qui devrait continuer à faire du surplace, un secteur de l’immobilier qui tire la langue, une inflation qui ne vas pas disparaître du jour au lendemain et un contexte géopolitique qui reste difficile (guerre en Ukraine, conflit israélo-palestinien…). Et il n’est pas certain que l’euphorie suscitée par les JO suffise à y remédier, n’en déplaise au marché.

“Je vois dans l’optimisme de ces patron(nes) d’agences médias qui martèlent que tout va bien se passer un mélange de méthode Coué et de volonté d’enclencher une prophétie auto-réalisatrice, analyse un acheteur média. Bien sûr qu’on espère tous finir quelque part entre +4 et +5% mais on est aussi nombreux à craindre que la croissance soit plutôt nulle, voire négative.”

Qui, des broadcasters ou des plateformes américaines, va s’imposer dans l’Avod ? 

“2024 sera marqué par une recomposition du marché télévisuel”, prévient Pierre Calmard. Télévisuel au sens du device : à savoir un écran sur lequel on consomme désormais du linéaire (les chaînes de TF1, M6 et consorts…) mais pas que, qu’il s’agisse de la catch-up de ces contenus linéaires, d’offres VOD des broadcasters, de chaînes Fast ou de plateformes AVOD. 

Une tectonique des plaques qui devrait occasionner un affrontement de plus en plus frontal entre, d’un côté, des broadcasters qui, chute de la consommation de la télévision linéaire oblige, se plateformisent et, de l’autre, des grandes plateformes qui ont introduit de la publicité dans leur modèle économique (Netflix, Disney+, Prime Video Ads) tout en proposant des contenus historiquement chasse gardée des broadcasters, comme des émissions de divertissement ou la retransmission d’évènements sportifs. 

Si 2022 a occasionné une première passe d’armes (les broadcasters ont peu goûté que les annonceurs paient sans sourciller les CPM demandés par Netflix) et que le match tant attendu n’a pas vraiment eu lieu en 2023 (Netflix restant un nain sur le marché publicitaire), l’épisode 2024 devrait être d’un tout autre acabit. Parce que l’offre de Netflix s’est considérablement améliorée ces derniers mois, que celle de Disney+ devrait arriver à maturité mais que surtout, celle de Prime Video Ads va enfin voir le jour.  

“Tout le monde attend Prime Video Ads parce que la plateforme aura l’audience et la data qui intéressent les annonceurs, à un tarif très intéressant”, résume Serge Njimefo. L’offre, prévue pour début avril, sera effectivement très compétitive sur ces trois composantes clés, comme nous vous le révélions il y a quelques semaines.

Il faudra voir quel sera l’impact de son arrivée sur deux des leaders du secteur. Le premier, c’est évidemment Youtube, “qui continue d’être très offensif sur les budgets historiquement consacrés à la TV”, selon Capucine Piérard. Le second, c’est TF1 qui, de l’avis de Pierre Calmard, entre dans une année charnière, parce qu’après “s’être débarrassé d’un pôle digital dans lequel il avait beaucoup investi, mise désormais sur la plateformisation, avec le lancement en grande pompe de TF1+.”

Syndrome GAFA, nouveau Mediamat et moyens alloués à la production de contenus seront les juges de paix

Dans cette bataille d’une grande ampleur, quelques juges de paix. D’abord le syndrome GAFA, qui pourrait empêcher “certains annonceurs de nourrir encore plus leurs dépendances aux grandes plateformes et les inciter, dans cette perspective à protéger les broadcasters”, selon Capucine Piérard. 

Mais aussi, le nouveau Mediamat, qui prend désormais en compte l’ensemble des foyers français (même ceux qui ne sont pas équipés d’une télévision) et rend les écrans publicitaires moins prolifiques d’un point de vue GRP… et donc mécaniquement plus chers.

Le passage au CPM, prévu pour début 2025, doit permettre d’y remédier, tout en donnant la possibilité aux agences médias de comparer tous les environnements liés au poste de TV : TV linéaire non adressée, TV segmentée, AVOD, Vidéo en ligne… Sous réserve que le marché s’accorde sur une définition commune autour du concept d’écran publicitaire. Et réponde à cette question vieille comme le display : qu’est-ce qu’une impression publicitaire et comment la retranscrire en linéaire ? Pierre Calmard n’a pas encore la réponse mais reconnaît qu’il va falloir “s’accorder sur une monnaie commune pour fusionner les deux paradigmes.”

Reste un dernier facteur discriminant, forcément défavorable aux acteurs de l’audiovisuel français, l’argent. “Ces derniers ne peuvent, contrairement aux grandes plateformes, amortir les investissements colossaux que requiert la production audiovisuelle via des audiences globales”, rappelle Pierre Calmard. Au-delà des regrets que peut occasionner la fusion TF1-M6 avortée, c’est à l’échelle européenne que peut advenir la réponse, à en croire le dirigeant via un rapprochement susceptible de faire naître le “leader de la TV européenne.” A suivre…

Les plateformes US ne sont pas en reste, notamment Netflix et Disney+ qui vont devoir en montrer plus. “On attend des preuves d’efficacité de ces deux acteurs”, révèle Capucine Piérard. De quoi justifier des CPM qui restent élevés et rassurer des annonceurs qui, de l’avis de Serge Njimefo, ne jureront que par la performance en 2024. 

“La performance sera le driver numéro 1 des investissements publicitaires cette année, prévient l’expert. Du haut jusqu’au bas du funnel, que vous vouliez faire de l’awareness ou de la conversion.” Les concernés sont prévenus.  D’autant que “les annonceurs ne pourront pas aller sur toutes les plateformes”, prévient Gautier Picquet. 

La grande distribution va-t-elle réussir à rééquilibrer le rapport de force avec Amazon dans le retail media ?

C’est, je ne vous l’apprends sans doute pas, l’un des grands gagnants annoncés de 2024 : le retail media. D’abord parce que la donnée déterministe va devenir de plus en plus rare avec la disparition des cookies tiers et que les retailers n’en manquent pas. Mais aussi parce que les annonceurs vont, dans le contexte actuel, privilégier les leviers les plus ROIstes et que le retail, qui permet de capter des intentionnistes, est très bon là-dessus.

“Les annonceurs se radicalisent dans la performance”, constate Gautier Picquet. Le retail media pourrait d’autant plus en profiter qu’il remonte sur l’upper funnel, avec l’explosion des deals entre retailers et acteurs de la vidéo, qu’il s’agisse de TV segmentée ou d’AVOD. Même si, à en croire Eric Boyer, “il va falloir que les dispositifs soient sacrément efficaces pour justifier des CPM qui avoisinent les 25 euros, contre 10 euros pour du linéaire non adressé.”

Si la croissance du retail media ne fait pas de mystère, c’est la répartition de cette croissance qui pose question. L’hégémonie d’Amazon, qui capte près de 85% du marché en Europe continentale selon une étude de l’IAB, peut-elle être mise à mal par les ambitions naissantes des retailers français, qui multiplient les alliances (Unlimital, Valiuz Adz) ou les choix technologiques ambitieux (Retailink) ?

“Les marques qui investissent le plus en retail media sont rarement celles qui investissent le plus en publicité au global”

Lawrence Taylor, fondateur de Retail4Brands, ne croit pas trop au renversement du rapport de force, beaucoup trop favorable à Amazon. “Le secteur du retail hors media est encore en construction”, rappelle le dirigeant. Si les régies se sont bien structurées, c’est plus balbutiant côté “demand”. Qu’il s’agisse des agences médias ou des annonceurs. 

“Les marques qui investissent le plus en retail media sont rarement celles qui investissent le plus en publicité au global”, note Lawrence Taylor. Il s’agit de marques très respectées, comme Seb, Lego ou Bosch, hyper matures sur le retail media, mais qui n’ont pas l’envergure de géants comme l’Oréal, P&G ou Unilever. “C’est de ces acteurs, très orientés TV, que viendra la croissance du retail media hors Amazon”, estime Lawrence Taylor.

Amazon peut, à l’inverse, s’appuyer sur un écosystème bien en place, avec des agences spécialisées comme Retail4Brands ou Bizon et une infrastructure hyper aboutie (DSP, data clean room, produits publicitaires innovants). De quoi lui donner, pour l’instant, un sacré temps d’avance, à en croire Michael Haros, directeur général de Values.Media. “Le retail media reste un marché à deux vitesses, assure le dirigeant. On le voit dans les briefs, qui allouent 80% des budgets à Amazon, même pour des marques qui sont présentes en grande distribution.”

Comment y remédier ? D’abord, en trouvant le moyen de faire basculer les investissements trade marketing vers le retail media. Un enjeu pour les régies e-retail comme pour les agences médias. Parce que, comme le rappelle Lawrence Taylor, “une marque de soda bien connue de tous investit 20 à 50 fois plus en trade qu’en retail media.” “Mais, ce sera compliqué tant qu’il n’y aura pas d’expert avec la double casquette retail media / trade chez l’annonceur”, à en croire Michael Haros. 

Ensuite, ouvrir un retail media qui reste drivé par le gré à gré et le programmatique garanti à l’open auction. “C’est la promesse d’un acteur comme Kamino Retail, note Michael Haros. Connecter l’inventaire des retails à des DSP généralistes comme The Trade Desk ou Xandr.” Cela devrait permettre aux retailers d’accéder à des campagnes qui ne leur sont pour l’instant pas accessibles et de capitaliser sur 1) la disparition des cookies tiers 2) la multiplication de leurs offres upper funnel pour sortir du lot. 

Restent enfin les éternels facteurs de différenciation de toute régie publicitaire : une simplicité d’accès à l’inventaire (via des outils faciles à prendre en main et des standards adoptés par tout le marché) et une capacité à démontrer son efficacité, via notamment le développement de data clean rooms. De quoi mettre sur pied une  mesure plus fiable, qui s’intéresse moins au ROAS (return on ad spend) qu’à la Lifetime Value des clients nouvellement acquis, “un KPI très important pour des marques de grande consommation avec une forte récurrence d’achat’, rappelle Lawrence Taylor.